Fake OffVers la fin des boîtes de camembert en bois ? Pas si simple

Vers la fin des boîtes de camembert en bois ? Pourquoi ce n’est pas si simple

Fake OffOn retrace l’emballement autour du sujet et les enjeux environnementaux derrière
Capture d'écran d'un post affirmant de manière erronée que l'Union européenne veut remplacer la boîte en bois du camembert par une boîte en plastique.
Capture d'écran d'un post affirmant de manière erronée que l'Union européenne veut remplacer la boîte en bois du camembert par une boîte en plastique.  - Capture d'écran/X / Capture d'écran/X
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • Sur les réseaux sociaux, des affirmations erronées soutiennent que l’UE veut « remplacer la boîte en bois du camembert par une boîte en plastique ». Ce qui va à l’encontre des objectifs du règlement sur les emballages en cours de discussion au Parlement européen.
  • En France, la loi Antigaspillage pour une économie circulaire, adoptée en 2020, interdit l’emballage léger en bois des boîtes de camembert d’ici à 2030 « si on la lit stricto sensu », indique Citeo, l’organisme en charge de la valorisation des emballages ménagers.
  • Mais la filière bénéficie d’une exemption de recyclage et défend l’intégration de cette exemption dans le futur règlement européen. Un amendement porté par le groupe Renew (centristes) au Parlement européen est à l’étude.

Remplacer la boîte en bois du camembert par une boîte en plastique ? Ce serait la dernière idée de l’Union européenne, selon des posts sur les réseaux sociaux. En réalité, l’histoire est un peu plus complexe et il n’est pas question dans le futur règlement européen sur les emballages et déchets d’emballages (PPWR) de remplacer une boîte en bois par une boîte en plastique issue d’énergie fossile. D’autant que le camembert vendu en grande surface est généralement déjà entouré d’un film PVC, puis d’une boîte en bois. Les fromages sous indication géographique protégée et d’origine controlée, comme le Mont d'Or, ne sont pas concernés par le règlement, explique aussi Le Monde.

Ce remplacement irait à l’encontre des objectifs du Pacte vert, qui vise à enrayer la hausse des déchets d’emballages, à encourager les emballages réutilisables, et réduire les emballages plastiques. Pourquoi ? Car les Européens n’ont jamais autant généré de déchets d’emballages : 188,7 kg par habitant en 2021, soit un bond de 11 kg en un an et de 32 kg en une décennie, pour un taux de recyclage de seulement 64 %, selon Eurostat. Voilà pour le cadre.

Un emballage qui est valorisé énergétiquement

Retraçons l’itinéraire de cet emballement dans les médias et sur les réseaux sociaux. A l’origine, on retrouve la crainte d’un fabricant de boîtes en bois destinés notamment aux camemberts, le groupe Lacroix, qui a son siège dans le Jura. Dans un article de La Presse de la Manche le 28 octobre, son directeur général s’inquiète d’abord des conséquences de la loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec), adoptée en 2020 en France et de la future réglementation européenne. TF1 s’est emparé du sujet le 8 novembre, puis BFMTV le 12 novembre, suivi par d’autres médias, qui n’ont conservé que l’aspect réglementation européenne. Pourtant, le compromis trouvé en France pourrait avoir un impact sur le futur règlement. Le groupe Lacroix explique qu’il n’y a pas de filière de recyclage spécifique dans l’Hexagone, celle-ci coûterait trop cher pour les acteurs du secteur.

Une information correcte, mais qui mérite d’être complétée, car les emballages légers en bois comme les boîtes de fromages, les barquettes de fruits ou les bourriches d’huîtres vont bien dans le bac jaune, où sont déposés les emballages recyclables. Comment c’est possible ? Ces emballages sont utilisés en valorisation énergétique dans les centres de tri, indique auprès de 20 Minutes, Citeo, l’organisme en charge de la valorisation des emballages ménagers. Ces emballages en bois léger sont incinérés. « Ce bois non traité, propre, est très demandé dans les petites chaufferies qui n’ont pas investi dans de gros filtres, comme les hôpitaux, les EHPAD, la restauration collective », explique Olivier de Lagausie, délégué général du syndicat interprofessionnel des emballages légers en bois (Siel).

Une interdiction en France et une exemption

En France, la loi Agec interdit en 2030 l’utilisation d’emballage non recyclable. « Si on lit la loi française stricto sensu, le bois de camembert va être interdit », pointe Citeo. Pour cette raison, la filière bénéficie d’une exemption de recyclage. La matière pourrait être recyclable pour en faire du broyat, mais aucun investissement n’a été fait dans une chaîne de valorisation. « Le marché ne s’y retrouve pas avec aussi peu de tonnes et des coûts de tri compliqués à absorber », complète Citeo.

