Casse-têteC’est quoi ce nouveau cumul de congés payés qui fait pleurer les patrons ?

Congés payés : C’est quoi ce cumul autorisé par la cour de cassation qui fait pleurer les patrons ?

Casse-têteLa plus haute juridiction française a reconnu le droit pour les salariés de cumuler des congés payés lorsqu’ils sont en arrêt maladie. Une obligation européenne que les patrons français ne respectaient pas au-delà de quatre semaines d’arrêt
Selon la cour de cassation, les entreprises françaises doivent continuer à verser les congés payés à leurs salariés, même quand ces derniers sont en arrêt maladie. Et le patronat n'aime pas trop ça.
Selon la cour de cassation, les entreprises françaises doivent continuer à verser les congés payés à leurs salariés, même quand ces derniers sont en arrêt maladie. Et le patronat n'aime pas trop ça.  - Canva / Canva
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • La cour de cassation a rendu plusieurs décisions qui obligent la France à s’aligner sur le droit européen concernant le cumul des congés payés.
  • Les salariés doivent désormais cumuler des congés même lorsqu’ils sont en arrêt maladie, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici.
  • Favorable aux travailleurs, cette nouvelle directive inquiète les patrons, qui estiment à 2,7 milliards d’euros le coût annuel de ce changement selon le Medef.

La France est dans le grand flou, comme perdue. Dans les bureaux des services de paie de tout le pays, on s’agite, on se questionne et on tente d’y voir plus clair sur les décisions prises par la Cour de cassation à la rentrée. Le 13 septembre, la plus haute juridiction française a rendu plusieurs arrêts que l’on va décrire comme favorables aux salariés sur l’acquisition de leurs congés payés. Pour faire simple, les travailleurs cumuleront désormais des congés payés pendant tout leur arrêt maladie, ce que le droit français ne prévoyait pas jusque-là. Sommés de se mettre au diapason du droit européen par la cour de cassation, les patrons sont désormais dans l’obligation d’attribuer des congés payés à tous leurs salariés, même lorsque ces derniers sont absents pour raison de santé. Une décision applaudie par les syndicats de travailleurs mais qui fait pleurer les dirigeants d’entreprises. Et contraint l’État français à se pencher très sérieusement et rapidement sur la question. Explications.

Que dit la cour de cassation ?

Rendues publiques le 13 décembre, les décisions de la cour de cassation sont claires. En tant qu’État membre de l’Union, la France doit se mettre au parfum du droit européen, qui l’emporte sur le droit français. Depuis 2003, une directive impose aux États membres d’octroyer des congés payés aux salariés, même lorsque ces derniers sont en arrêt maladie. Sauf que la France ne l’appliquait pas. Elle était même la dernière nation dans ce cas. Les gouvernements successifs ont sans doute estimé que cette mesure n’avait pas à s’appliquer en France, pays disposant du système social le plus protecteur. Depuis le 13 septembre, l’ensemble des travailleurs doivent donc continuer à cumuler des CP, même lorsqu’ils sont absents pour raison de santé. Et ce « même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle », rappelle la cour.

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Mais ce n’est pas tout. La juridiction a également aboli la limite de temps prévue dans le cas d’un accident de travail. Jusqu’ici, le calcul des droits à congé payé était limité à la première année d’arrêt si le salarié était victime d’un accident au travail. Ce ne sera plus le cas.

Pourquoi la règle a-t-elle changé ?

Jusqu’ici, les salariés continuaient de cumuler 2,5 jours de congés payés par mois, à condition que leur arrêt de travail soit inférieur à quatre semaines. Passé cette durée, l’obtention de ces droits était suspendue jusqu’au retour du salarié dans l’entreprise. Un salarié qui aurait été absent six mois n’avait donc pas la possibilité d’obtenir ses 30 jours de CP. Désormais, ce même travailleur cumulera 15 jours de congé sur cette durée, qu’il pourra poser à son retour dans l’entreprise. Cette règle européenne doit être la même pour tous les travailleurs des 27 États membres. La France « faisait l’autruche » jusqu’ici même si « tout le monde savait que la directive existait ».

Qu’est-ce que cela change pour les salariés ?

Pour tous ceux qui ne sont pas en arrêt maladie, cela ne change absolument rien. Le cumul restera le même et aucun salarié n’aura davantage de congés payés. Seules les personnes ayant été en arrêt maladie pour une longue durée (supérieure à quatre semaines) verront leurs conditions d’obtention évoluer. La décision de la cour de cassation faisant jurisprudence, la mesure est, en théorie, applicable depuis le 13 septembre. Dans les faits, les patrons temporisent en attendant d’y voir plus clair. Dans une note remise au ministère du Travail, le Medef a estimé que l’application de cette mesure coûtera 2,7 milliards d’euros par an en cotisations sociales aux entreprises. Le syndicat du patronat, on le devinera, n’en veut pas.

Peut-on réclamer des congés non attribués ?

C’est la question que tout le monde se pose. Ces décisions de la cour de cassation ouvrent-elles droit à une rétroactivité ? Et si oui, jusqu’à quand ? Dans les faits, on l’ignore encore. La directive européenne datant de 2003, certains ont lancé l’idée folle qu’une longue, très longue rétroactivité, basée sur la jurisprudence de la cour de cassation, pourrait être réclamée. Selon la juriste du Medef 35, Pia Le Minoux « il convient d’attendre les précisions qui vont être apportées par le législateur afin d’être totalement sécurisé sur ce point ». Peu de chances de voir une rétroactivité s’appliquer. « La loi devra dire que les entreprises étaient de bonne foi depuis 2003 puisqu’elles respectaient le droit français, qu’elles ne sont pas responsables de cette situation », estime la juriste. Mais dans les rangs des syndicats des salariés, on insiste : la France savait depuis bien longtemps qu’elle n’était pas en conformité mais elle n’a rien fait pour corriger.

Et qu’en pensent les patrons ?

Ils sont évidemment chamboulés, en colère mais surtout perdus. « Le droit est un langage extrêmement complexe et tout le monde n’a pas les clés pour comprendre ce que cette directive va changer. Nous avons beaucoup d’adhérents qui s’interrogent des conséquences », assure Eric Challan-Belval. Le président de la section départementale du Medef en Ille-et-Vilaine s’interroge même sur le bien-fondé de cette directive. « Les congés payés, c’est fait pour se reposer du travail que l’on a fait. Mais si on ne travaille pas, on se repose de quoi ? », questionne-t-il. Le délégué du syndicat du patronat local abonde. « Quelle capacité ont les entreprises à mettre en place ces mesures ? Cela aura un impact sur leur rentabilité et leur compétitivité », estime Xavier Migeot. Comme leurs représentants nationaux, les responsables du Medef d’Ille-et-Vilaine demandent à l’État de statuer rapidement avec une loi permettant de « sécuriser le passé et limiter l’impact pour l’avenir », prévient le président du Medef 35, qui invite l’Etat à « tirer des leçons » de cette délicate situation.

La question pourrait être abordée lors du prochain Conseil des ministres le mercredi 22 novembre.