HORS TERRAINVingt jeunes filent « changer de vie » en participant au Marathon d’Athènes

Vingt jeunes en difficulté filent « changer de vie » en participant au Marathon d’Athènes

HORS TERRAINInitié par l’anthropologue Malek Boukerchi, le projet de « marathon solidaire » des 42 va permettre à vingt jeunes, qui n’avaient jamais couru de leur vie jusqu’en 2023, de se rendre en Grèce pour participer dimanche au mythique Marathon d’Athènes
Mboreha Ahamed (21 ans) et Thushanan Vanathakmor (19 ans), au premier plan, découvrent grâce au projet des 42 la course à pied aux côtés de leur coach marathonienne Virginie Bonnefon.
Mboreha Ahamed (21 ans) et Thushanan Vanathakmor (19 ans), au premier plan, découvrent grâce au projet des 42 la course à pied aux côtés de leur coach marathonienne Virginie Bonnefon. - Les 42 / Les 42
Jérémy Laugier

Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Un jeudi sur deux, dans sa rubrique « Hors terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, nous vous proposons l’histoire de vingt jeunes en difficulté, qui participeront dimanche (9 heures) au mythique Marathon d’Athènes, alors qu’ils n’avaient jamais pratiqué jusqu’à cette année la course à pied.
  • Ce projet des 42, association créée par l’anthropologue et ultra-marathonien Malek Boukerchi, vise également à favoriser l’insertion professionnelle de ces jeunes ayant entre 18 et 28 ans.

Au parc de Parilly, à Vénissieux (Rhône),

« Aux yeux de tout le monde, je suis passé d’un jeune de quartier à celui qui va participer à un marathon, et en plus à Athènes. C’est une occasion qui ne se présente pas deux fois dans une vie. » Yamine Yahia est en plein rêve depuis cinq mois. Cet étudiant de 18 ans, qui vit dans le quartier de Bel-Air, à Saint-Priest (Rhône), et qui n’avait jamais pratiqué jusque-là la moindre activité sportive, s’entraîne chaque semaine au parc de Parilly. Et ce avant de s’envoler vendredi pour la 40e édition du mythique Marathon d’Athènes, programmée dimanche (9 heures). Un défi de 42,195 km totalement dingue qu’il va tenter de boucler aux côtés de Roméo Radjouki (19 ans) et Mohammad Shiraz Zamani (26 ans), ses compères de la région lyonnaise, eux aussi lancés dans l’aventure des 42.

Ce projet de « marathon solidaire », pensé dès 2021 par l’ultra-marathonien Malek Boukerchi, concerne au total 20 participants âgés de 18 à 28 ans. La plupart d’entre eux sont en rupture scolaire et professionnelle depuis longtemps, et très éloignés d’un tel défi sportif. L’objectif est simple aux yeux de Malek Boukerchi (50 ans), à la fois anthropologue, conteur et éducateur : « On va remettre en mouvement des corps fatigués et sédentaires de cette génération Netflix-réseaux sociaux-gaming. On va par ce biais sculpter aussi leur esprit et leur estime de soi ». Se rendre sur les traces du berceau mondial du marathon a fait sens dès la création de l’association des 42, en décembre 2022.

« Une émulation de groupe en mélangeant les publics »

« Pour motiver les jeunes, il faut les faire voyager, les emmener là où il y a une grande histoire », raconte Malek Boukerchi, qui a immédiatement ciblé « une jeunesse oubliée, qui n’a jamais couru et qui veut s’en sortir ». En avril 2023, les profils diversifiés des 20 participants à ce Marathon d’Athènes (dont six jeunes femmes) sont déterminés, avec l’aide des missions locales au Creusot (Saône-et-Loire), en Seine-Saint-Denis, en Alsace, à Lyon et à Montpellier. « "Le Creusot, c’est en France ça ?", "Oula, les jeunes du 93, ils sont tous dangereux là-bas, non ?", on a eu droit à plein de réflexions de ce type mais on voulait créer une émulation de groupe en mélangeant les publics de différents territoires », précise Malek Boukerchi. Chaque jeune a dû régler une cotisation symbolique de… 42,195 euros pour prendre part au projet, avec des entraînements hebdomadaires par groupes un peu partout en France à partir du mois de juin.

Roméo Radjouki, Yamine Yahia, le coach Farid Boukerchi et Mohammad Shiraz Zamani se retrouvent chaque semaine depuis le mois de juin au parc de Parilly (Rhône), et vont participer dimanche au Marathon d'Athènes.
Roméo Radjouki, Yamine Yahia, le coach Farid Boukerchi et Mohammad Shiraz Zamani se retrouvent chaque semaine depuis le mois de juin au parc de Parilly (Rhône), et vont participer dimanche au Marathon d'Athènes.  - Jérémy Laugier/20 Minutes

Frère aîné de Malek, Farid Boukerchi (52 ans) est ainsi le coach attitré, au parc de Parilly, des trois Lyonnais de la bande. « Il y a cinq mois, ils découvraient totalement la course à pied, confie cet ancien champion du Rhône de cross, auteur d’un chrono à 2h25 sur marathon. On n’a pas fait de stratégie comme pour des coureurs aguerris : il ne faut pas leur bousiller la santé en les faisant trop courir. Comme il n’y a pas d’objectif de temps et que la barrière horaire est confortable, à plus de 8h30, l’objectif était de leur permettre d’avoir un corps assez endurant pour finir la course. Il a fallu les initier au fractionné, à l’endurance, avec beaucoup de côtés pédagogiques, notamment sur la partie diététique. »

« Certains jeunes ne mangent que le soir »

