sexismeLes fresques pornos des étudiants ont-elles encore leur place à l'hôpital ?

Hôpital : « Je ne veux pas avoir des couilles devant moi quand je déjeune... » Les fresques pornos divisent les internes

sexismeLes fresques pornographiques présentes sur les murs de nombreuses salles de repos d’internes en médecine au sein d’hôpitaux font l’objet de débats depuis plusieurs années
Un service d'urgences, en juin 2023.
Un service d'urgences, en juin 2023.  - SYSPEO/SIPA / SIPA
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Les fresques pornographiques présentes sur les murs de nombreuses salles de repos d’internes en médecine au sein d’hôpitaux font l’objet de débats depuis plusieurs années.
  • En janvier, le ministère de la Santé a demandé aux établissements concernés de retirer l’ensemble de ces fresques en concertation avec les représentants des internes.
  • « Défouloir », « ambiance festive » ou « reliquat d’une époque passée »… Les avis sur ces dessins divergent parmi les médecins.

Une femme allongée sur le dos, en plein acte sexuel avec un homme et, autour d’eux, trois individus exposant leur sexe. Cette fresque murale habille depuis des années les murs de la salle de repos des internes en médecine de l’hôpital de Vannes en Bretagne. Mais peut-être plus pour longtemps. Selon Ouest-France, elle a fait l’objet d’un courrier anonyme dénonçant son caractère sexiste et pornographique ce qui a conduit la direction à annoncer son retrait.

Ce n’est pas la première fois que ces dessins à caractère sexuel – présents sur les murs de nombreuses salles de repos d’internes en médecine – suscitent le débat. En 2015, une peinture murale représentant un viol collectif entre super-héros à l’hôpital de Clermont-Ferrand avait défrayé la chronique pendant plusieurs semaines. Violentes, sexistes, anachroniques… Ces fresques ont-elles leur place dans des hôpitaux ? En janvier, le ministère de la Santé a annoncé le retrait de l’ensemble de ces peintures « dans un calendrier qui ménage la concertation » avec les représentants des internes. S’ils ne parviennent pas à trouver un accord, les agences régionales de santé (ARS) pourront imposer le retrait de ces peintures.

« Un défouloir »

Sur les réseaux sociaux, d’anciens internes déplorent cette directive. Certains estiment que ces fresques « contribuent à une ambiance festive pour des internes confrontés au pire ». D’autres ne voient dans ces dessins « pas d’intention sexiste ». Quand d’autres encore dénoncent un « puritanisme inquiétant ». Dans l’hôpital de Vannes, par exemple, selon Ouest-France, un vote a été organisé au sujet de cette œuvre : 73 % des internes se sont prononcés en faveur de son maintien, 7 % pour son retrait et 20 % des étudiants se sont abstenus.

Mais pourquoi certains vouent-ils un tel attachement à ces dessins ? Selon Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat MG France, ils illustrent avant tout une partie de l’histoire des salles de garde. « A la fin du XIXe siècle [période de création des premières fresques carabines] la sexualité était encore très taboue. Ces fresques étaient un moyen pour les internes de manifester leur liberté. » Le médecin généraliste, aujourd’hui âgé de 60 ans, n’a pas le souvenir, qu’à son époque, certains, hommes comme femmes aient exprimé de gêne face à ces œuvres. « Elles étaient perçues par certains comme un défouloir, pour d’autres comme de l’humour. »

Pour Gaëtan Casanova, 34 ans, ancien président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), ces peintures sont surtout « le reliquat d’une époque passée ». L’ancien interne de l’AP-HP comprend néanmoins l’attachement de certains confrères à ces fresques. Dans certains vieux hôpitaux, les fresques datent de la fin du XIXe siècle. « Ce sont presque des pièces de musée. » Mais selon lui, « le niveau des peintures a baissé avec le temps ». « Si on schématise, on est passé d’œuvres souvent réalisées par des étudiants aux Beaux-Arts, où tout le monde en prenait pour son grade, avec un humour caustique, à un zguègue dessiné sur un mur. »

« La grande majorité des internes s’en foutent »

Parmi les étudiants, des voix – de plus en plus nombreuses – s’élèvent pour dénoncer le caractère sexiste de ces dessins. « C’est quand même une avancée notable : les fresques sexistes, homophobes, et par ailleurs glorifiant la domination médicale sur les personnels, vont (enfin) disparaître des salles de garde. Pas trop tôt », se réjouit par exemple Luc Ginot, médecin et directeur de la Santé Publique à l’ARS Ile-de-France sur X.

Gaëtan Casanova reconnaît lui-même que ces dessins ne sont pas vraiment à son goût. « Quand je déjeune, je n’ai pas forcément envie d’avoir une paire de couilles face à moi. L’intérêt me laisse perplexe », sourit-il. Pour autant, selon lui, les étudiants en médecine farouchement opposés à ces fresques restent très minoritaires. Le jeune médecin estime que la grande majorité des internes « s’en foutent » et ne les voient même plus. En clair : ces œuvres font partie d’un décor auquel ils ne prêtent même pas attention.

Jean-Christophe Nogrette se montre pacifiste. « Il semble que cela dérange certaines personnes aujourd’hui. Dans le train, si une personne a froid, on ferme la fenêtre. Pour moi, on devait faire pareil à ce sujet. » Reste une question : que faire de ces œuvres ? Gaëtan Casanova suggère de créer un musée de l’internat « pour redonner du sens à quelque chose qui n’est plus compris. »