ENQUÊTE 2/3L’histoire de trois enfants, victimes de violences sexuelles d’un camarade

L’histoire de Laura, Arnaud et Axel, trois enfants en CP victimes de violences sexuelles d’un camarade de classe

ENQUÊTE 2/3Les parents que nous avons interviewés dénoncent une forme « d’omerta » et une absence de communication entre les différentes parties, notamment entre le périscolaire et l’école elle-même
Trois ombres d'enfants (illustration).
Trois ombres d'enfants (illustration). - Getty Images / iStockphoto
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Au moins trois enfants d’une école primaire des Hauts-de-Seine ont subi l’an dernier des agressions sexuelles et même un viol de la part d’un autre enfant, selon les récits concordants des enfants.
  • Pendant des mois, les parents des enfants victimes ont demandé que leurs enfants ne soient plus exposés à leur jeune agresseur, et qu’il soit changé d’école, en vain.
  • Au contraire on a proposé aux parents des enfants victimes de les changer eux d’école, une proposition qui révolte l’une des mamans : « Quand il y a une agression au travail, c’est l’agresseur qui est changé d’endroit, pas la victime. »

Il semblerait inimaginable aujourd’hui qu’une victime adulte de violences sexuelles soit forcée et contrainte de cohabiter avec son violeur pendant des mois au travail, intolérable aussi qu’il lui soit proposé de partir en lieu et place de la personne qui l’a agressée. C’est pourtant ce que l’Education nationale a demandé à trois familles dont les enfants avaient subi des agressions sexuelles et l’un d’entre eux un viol de la part d’un autre enfant, dans une école primaire des Hauts-de-Seine. Des parents qui ont demandé, comme d’autres ailleurs (voir notre article), à ce que l’agresseur mineur change d’école, sans être entendus pendant des mois.

Tout démarre en juillet 2022, lorsque la mère d’un des enfants, Arnaud*, interroge son fils suite au signalement d’une maman qui parle d’un enfant « turbulent ». Selon Arnaud, 6 ans, Lény*, 7 ans, demande à certains élèves de montrer leur zizi, et les menacerait de les « jeter depuis la cour » s’ils refusent. Il mentionne deux autres enfants du même âge, Laura* et Axel*, qui confirment les faits, qu’ils compléteront plus tard en révélant des choses encore plus graves.

Laura manifeste depuis plusieurs mois une réticence à aller à l’école et présente des difficultés scolaires, selon sa mère. En pleurs, la petite fille indique que Lény lui a touché le sexe, des faits qualifiables d’agression sexuelle. Plus tard, elle lui dit aussi que Lény l’a obligée à l’embrasser sur le sexe et qu’il a fait de même avec elle. Lény aurait aussi baissé de force le pantalon d’Axel en l’emmenant aux toilettes.

Les victimes regroupées dans une classe

Les parents réagissent vite. En août, la mère de Laura porte plainte et demande à la directrice que sa fille ne soit pas dans la même classe que son agresseur. Les familles écrivent par ailleurs pendant l’été à la directrice et à l’inspectrice de l’Education nationale de leur secteur, qui leur répond que l’école est fermée mais qu’un point pourra être fait à la rentrée avec la directrice. Finalement, seule l’une des trois familles parviendra à obtenir un rendez-vous avec la directrice, les deux autres se heurtant à des refus.

La directrice cependant s’active dès la rentrée, organisant une réunion avec son équipe, et des mesures « pour limiter les croisements d’élèves et surveiller les passages aux toilettes », comme nous le confirme le rectorat de Versailles. Une intervention dans les classes de l’infirmière scolaire et de l’officier de prévention est prévue « sur le respect du corps, son intégrité et le savoir dire non ». Les parents découvrent cependant que leurs enfants, qui ont bien été regroupés dans une classe différente de celle de l’agresseur, le voient en cours deux après-midi par semaine, et ils comprennent qu’ils vont le croiser encore pendant des années dans la cour de récréation, à la cantine et le mercredi.

Des faits qualifiables de viol sont révélés

Car les trois petites victimes vivent mal de voir Lény, qui leur fait peur. En septembre, Arnaud affirme qu’il est malade pour ne pas aller à l’école, selon sa mère. Laura se met à pleurer parfois sans raison, refusant d’aller en classe, à tel point que sa mère décide d’arrêter de travailler fin octobre pour s’en occuper les jours où elle va mal.

Surtout, les enfants continuent de parler, et des faits encore plus graves sont révélés par Axel, au sujet d’Arnaud, et pour lui-même, entre-temps. Des faits qualifiables de viol, puisque Lény aurait « mis le zizi d’Arnaud dans sa bouche », et il aurait aussi pris le zizi d’Axel dans ses mains, un geste qui a fait « mal » au petit garçon. Les parents d’Arnaud et d’Axel portent plainte. La mère d’Arnaud estime que son fils « paraît plus triste » et « pleure plus souvent ».