L’exemption a eu lieu en 2020 et est saluée par la profession. « On a été enfin reconnu en France comme ne posant pas de problème, étant un matériau vertueux et très peu impactant sur l’environnement, souligne Olivier de Lagausie du Siel. On est dans une gestion durable des forêts avec du peuplier, en local et un travail de replantation. » La filière de la production d’emballages légers en bois pèse 257 millions d’euros de chiffre d’affaires en France, d’après le Siel, avec environ 1,1 milliard de produits vendus chaque année.

« Faibles tonnages et faible impact environnemental »

En 2021, Citeo a créé, à la demande de l’Etat, la catégorie « matériaux non transformés issus de ressources renouvelables et gérés durablement avec filière de recyclage matière ou de valorisation organique en développement » pour ces emballages légers en bois. « Il faut bien comprendre que le droit français comme européen vise à développer l’économie circulaire, explique Citeo. C’est restrictif de les associer à des lois qui limitent le plastique, c’est avant tout un cadre pour réduire tous les emballages, pour développer le réemploi quelle que soit la matière et pour atteindre 100 % d’emballages recyclables sur le marché. »

« Vu les faibles tonnages et vu le faible impact environnemental des emballages bois versus les alternatives à usage unique connues, nous sommes favorables à une exemption pour le bois », poursuit l’organisme, qui précise qu’il se conformera à la loi quelle que soit la décision. « Pour l’emballage ménager en bois, Citeo, [l’éco-organisme] Leko et l’Ademe ont montré que pour ce gisement, la valorisation énergétique est aussi favorable à l’environnement et beaucoup plus avantageuse économiquement que le recyclage matière », soulignait en 2022 un document du consortium d’organisations professionnelles du secteur de l’emballage bois en France.

Un amendement à l’étude au Parlement européen

Un argument que la filière met en avant pour plaider sa cause. Là où ça coince, estime Olivier de Lagausie, c’est au niveau de l’article 6 de la proposition de règlement européen, qui, en résumé, indique que tous les emballages doivent être recyclables selon certains critères. « Il faut une exemption de la filière emballage bois de l’article 6 comme en France, défend Olivier de Lagausie, et que l’on reconnaisse qu’effectivement, la valorisation énergétique d’un bois qui a déjà été utilisé et qui est un bois propre, c’est une solution formidable. »

Une source proche du dossier au Parlement européen nous confirme qu’un amendement, porté par le groupe Renew (centristes), est à l’étude pour le prendre en compte : « Les emballages en bois léger, c’est un angle mort du texte, nous indique-t-on, parce que ça représente une part infime des déchets d’emballages sur un marché global de 350 milliards d’euros. Au niveau européen, ce qu’on va faire, c’est qu’on va demander à la Commission de regarder d’ici à 2032, comment on traite la question du bois léger, tout en sachant qu’entre-temps, les obligations de recyclabilité et de recyclage ne s’appliqueront pas au secteur. C’est cela le sens de l’amendement. » Contactée, un porte-parole de la Commission européenne pointe que « rien dans le texte n’empêche l’usage d’emballages bois ».

« Des règles qui nous sortent des produits à usage unique »

Pour Zero Waste France, restreindre le texte européen à cette question sur le camembert est « regrettable », puisque le règlement vise « à réduire l’empreinte des déchets d’emballage sur la planète et, donc, leur contribution à la crise écologique », souligne Charlotte Soulary, chargée de plaidoyer de l’association qui défend le zéro déchet. Elle rappelle que les objectifs de recyclage sont fixés par matériaux et que celui pour le bois est « assez timide », à 30 % en 2030. « Le bois pourrait avoir d’autre destination que l’incinération comme le compostage », appuie-t-elle, estimant qu’il n’est pas sain ni durable de réfléchir à des exemptions pour chaque filière. « Il faut commencer à penser maintenant des règles collectives européennes et surtout des règles qui nous sortent des produits à usage unique », plaide-t-elle.

Le règlement, en cours de discussion au Parlement européen, fait l’objet de lobbying, comme on le voit. Un vote en séance plénière est programmé la semaine du 20 novembre. Son chemin ne se termine pas là puisque le Conseil européen, auxquels participent les membres des gouvernements des Etats membres, y mettra sa patte cet hiver. Des négociations entre les trois institutions européennes, le Parlement, la Commission et le Conseil, auront lieu pour aboutir à une adoption définitive en avril 2024, avant les élections européennes. Ce qui laisse un peu de temps pour réfléchir aux usages des boîtes en bois.


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