« On fait plus attention à ne pas manger n’importe quoi, c’est obligé », sourit à ce propos Yamine Yahia. Pour d’autres membres des 42, la problématique est ailleurs, comme le révèle Malek Boukerchi. « Certaines situations de vie sont dramatiques : on découvre que quelques jeunes ne mangent que le soir et qu’ils sont en survie le reste de la journée, indique le finisher en 2020 d’un incroyable ultra-marathon dans le désert de Mauritanie (1.580 km en vingt jours en totale autonomie). Il y a de la douleur, et progressivement la parole se libère. » Roméo Radjouki confirme : « On sait que beaucoup ont des parcours de vie très compliqués dans le groupe. On n’osait donc pas trop poser de questions aux autres, mais on apprend peu à peu à se connaître ». Avant le grand départ vers la Grèce vendredi, tous les marathoniens en herbe ont été réunis à Paris le 30 septembre. Une première visite dans la capitale pour certains d’entre eux, avant de filer cette fois à la découverte de l’Acropole.

Tous les jeunes du projet des 42 se sont retrouvés le 30 septembre à Paris, avec leurs entraîneurs et des « mentors professionnels ».
Tous les jeunes du projet des 42 se sont retrouvés le 30 septembre à Paris, avec leurs entraîneurs et des « mentors professionnels ». - Les 42

Au menu, plus de trois heures de course et entre 18 km et 23 km parcourus selon les niveaux. « C’est clairement la première fois de ma vie que je cours autant », explique Mohammad Shiraz Zamani, réfugié politique originaire d’Afghanistan, alors que les 42 comptent aussi deux réfugiés sri lankais. « Notre rythme me semblait vachement lent au départ, mais c’est vrai que j’étais mort à la fin, s’amuse Roméo Radjouki. J’ai compris qu’il fallait vraiment faire gaffe à l’allure pour le marathon. » En vue du défi fou à Athènes dimanche, la principale interrogation est bien là du côté de leur entraîneur lyonnais : « Ces jeunes sont des fougueux, ils sont partis comme des malades ! J’ai bien senti qu’il y avait une compétition entre les différents groupes régionaux. Je les ai donc briefés : qu’ils fassent 3h30, 5 heures ou même 6 heures, l’essentiel est de finir. Mais ça, certains ne veulent pas l’entendre : ils comptent absolument faire un chrono costaud de 4 heures. C’est ambitieux, mais il faut être vigilant, il y a toujours 20 % de casse sur un marathon ».

« Finir la course à Athènes sera un palmarès, une fierté, comme un diplôme »

Unis dans « un défi commun » de tous finir ce redoutable marathon grec (plus de 400 m de dénivelé positif), les 20 jeunes prennent conscience depuis cet été de la portée d’un tel challenge dans leur vie. « Ça sera un accomplissement après cinq mois de travail, annonce Yamine Yahia. Nos potes ne savent même pas quelle distance représente un marathon. Quand on leur dit 42 km, c’est une distance en voiture pour eux, pas à pied. » Pour son ami san-priot Roméo, « finir la course à Athènes sera un palmarès, une fierté, comme un diplôme ». Celui-ci annonce même : « Je vais le dire de partout que j’ai fini un marathon et même le mettre dans mon CV. Après tout, ça remplit et ça montre qu’on est persévérant ».

Un discours qui fait d’autant plus sens que le projet des 42, en partie financé par des dirigeants d’entreprises, s’accompagne d’une dimension de « réinsertion professionnelle ». Certains des onze « mentors » (qui participent à hauteur de 4.219,50 euros), également de la partie à Athènes, se sont engagés à embaucher ou à aider activement quelques futurs finishers, tous sans emploi au lancement de l’aventure. C’est dire l’importance du rendez-vous athénien pour ces néosportifs, comme pour cette participante n’ayant pas révélé à sa famille qu’elle était inscrite car elle redoutait les moqueries de ses proches. « Je montrerai ma médaille en rentrant », glisse-t-elle avec détermination.

« Un marathon est quelque chose d’inaccessible quand tu viens d’un quartier »

« Si je dois finir en marchant durant plusieurs kilomètres, je le ferai, annonce de son côté Roméo Radjouki. Impossible que je rentre à Lyon sans la médaille. » Un sentiment partagé un peu partout dans le groupe, et qui rend confiant Farid Boukerchi : « Chacun trouvera sa motivation au fond de lui pour finir ce défi ». Son frère revient sur la symbolique de la course à pied auprès de ce public en difficulté.

« Rien qu’après avoir couru 18 km à Paris, certains avaient les larmes aux yeux et criaient "fierté" à l’arrivée. Là, un marathon est quelque chose d’inaccessible quand tu viens d’un quartier, où on ne parle que de foot et de boxe sur le plan sportif. Mais c’est la clé de la réussite dans la vie : ça développe des qualités de patience, de ténacité et de discipline. La vie est un marathon : on apprend à se faire mal, à tenir la distance. » »

NOTRE DOSSIER HORS TERRAIN

Mohammad, Yamine, Roméo et tous les autres n’auront qu’une obsession dimanche : boucler ces 42,195 km. Quant à Malek Boukerchi, qui ambitionne d’inscrire des jeunes sur le Marathon pour tous (de nuit) lors des JO de Paris 2024 et sur le Marathon de Chicago d’ici deux ans, il conclut en citant l’ancien grand athlète tchèque Emil Zatopek : « Si tu veux courir, cours un kilomètre. Si tu veux changer ta vie, cours un marathon ». C’est ce que vont connaître dans trois jours 20 jeunes, parmi les 25.000 participants à Athènes, que rien ne prédestinait à cette discipline.

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