ENQUETE« Je pense que le nom du tueur de Chevaline est dans le dossier »

Affaire Chevaline : « Je pense que le nom du tueur est dans le dossier d’instruction »

ENQUETEC’est l’une des affaires les plus emblématiques de ces quinze dernières années. Ce mercredi, Canal+ diffuse les premiers épisodes de la série documentaire « Sans Issue : l’affaire Chevaline », tirée d’un livre-enquête cosigné par Brendan Kemmet
La famille al-Hilli et Sylvain Mollier ont été tués sur une route forestière près du village de Chevaline il y a onze ans. Depuis, les enquêteurs peinent à identifier l'auteur de cette tuerie.
La famille al-Hilli et Sylvain Mollier ont été tués sur une route forestière près du village de Chevaline il y a onze ans. Depuis, les enquêteurs peinent à identifier l'auteur de cette tuerie. - Philippe Desmazes / AFP /  AFP
Caroline Politi

Propos recueillis par Caroline Politi

L'essentiel

  • Le 5 septembre 2012, quatre personnes ont été exécutées sur les hauteurs du lac d’Annecy. Une affaire toujours non résolue après onze ans.
  • Malgré de nombreuses investigations, aucune piste n’a abouti pour identifier le tireur ni pour déterminer qui était précisément visé : la famille al-Hilli ou le cycliste Sylvain Mollier.
  • Un documentaire diffusé à partir de ce mercredi sur Canal + Sans issue : l’affaire Chevaline retrace les méandres de ce dossier. Il est tiré du livre-enquête de Brendan Kemmet et Imen Ghouali L’affaire Chevaline, autopsie d’un crime parfait. 20 Minutes s’est entretenu avec le premier cité.

C’est l’histoire d’une affaire hors-norme. Une affaire qui, onze ans après, reste mâtinée d’un épais mystère. Pourquoi, le 5 septembre 2012, en plein après-midi, sur les hauteurs du lac d’Annecy, quatre personnes ont été froidement exécutées ? Qui visait le tueur ? Un cycliste, Sylvain Mollier, originaire de la région, ou une famille d’anglo-irakiens en vacances ? Saad et Ikbal al-Hilli, et la mère de cette dernière, Suhaila al-Allaf, ont été exécutés dans leur voiture. La fille aînée du couple, Zeena, 7 ans alors, a été très grièvement blessée. Sa petite sœur, Zainab, 4 ans, a été profondément traumatisée : il aura fallu presque 8 heures aux enquêteurs pour retrouver la fillette prostrée dans la voiture, sous les jambes de sa mère décédée.

Des dizaines de pistes ont été explorées. Aucune n’a abouti. D’où le titre de la série diffusée à partir de ce mercredi sur Canal +, Sans issue, l’affaire Chevaline, tirée du livre-enquête de Brendan Kemmet et Imen Ghouali, L’affaire Chevaline, autopsie d’un crime parfait, et réalisée avec Camille Bovier-Lapierre. Comment expliquer la fascination autour de ce dossier ? Pourquoi toutes les pistes se sont révélées vaines ? Eléments de réponse avec Brendan Kemmet.

Considérez-vous l’affaire Chevaline comme un « crime parfait » ?

On peut le considérer comme tel dans le sens où onze ans après, non seulement l’auteur n’a pas été identifié, mais on dispose de très peu d’indications. On n’est pas certains de l’ordre d’exécution des victimes, on ne sait pas non plus qui était précisément visé : les al-Hilli, et qui au sein de cette famille ? Ou le cycliste, Sylvain Mollier ? Pourtant, peu de dossiers ont fait l’objet d’autant d’investigations. Les enquêteurs ont analysé des heures et des heures de vidéosurveillance sur un périmètre très large, des dizaines de milliers de données téléphoniques ont été épluchées, des commissions rogatoires dans de nombreux pays ont été demandées. Au début de l’enquête, plus de 100 gendarmes étaient mobilisés. Il y a eu quelques gardes à vue, mais aucune piste n’a jamais abouti.

Pendant longtemps, pourtant, les enquêteurs ont eu dans leur viseur le frère de Saad al-Hilli, Zaïd. Tous deux étaient notamment en conflit autour de l’héritage de leur père. Cette piste est-elle définitivement fermée ?

