LOGEMENTDes locataires sacrifiés sur l’autel du Airbnb pour les JO ?

Airbnb : Paris alerte face aux propriétaires tentés de ne pas jouer le JO

LOGEMENTLes élus parisiens souhaitent instaurer un délai minimum d’un an entre le congé donné à un locataire et le moment où le logement devient louable sur les plateformes
Le nombre de congés délivrés par les propriétaires à leurs locataires augmente depuis cinq ans selon l'Adil 75. (Illustration)
Le nombre de congés délivrés par les propriétaires à leurs locataires augmente depuis cinq ans selon l'Adil 75. (Illustration) - Franck Lodi / SIPA / Sipa
Romarik Le Dourneuf

Romarik Le Dourneuf

L'essentiel

  • Des élus parisiens s’inquiètent d’une tendance chez les propriétaires parisiens de vouloir se débarrasser de leurs locataires pour mettre leur logement sur Airbnb en vue des Jeux olympiques de Paris 2024.
  • Selon l’Adil 75, le nombre de congés invalablement délivrés aux locataires augmente ces dernières années, une tendance qui se poursuit en 2023.
  • Pour lutter contre la multiplication des logements meublés touristiques au détriment des locataires parisiens, les élus souhaitent instaurer un délai minimum d’un an entre le congé délivré au locataire et sa mise en location sur les plateformes numériques.

La tentation peut être grande au regard des gains potentiels. À l’approche des Jeux olympiques de Paris, l’idée de louer son appartement sur Airbnb doit germer dans la tête de nombre de propriétaires, mais pour cela, il faut libérer les lieux. Et donc souvent demander au locataire présent de partir.

C’est en tout cas la crainte d’élus parisiens qui ont exprimé, ce jeudi, leur souhait de voir l’arsenal législatif renforcé pour lutter contre les locations touristiques illégales et multiplier les contrôles à l’approche des Jeux.

Une rumeur qui pourrait devenir tendance

« Ce sont des informations qui nous remontent aujourd’hui d’élus qui reçoivent des locataires dans leurs permanences », explique Ian Brossat, sénateur de Paris et ancien adjoint d’Anne Hidalgo chargé du logement. Des soupçons plutôt que des certitudes tant il est difficile de connaître les réelles intentions des propriétaires tant que le locataire est en place. Et même après. Car, malgré les 10.000 contrôles par an de logements meublés touristiques effectués par les agents de la Mairie, les démarches administratives rendent toute vérification laborieuse.

Tweet du Sénateur de Paris, Ian Brossat.
Tweet du Sénateur de Paris, Ian Brossat. - Capture d'écran X (Ex-Twitter)

Pour pouvoir donner un congé à son locataire, le bailleur doit justifier sa démarche. Et cela ne peut être que pour un usage personnel (en faire son logement principal, ou celui d’un ascendant, d’un descendant ou d’un concubin, pour la vente du bien ou pour un litige avec le locataire).

Difficile de connaître la véritable ampleur du phénomène

« Il est très compliqué de comptabiliser les congés qui ne respectent pas la loi, précise Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, mais nous avons de nombreux retours de terrain qui nous font craindre des "reprises" de logement par les bailleurs qui ne sont pas pour ces usages. Et cela peut être motivé par l’envie de louer son logement sur Airbnb de manière générale, et notamment en vue des Jeux de l’été prochain. »

Une crainte partagée par l’Adil 75 (Agence départementale d’information sur le logement de Paris). « Nous sommes contactés par des locataires qui pensent recevoir un congé pour cette raison, explique Hélène Le Gall, directrice générale de l’agence, cela vient souvent de discussions avec le bailleur. »

Selon la directrice générale, cette pratique n’est pas propre aux JO puisque le nombre de congés distribués par les propriétaires augmente ces cinq dernières années (à l’exception de 2020, année Covid-19, où le tourisme a connu une chute spectaculaire). Mais alors que 19 % des 2.300 congés délivrés en 2022 n’étaient pas validés, sur les 2.400 déjà délivrés en 2023, le chiffre monterait à 23 % selon l’Adil 75.

Déjà la réalité pour certains locataires

Pour Ludivine, 22 ans, cela ne fait aucun doute dans son cas : « Je vais me retrouver sur le canapé d’un ami parce que lui va se faire mon loyer par semaine… » Cette étudiante en sciences sociales vit dans son appartement depuis un peu plus de deux ans et a été informée par son propriétaire qu’elle allait devoir quitter son appartement avant le mois de juin prochain.

Rien d’illégal pour le moment puisqu’elle a été prévenue six mois avant l’échéance comme le prévoit la loi. Sauf que Ludivine a de forts doutes sur les motivations de son bailleur : « Au début, il m’a dit que c’était pour venir y habiter avec sa famille. Avec sa femme, ils ont deux enfants et des super boulots. Je doute qu’ils puissent s’installer avec dans mon 14 m2… »

Des doutes renforcés par les changements de version du propriétaire. « Une fois, il m’a dit que ça ne me regardait pas, puis il a prétexté les études de sa fille. Il n’y a rien de cohérent. » Contacté par 20 Minutes, ce propriétaire refuse de donner sa version des faits mais assure être dans son bon droit.

« Je ne savais pas qu’il n’avait pas le droit »

Ce qui n’est pas le cas du bailleur de Nora* qui a dû quitter son appartement en avril dernier. « Les voisins avec qui j’ai gardé contact m’ont dit qu’ils voient les touristes défiler avec leurs valises. » Selon ces mêmes voisins, le propriétaire, toujours le même, vient régulièrement s’occuper de l’appartement entre les locations. « Je n’ai pas protesté dans un premier temps, j’étais dégoûtée, mais je ne savais pas qu’il n’avait pas le droit. Quand il m’a annoncé que je devais partir, je ne pensais plus qu’à une chose : retrouver un autre appart au plus vite. »

« La grande majorité des locataires ne vont pas vérifier ce que devient le bien par la suite, ils ont autre chose à penser », constate Hélène Le Gall. Mais la directrice encourage les locataires qui se sentent floués à contacter son équipe pour peut-être ouvrir un dossier.

Les élus veulent un délai minimum d’un an pour décourager les propriétaires tentés

« La tension est si forte sur le logement à Paris qu’il n’est pas acceptable de voir des propriétaires se débarrasser de leurs locataires pour créer un nouvel Airbnb en juillet », s’indigne Ian Brossat qui souhaite instaurer un délai minimum d’un an entre le congé donné à un locataire et le moment où le logement devient louable sur les plateformes. Une mesure inscrite dans un texte de loi transpartisan qui sera examiné le 28 novembre à l’Assemblée nationale.

Un texte qui a peu de chance d’être validé d’ici à la cérémonie d’ouverture le 26 juillet 2024 au regard de la vitesse « des processus législatifs » selon Emmanuel Grégoire. « Il y a une pénétration du lobbying du logement touristique au haut niveau de l’Etat. À chaque fois qu’on défend un texte sur le sujet [du logement touristique meublé], une astuce est trouvée pour faire retarder les échéances. Mais les débats qui émergent avec les JO sont un excellent moyen de plaidoyer pour remporter l’adhésion. »

En partenariat avec Make.org, la Mairie de Paris organise un grand débat public, les « Dialogues parisiens », sur le sujet « Bien grandir à Paris ». Pour participer, il suffit de faire ses propositions sur le formulaire suivant :


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