Les faits sont rapportés par e-mail à la directrice et à l’Inspectrice de l’Education nationale, qui rencontre les deux familles séparément mi-novembre. Les parents demandent que l’enfant agresseur soit changé d’école, mais on leur répond qu’il faut attendre la décision du procureur, que ce n’est pas possible de faire cela pour un enfant de primaire. On propose aux deux familles, selon les témoignages des parents, de changer leur enfant d’école. Une proposition qui révolte les parents. « Quand il y a une agression au travail, c’est l’agresseur qui est changé d’endroit, pas la victime », commente Coralie, la maman d’Arnaud.

Un guide de l’Education nationale boudé par l’Education nationale

En décembre, les affaires sont classées sans suite, en raison du jeune âge de la victime. A l’école, rien ne change, car le juge n’a visiblement pas requis de changement d’établissement pour Lény. A partir de ce moment, les parents n’auront de cesse de formuler cette demande, pendant quatre mois qui leur ont paru interminables.

Pourtant, il existe en matière de violences sexuelles un guide édité par le Ministère de l’Education nationale, qui paraît clair. « Il est nécessaire que l’élève agresseur soit changé d’école ou d’établissement scolaire, l’élève victime devant pouvoir rester dans sa classe », indique ce guide. « Je ne vois pas ce qui s’opposerait à le changer d’école. Je partage le désarroi de la famille. Mais ça ne m’étonne pas, car il y a le souci de ne pas ostraciser certains cas particuliers », commente pour sa part Claude Savinaud, psychologue clinicienne, qui a écrit Violences sexuelles d’adolescents.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

De fait, Lény connaît des difficultés à l’école, à tel point que sa situation finit par être reconnue par la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH). La révélation de ces faits n’arrange pas la situation, et au fur et à mesure, il apparaît de plus en plus isolé dans la cour. Mais le fait que Lény souffre aussi, qu’il n’est pas responsable de ses actes et qu’il est peut-être lui-même victime (voir notre article) justifie-t-il de ne pas protéger les autres enfants et de leur imposer la vue d’un enfant qui les terrorise ?

« Laura n’ira plus à l’école »

Car Laura par exemple connaît de nouvelles crises de pleurs, dont une qui a été enregistrée, datant de la mi-mars, et que 20 Minutes a pu entendre, où elle dit avoir « toujours peur » que Lény fasse subir la même chose à d’autres enfants, et ne pas se sentir en sécurité. Le médecin scolaire conseille à sa mère de la changer d’école.

La situation s’emballe en mars et avril quand les enfants subissent des agressions verbales et physiques de Lény. Mi-avril, Arnaud rentre très perturbé le soir, jetant des objets, criant dans l’appartement, se griffant le visage et pleurant beaucoup selon sa mère. « Il y a Lény qui défile et qui écrase tous les manteaux, qui écrase les têtes et commence à pousser Anaïs et à pousser Axel. Du coup, moi, j’ai voulu me battre parce qu’il n’y avait pas d’animateur assez près pour le dire, et il a commencé à me donner des coups de poing dans mes lunettes », explique Arnaud, dans une conversation enregistrée par sa mère, que nous avons pu consulter. «

Ce n’est plus tenable pour nous » écrit Amélie*, la mère de Laura, dans un mail adressé à l’inspectrice et à l’adjoint du recteur, expliquant que sa fille est « angoissée ». « Tant que la solution pérenne ne sera pas apportée, Laura n’ira plus à l’école », écrit-elle le lendemain, devant l’absence de réponse. Quelques jours avant, un article est paru dans un média, qui révèle les faits et pointe le fait que l’enfant agresseur est toujours dans l’école. Le 22 avril, l’adjoint du recteur annonce que les parents de Lény « ont accepté cette décision de changement d’école ». Mais il aura fallu plus de dix mois pour en arriver là, et peut-être un article de presse.

Omerta

« La situation que vous décrivez a été prise en charge selon la temporalité adaptée et toutes les familles ont reçu un accompagnement de la part des services de l’Etat et des services municipaux, attachés à faire prévaloir le bien-être des enfants », nous répond le rectorat de Versailles, qui a été par ailleurs pointé du doigt ces derniers mois pour des courriers au ton menaçant adressés à des familles d’enfants harcelés.

Les parents que nous avons interviewés dénoncent au contraire une forme « d’omerta », et une absence de communication entre les différentes parties, notamment entre le périscolaire et l’école elle-même. Et ils regrettent des démarches usantes, qui les ont accaparés au moment où ils avaient le plus besoin de s’occuper de leurs enfants. « Tout le temps que je passais à faire des mails, c’était du temps que je n’avais pas avec Arnaud. Il avait l’impression que je ne m’occupais pas de lui. Est-ce qu’il aurait mieux valu que je ne fasse pas tout ça ? », s’interroge même Coralie. « Tous ces mails de relance… je n’aurais pas réussi seule », lâche Amélie.

*Tous les prénoms des parents et enfants victimes ont été changés