Dans cette affaire, on a parfois le sentiment qu’il reste des éléments problématiques même pour des personnes mises hors de cause. Ce qui est sûr, néanmoins, c’est qu’il n’était pas en France au moment des meurtres. Il se trouvait dans une station balnéaire anglaise. Par la suite, les enquêteurs se sont posé la question de savoir s’il avait pu embaucher un tueur à gages. Ils ont notamment retrouvé quelques appels vers la Roumanie qui n’ont pas pu être remontés. Mais comment aurait-il rencontré un tueur à gages et pourquoi celui-ci aurait-il accepté de travailler à l’étranger ? Aucun élément n’est venu conforter cette piste. Certes, il y avait des histoires d’argent, mais comme dans de nombreuses familles.

La piste d’une vengeance familiale a été écartée, tout comme celles d’une affaire de mœurs ou de vols de données – Saad al-Hilli était ingénieur dans les satellites… Que reste-t-il ?

Plein de pistes ont été explorées, mais certaines n’ont pas pu être fermées. Par exemple, l’hypothèse des services secrets. Par nature, c’est quelque chose qu’un service d’enquête classique ne peut pas investiguer. Parmi les pistes évoquées, il y a aussi celle d’un tueur déséquilibré. L’auteur de ce crime s’est acharné sur ses victimes. Saad al-Hilli et sa femme ont été abattus de quatre balles, la grand-mère des fillettes de trois, et Sylvain Mollier a reçu cinq balles. Il s’est acharné sur la petite Zainab, il a continué à la frapper alors qu’elle était déjà à terre, touchée par balle. Certains évoquent la piste d’un guet-apens. Il y a peut-être un aspect racial dans tout cela. C’est une famille anglaise, d’origine irakienne.

Les Britanniques ont reproché à leurs homologues français d’avoir sous-estimé la piste locale…

La piste locale a été longtemps sous-estimée, elle n’était pas écartée mais pas prioritaire. Par exemple, la perquisition dans la maison des al-Hilli à Claygate, [dans la banlieue de Londres] a duré des heures, tout a été fouillé jusqu’au moindre recoin. A l’inverse, chez Sylvain Mollier, à Ugine, près d’Annecy, cela a été très rapide. Dès le début de l’enquête, le procureur a indiqué publiquement qu’à ses yeux, la réponse à ces homicides se trouvait du côté de la Grande-Bretagne, Sylvain Mollier a immédiatement été considéré comme une victime collatérale. Pourtant, il y a des éléments intéressants. Par exemple, on a découvert qu’une heure après les faits, un artisan qui connaissait très bien la région se promenait dans le coin. Et détail intéressant, son beau-frère a été condamné pour trafic d’arme ancienne. C’est peut-être une piste qui aurait mérité d’être exploitée plus tôt.

Des erreurs ont-elles été commises dans cette enquête ?

C’est très facile de dire après coup « il aurait fallu faire comme-ci ou comme ça ». Par exemple, sur la présence de la fillette cachée pendant huit heures sous les jambes de sa mère, cela partait d’une volonté de préserver la scène de crime. Elle n’était pas visible, personne ne savait qui était cette famille et qu’elle avait deux enfants. Même si évidemment, les conséquences sont dramatiques. Après, certaines erreurs ont été commises. Par exemple, le fait que les affaires – et notamment le casque – du premier témoin de la scène de crime, un Néo-Zélandais qui faisait du vélo, n’aient pas été saisis. Son comportement avait été décrit comme particulier par un second témoin. Cela ne signifie pas que c’est le tueur, mais cela permet d’effectuer des vérifications.

Que sait-on aujourd’hui de la vie des fillettes ?

Peu de choses. Elles vivent sous une autre identité avec leur tante maternelle. De ce que l’on sait, elles sont encore très traumatisées. Elles revoient certaines scènes – il ne faut pas oublier qu’elles sont les seules témoins – mais elles n’ont jamais pu apporter des éléments déterminants pour l’enquête. L’aînée se demande si ses souvenirs relèvent du vécu ou de l’imaginaire.

Êtes-vous optimiste sur la résolution de l’enquête ?

Moyennement… Je pense que le nom du tueur est dans le dossier d’instruction, car on a ratissé extrêmement large. Mais le transfert de l’enquête vers le pôle Cold case n’est pas encourageant. Ce n’est pas un cold case : les investigations n’ont jamais cessé. Je le vois comme un aveu d’échec même si, évidemment, il y a encore beaucoup d’investigations, de recoupement à faire.

Pourquoi l’affaire Chevaline fascine-t-elle autant ?

Parce qu’en Europe occidentale, il n’y a pas d’affaires similaires. Toute une famille et un cycliste assassinés. Il y a un aspect international, une arme du crime originale – un pistolet relativement ancien fabriqué en Suisse. Il y a aussi une disproportion entre la violence du crime et leurs vies relativement classiques. Enfin, il y a la durée du mystère, cela crée une forme de fantasme.

Sujets liés