IMPASSEAu PS, après le « moratoire » sur la Nupes, le grand flou

Au Parti socialiste, le grand brouillard après le « moratoire » sur la Nupes

IMPASSEEntrainés très rapidement, et sans vraiment le vouloir, dans une rupture avec les insoumis, les socialistes pourraient se retrouver dans leur position flottante d’avant 2022
Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, et le coordinateur de la France insoumise, Manuel Bompard, le 12 octobre 2023.
Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, et le coordinateur de la France insoumise, Manuel Bompard, le 12 octobre 2023.  - LUDOVIC MARIN / AFP / AFP
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Le « moratoire » du PS sur la Nupes semble se transformer en séparation pure et simple de la Nupes.
  • Mais pour quelle stratégie alternative ? Pour le moment, c’est le grand flou.
  • A tel point qu’on se demande si le PS avait les moyens de ce « moratoire »…

Le 15 novembre, l’Assemblée s’est prononcée sur une énième motion de censure, qui faisait suite à un énième 49.3. Mais cette fois, la motion n’était pas seulement insoumise. Communistes et écologistes l’avaient aussi signée. Pas les socialistes. André Chassaigne, le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR, où siègent les communistes), avait pris l’initiative d’appeler ses homologues des autres groupes de gauche pour organiser une motion unitaire. Mathilde Panot, l’insoumise, et Cyrielle Châtelain, l’écolo, tombent rapidement d’accord. « Quand j’appelle Boris Vallaud [le président du groupe socialiste], il me dit qu’il ne peut pas s’engager pour son groupe en si peu de temps, nous n’avions que quelques heures pour déposer le texte. »

Et pour cause : le groupe est divisé. Une quinzaine de députés et députées militent pour signer avec l’ex-Nupes, dont Boris Vallaud et Olivier Faure, le premier secrétaire. Mais les déclarations du député LFI David Guiraud sur Israël les jours précédents en ont refroidi certains. Décision est finalement prise de ne pas signer la motion mais, comme d’habitude, de la voter. « On est d’ailleurs le seul groupe, avec LFI, où il ne manque pas un vote pour la motion. C’était notre manière de contrebalancer… mais c’est illisible », constate un socialiste unioniste. Illisible, c’est aussi le mot qu’on est tenté d’utiliser pour décrire la stratégie du Parti socialiste depuis que les attaques du Hamas en Israël ont massivement bouleversé le jeu à gauche : « On se retrouve en défensif sur un chemin de crête », résume Arthur Delaporte, député PS perçu comme le plus pro-Nupes.

La Nupes sans la Nupes

Après une valse-hésitation, le PS a en effet décrété, mi-octobre, un « moratoire » sur sa participation à la Nupes. Les socialistes n’y participent plus tant qu’une réflexion – que plus personne n’espère – sur le fonctionnement de l’alliance n’est pas engagée. Dans les faits, il n’y a plus de réunion de l’intergroupe le matin… et c’est à peu près tout. Les liens avec LFI restent importants : « On a voté leurs motions de censure, les députés de chaque commission continuent de travailler ensemble. Il y a des convergences ! », assure un cadre socialiste. Dernier épisode en date : le recours au Conseil constitutionnel contre la loi plein emploi a été signé par tous les groupes de l’ancienne Nupes. Ne manquait que le logo sur le communiqué de presse.

Voilà qui agace certains députés LFI : « Si on considère qu’on est effectivement des complices du Hamas, alors on ne peut pas faire copain-copain toutes les deux heures dans les couloirs » Le problème, c’est qu’avec 32 députés et députées, le groupe socialiste n’a pas vraiment le choix. Impossible de déposer seul une motion de censure, un recours au Conseil constitutionnel ou de peser dans les débats. « Si on décide de ne rien signer à cause de tel ou tel député LFI, on ne pourra plus rien faire d’ici la fin du mandat. Ça a vite fait consensus. Mais il va falloir laisser passer du temps », explique un député PS unioniste.

