MeurtrePourquoi le meurtre d’une icône non-binaire provoque tant d’émoi au Mexique

Mexique : Pourquoi le meurtre de Baena, « icône » non-binaire, provoque-t-il un tel émoi ?

MeurtreLes autorités mexicaines assurent qu’il s’agit d’un meurtre sur conjoint suivi d’un suicide mais de nombreuses personnes de la communauté LGBT+ en doutent au Mexique
Les proches de Jesus Ociel Baena assistent à un hommage posthume au Tribunal électoral, à Aguascalientes, au Mexique, le 14 novembre 2023.
Les proches de Jesus Ociel Baena assistent à un hommage posthume au Tribunal électoral, à Aguascalientes, au Mexique, le 14 novembre 2023.  - AFP / AFP
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Le corps de Jesus Ociel Baena a été retrouvé lundi dans une maison à Aguascalientes, dans le nord du Mexique, à côté de celui de son compagnon.
  • Les autorités évoquent un meurtre sur conjoint suivi d’un suicide mais de nombreux militants LGBT+ soupçonnent un homicide lié à l’identité de genre de cette icône de la non-binarité.
  • Jesus Ociel Baena est la toute première personne à avoir reçu, des mains du ministre des Affaires étrangères mexicain, un passeport non genré, c’est-à-dire qui ne fait pas mention du sexe, en mai dernier.

C’est un séisme au Mexique. Le corps de Jesus Ociel Baena, une icône de la non-binarité, a été retrouvé lundi dans une maison à Aguascalientes, dans le nord du pays, à côté de celui de son compagnon. Les autorités assurent que son conjoint l’a tué avant de se donner la mort. Jesus Ociel Baena est la toute première personne à avoir obtenu au Mexique un passeport non-binaire, où la mention du sexe est absente. Mais qui était vraiment Jesus Ociel Baena ? Pourquoi sa mort provoque-t-elle un tel émoi au Mexique ? 20 Minutes se penche sur ce meurtre, grâce à l’éclairage de Flora Bolter, politiste et codirectrice de l’Observatoire LGBTI + de la Fondation Jean-Jaurès.

Que sait-on de sa mort ?

Les autorités ont trouvé le corps de Jesus Ociel Baena lundi, dans une maison de deux étages à Aguascalientes, un Etat situé au nord du Mexique. Le corps de son compagnon, Dorian Herrera, a été retrouvé à ses côtés. Le parquet assure qu’il s’agit d’un meurtre sur conjoint suivi d’un suicide. Iel [pronom utilisé pour les personnes non-binaires] a été tué·e et « par la suite son partenaire (…) s’est lui-même privé de la vie », a affirmé le procureur de l’Etat d’Aguascalientes, Jesus Figueroa, sur la chaîne d’information Milenio. Les enquêteurs assurent aussi que personne d’autre n’était présent dans le logement et que, par conséquent, ils ne peuvent « pas établir l’intervention d’une tierce personne ».

Jesus Ociel Baena a reçu 20 lacérations portées par une lame de rasoir, dont une mortelle à la jugulaire. La thèse des autorités, celle du meurtre sur conjoint, est toutefois mise en doute par de nombreux militants queer du pays. En effet, Baena avait révélé être sous mesure de protection policière fin juillet, face aux « multiples attaques » et « menaces de morts » qui pullulaient sur ses réseaux sociaux. « Jesus Ocial Baena était officiellement sous protection policière mais cette protection était-elle vraiment appliquée ? », s’interroge Flora Bolter, politiste et codirectrice de l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès.

Qui était Jesus Ociel Baena ?

Eternel éventail aux couleurs de l’arc-en-ciel à la main, rouge à lèvres flamboyant et talons, Jesus Ociel Baena était une icône de la non-binarité. Iel a été la toute première personne à recevoir un passeport non genré, c’est-à-dire où il n’est pas fait mention du sexe, des mains du ministre des Affaires étrangères, en mai dernier. Icône de la non-binarité, une identité de genre où on ne se reconnaît ni homme ni femme, Jesus Ociel Baena avait 38 ans. Depuis octobre 2022, iel était la première personne à exercer en tant que magistrat·e non-binaire au Mexique. Et même dans toute l’Amérique latine, d’après le journal El Pais. « C’est un exemple de réussite et quelqu’un d’iconique. Jesus Ociel Baena avait non seulement un rôle d’expert du droit, avec toute la reconnaissance sociale que ça implique, mais était aussi parvenu.e à obtenir une victoire juridique pour son cas et, plus largement, pour les personnes LGBT+ », souligne Flora Bolter.

Dans les colonnes des journaux mexicains, Jesus Ociel Baena est surnommé·e « magistrade », afin d’éviter le masculin « magistrado » tout comme le féminin « magistrada ». « Le meurtre dont a été victime Jesus Ociel Baena indique toute l’ambivalence d’une personne qui bénéficie d’un statut reconnu dans la sphère publique et auprès du grand public avec, de l’autre côté, un des pays avec le plus de crimes de haines et de meurtres de manière générale », souligne Flora Bolter.

Pourquoi sa mort provoque-t-elle tant de remous au Mexique ?

De très nombreux militants LGBT+ ne croient pas à la thèse d’un meurtre sur conjoint. Dès le soir de sa mort, des milliers de militants LGBT+ ont manifesté dans les rues de Mexico, criant « crime passionnel, mensonge national ». Une partie d’entre eux s’est ensuite dirigée jusque sous les fenêtres du Palais national pour réclamer la « justice ». D’autres mobilisations ont essaimé dans le pays, notamment à Monterrey, Puebla et Aguascalientes, la ville d’origine de Baena. « Il y a une grande défiance de la communauté LGBT+ au Mexique quant au travail de la police sur les crimes de haine. Beaucoup de collectifs se sont montés pour lutter contre les féminicides et les crimes de haine », rappelle Flora Bolter. « Les minorités ont la sensation que la police est, au mieux, complètement impuissante ou, au pire, voue une haine à la communauté LGBT+ », ajoute-t-elle.

Le porte-parole du président a réagi sur X (anciennement Twitter) afin de réclamer une enquête menée depuis « une perspective intersectionnelle et de genre ». « Mais la culture policière et judiciaire ne semble pas accorder beaucoup de volonté à la résolution et à la poursuite de ces crimes. On constate une forte inertie parce qu’au fond il existe une acceptation sociale assez forte de ces crimes de haine dans le pays », regrette la codirectrice de l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès. Un triste constat qui se reflète dans les chiffres. D’après l’organisme de défense LGBT Letra S, environ 90 personnes queer sont tuées chaque année au Mexique. Et dans 94 % des cas, les meurtriers restent impunis.

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