COMPTE RENDUSursis requis pour avoir ironisé sur la mort d’un bébé israélien

Paris : 10 mois avec sursis requis à l’encontre de l’influenceuse ayant ironisé sur la mort d’un bébé israélien

COMPTE RENDUL'influenceuse Warda A., 37 ans, était jugée ce mercredi, à Paris, pour apologie du terrorisme
Warda A. a posté une vidéo dans laquelle elle ironise au sujet d'un bébé tué lors de l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023.
Warda A. a posté une vidéo dans laquelle elle ironise au sujet d'un bébé tué lors de l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023. - CAPTURE X / X
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Connue sous le pseudonyme Haneia Nakei, Warda A. comparait devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour « apologie d’un acte de terrorisme au moyen d’un service de communication en ligne », et « provocation publique à la haine, à la violence ou à la discrimination à raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion ».
  • Il est reproché à cette femme, née en 1986 et de nationalité française, d’avoir ironisé, dans une story postée sur Instagram, sur la mort d’un bébé israélien en lien avec l’attaque du Hamas en Israël.
  • Dix mois de prison avec sursis ont été requis à son encontre. Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 6 décembre.

Au tribunal judiciaire de Paris,

L’audience, émaillée par plusieurs incidents, est à l’image de l’actualité internationale : électrique et laborieuse. Durant près de quatre heures, ce mercredi après-midi, les magistrats de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris ont d’abord examiné les questions prioritaires de constitutionnalité et les nullités de procédures soulevées par la défense. Il est 17h45 lorsque la prévenue est enfin appelée à la barre. Poursuivie pour « apologie du terrorisme », Warda A., 37 ans, se défend d’être une « influenceuse » et une « mannequin », comme elle a parfois été présentée dans la presse. Suivie sur Instagram par près de 10.000 personnes, elle n’a pourtant pas grand-chose d’intéressant à raconter à sa communauté. « Je parle un peu de tout : de l’actualité, de mes journées, des cours de sport, de ma cuisine », explique-t-elle, les mains posées sur le pupitre. « Je suis une femme lambda, c’est une échappatoire. »

Le 3 novembre dernier, cette mère de deux enfants, divorcée, qui n’a « pas fait de grandes études », publie sur le réseau social une story intitulée « Israël Je t’aime ». Une publication qui a suscité de nombreuses réactions. Warda A. a tenté de faire une blague plus que douteuse sur la guerre qui oppose Israël et le Hamas. La vidéo est diffusée à l’audience. Face à la caméra, cette brune aux cheveux courts explique : « À chaque fois que je tombe sur l’histoire du bébé qui a été mis dans le four, je me pose la question de s’ils ont mis du sel, du poivre, s’ils ont mis du thym ? Ils l’ont fait revenir à quoi ? Et ça a été quoi l’accompagnement ? Vous ne vous posez pas la question, vous ? » La séquence, choquante, a été signalée à de nombreuses reprises à la plateforme Pharos, gérée par la police nationale. Plusieurs associations ont ensuite déposé plainte et Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a décidé de saisir la justice. Le parquet de Paris a ouvert une enquête.

Une « fille lambda qui se retrouve otage de tout ce qu’il se passe »

Une autre publication de Warda A., postée cette fois sur Snapchat, lui vaut également ses ennuis avec la justice. « Je vous le dis, n’ayez pas peur de le dire, le Hamas ce n’est pas des terroristes, ce n’est pas un mouvement terroriste », affirme-t-elle dans cette vidéo. Elle qualifie cette organisation de « mouvement politique, avec une branche armée » qui « défend la Palestine ». La présidente du tribunal l’interroge sur « l’intérêt » qu’elle porte à ce conflit. « Aujourd’hui, c’est un peu le débat d’une bonne partie du monde. Donc c’est un peu normal que je me sente impactée par ce qu’il se passe », répond celle qui se décrit comme une « fille lambda qui se retrouve otage de tout ce qu’il se passe, qui dit ce qu’elle pense ». A travers ces publications, elle a « voulu expliquer qu’on est manipulé par la propagande [des médias] qui essaie de nous diviser ». « C’est rajouter de l’horreur à l’horreur. » Ses propos, assure-t-elle, ont été sortis de leur « contexte ».

« Pour moi, le 7 octobre, c’est le début d’une guerre. Je ne remets pas en cause que le 7 octobre soit un acte terroriste », poursuit la prévenue. Avant de préciser que, pour elle, « le Hamas est un mouvement politique avec une branche armée ». « Plusieurs politiques français le disent », se justifie-t-elle. Pourquoi a-t-elle ajouté à ses vidéos un bandeau sur lequel est inscrit « Israël je t’aime » ? « C’est une façon de déjouer les algorithmes. Pour qu’il arrête de bloquer mes vidéos. C’est une forme de ruse », indique-t-elle. « Je me suis aperçue que mes stories étaient bloquées quand je défendais les Gazaouis. » Warda A. dit regretter la situation. « Ça a été beaucoup trop loin. On m’a fait passer pour une raciste, une antisémite. J’ai eu des menaces de mort, sur moi, mes enfants. » Elle assure ne pas avoir conscience d’avoir fait « quelque chose de mal ». Ses propos, jure-t-elle, ont été « mal interprétés ».

« Il y a des limites à la liberté d’expression »

« Ce que j’essaie de défendre depuis le début, c’est la paix », ajoute-t-elle, précisant avoir l’impression qu’on cherche à la « faire passer pour une islamiste, une extrémiste ». La prévenue affirme s’informer grâce aux réseaux sociaux, et trouver d’autres sources sur Google. Pour elle, cette affaire de bébé retrouvé brûlé dans un four « ne peut pas être vraie ». « Ça me choque trop. Je peux comprendre qu’on ne soit pas d’accord avec ce que je pense. Je vois quelque chose qui est dit, qu’on dément, une rumeur. »

Alors que vient le tour des sept parties civiles de l’interroger, la trentenaire prévient qu’elle ne veut répondre qu’aux juges. Les avocats tentent malgré tout de la faire réagir. En vain. « Ne pas répondre est un droit mais ça veut dire quelque chose », estime Me Muriel Ouaknine Melki, l’avocate l’Organisation Juive Européenne (OJE), qui demande au tribunal d’entrer en voie de condamnation. Pour Me Oudy Bloch, l’avocat de l’Organisation juive européenne (OJE), Warda A. est « dangereuse ». « Depuis le 7 octobre, j’ai la nausée de tous ces propos abjects tenus en public, j’ai la nausée de ceux qui refusent de voir que l’idéologie du Hamas est la même que celle de Daesh », dénonce l’avocat. « Il y a des limites à la liberté d’expression », plaide de son côté Me Gilles Pudlowski, l’avocat de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).

« Si c’était vrai, elle ne l’aurait pas fait »

« Des milliers de personnes ont été choquées par les propos de la prévenue », souligne Me Corinne Serfati, l’avocate du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme. Avant d’ajouter : « Par la condamnation que vous prononcerez, vous montrerez que le racisme, l’antisémitisme ne constitue pas une idée mais un délit. » Pour le procureur de la République, « le fait de présenter les auteurs d’un acte terrorisme sous un jour favorable est bien évidemment constitutif d’une infraction ». Le magistrat, qui estime que la prévenue « s’est radicalisée en un temps record », requiert 10 mois de prison avec sursis.

Pour Me Elisa Lashab, l’un des deux avocats de Warda A., sa cliente « ironise sur une information qu’elle sait fausse ». « Elle vous l’a dit, si c’était vrai, elle ne l’aurait pas fait », insiste-t-elle. La décision sera rendue le 6 décembre prochain.

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