« Pas le bon motif de rupture avec LFI »

La question se pose alors : le Parti socialiste a-t-il les moyens de son moratoire ? « C’est une bonne question… », reconnaît le même. D’abord sur la forme : le Parti socialiste peut-il s’appliquer à lui-même ce qu’il réclame à la France insoumise, c’est-à-dire renoncer à sa liberté de parole comme parti et s’entendre d’abord sur chaque sujet avec ses partenaires ? Serait-il, par exemple, capable d’accepter sans broncher une coalition de gauche qui décide majoritairement de renoncer à l’autoroute Toulouse-Castres, pour laquelle la présidente PS de l’Occitanie, Carole Delga, se bat ? C’est très douteux.

Sur le fond, ensuite. Six semaines après l’attaque terroriste du Hamas sur Israël, les positions entre le Parti socialiste et la France insoumise sont très proches : demande d’un cessez-le-feu, droit international humanitaire, solutions à deux Etats… Certes, la France insoumise refuse toujours obstinément de qualifier de terroriste le Hamas. C’est notable, mais tout le monde ne considère pas cela comme un problème fondamental. « Je suis convaincu qu’on a trop diabolisé, reconnaît un député socialiste. D’autant que je ne crois pas que le conflit israélo-palestinien soit un motif de division en France : ça passionne les rédactions parisiennes mais pas les gens. Ce n’est pas le bon motif de rupture avec LFI. Sur les émeutes de cet été, ça aurait été plus cohérent. »

Parti culboto

Même Olivier Faure semble vouloir mettre le holà dans la diabolisation vitesse Grand V qu’ont connu les insoumis ces quatre dernières semaines : « Il ne faut peut-être pas chercher une polémique par jour », a-t-il déclaré en début de mois sur Public Sénat au sujet de l’interprétation des tweets de Jean-Luc Mélenchon. Rappelant que, tout de même, LFI avait reconnu les crimes du Hamas.

« On a un peu été embarqué dans un truc qui s’est imposé à nous… mais maintenant, c’est fait », constate le député PS unioniste cité plus haut. Un autre pense que la rupture est arrivée plus tôt que ce tout le monde imaginait (lors de la campagne des européennes de juin prochain), et que le parti n’y était pas préparé. Résultat, le PS semble retrouver sa position du premier quinquennat Macron : un parti qui donne l’impression de ne pas savoir où il habite, et dont les positions sont définies tel les mouvements d’un culbuto sous les coups de l’actualité. « On ne peut pas retomber dans ce flou artistique où l’on a l’air d’être l’aile gauche de la macronie, nous sommes un parti d’opposition ! », prévient Philippe Brun, député PS tendance unioniste.

Fait de jeu

Pour résumer, les socialistes ont vu, dans la polémique post-7 octobre, une occasion en or de se débarrasser de Jean-Luc Mélenchon. Ils sont allés à la bataille sabre au clair et en présumant clairement de leurs forces. Mais en cette fin novembre, Jean-Luc Mélenchon, qui n’est sans doute pas dans sa meilleure forme, reste d’après les sondages loin, très loin devant toutes les autres options à gauche. « C’est normal, cingle un proche d’Olivier Faure. La plupart des gens ne s’intéressent à la politique qu’une fois tous les cinq ans. Pour la plupart de ces gens-là, le leader de la gauche, le vote utile, c’est toujours Mélenchon. La question c’est : comment on change cet état de fait ? C’est le travail des prochains mois. »

Voilà tout de même beaucoup de changements de pied : vers une union début 2021, puis une candidature socialiste très anti-Mélenchon en 2022, puis la Nupes, enfin une rupture impréparée… « L’Histoire montre que les crises sont toujours dépassables, rappelle Arthur Delaporte. Car les situations politiques ne restent jamais les mêmes. Il y a toujours des évolutions du contexte, des faits de jeu, des événements majeurs qui nous font finalement dire que ce qui nous rapproche est plus fort. » Tout cela est vrai, la Nupes elle-même était un évènement inattendu. Mais pour le PS, il vaudrait mieux que le prochain fait de jeu arrive rapidement.