des paroles et des actesMais à quoi joue Antonio Guterres avec ses punchlines climatiques ?

« Autoroute de l’enfer », « coopérer ou périr »… A quoi joue Antonio Guterres avec ses punchlines climatiques ?

des paroles et des actesLe secrétaire général de l’ONU détonne avec ses mots toujours plus forts sur l’urgence climatique
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres est un adepte des phrases chocs en matière de climat.
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres est un adepte des phrases chocs en matière de climat.  - CHINE NOUVELLE/SIPA / SIPA
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • A quelques jours du lancement de la COP28, 20 Minutes s’intéresse à la communication d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU.
  • Le dirigeant portugais est un adepte de discours offensifs et de punchlines incisives sur l’écologie. Cette communication est-elle efficace et son engagement sur ses sujets est-il sincère ?
  • Eléments de réponse avec Albin Wagener, analyste de discours, Sarah Roussel, chargée de campagne climat chez Greenpeace et Yves Léonard, spécialiste du Portugal.

Une veste de costard noire, des cheveux blanc gris savamment peignés et deux lourdes cernes sous les yeux. A 74 ans, son âge flirtant avec celui de l’institution qu’il dirige, Antonio Guterres est un habitué des salons feutrés et des tractations policées. Le secrétaire le plus puissant du monde préside aux destinées des Nations Unies depuis 2017, traînant sa stature de diplomate international partout où la planète le réclame. Mais, avec l’ancien Premier ministre portugais, se fier aux apparences serait se fourvoyer. Derrière sa bonhomie se cache une certaine férocité sur un sujet : le climat

Polyglotte, Antonio Guterres a pris le parti radical de ne pas parler chinois en abordant l’écologie. Le septuagénaire enfile les punchlines, toutes plus frappantes les unes que les autres. « Nous sommes sur l’autoroute vers l’enfer climatique, avec le pied toujours sur l’accélérateur », a-t-il asséné il y a près d’un an jour pour jour. L’addiction aux énergies fossiles de l’humanité « a ouvert les portes de l’enfer », a déclamé Guterres en septembre. A l’approche de la COP28 (30 novembre-12 décembre), le patron de l’ONU a aussi exigé « des efforts spectaculaires, maintenant ».

« Il casse les codes du discours institutionnel »

De mémoire d’expert, Albin Wagener n’a pas le souvenir d’une telle accumulation de bons mots, surtout chez un dirigeant de l’ONU. « Il est dans le registre de la punchline qui détonne alors qu’on s’attend à ce qu’il produise des discours plus cadrés, poursuit l’analyste de discours, directeur de recherche à l’Icam et auteur du livre Blabla : en finir avec le bavardage climatique. Il casse les codes du discours institutionnel. »

Pour alerter sur le réchauffement climatique et les autres préoccupations qui menacent la planète, Antonio Guterres n’hésite pas à relayer les aspirations des militants. Et ça semble séduire. « L’ONU héberge les COP, il est dans son rôle de mettre la pression sur les dirigeants du monde entier. Il faut des discours comme celui-là, accompagnés de mobilisation », s’enthousiasme Sarah Roussel. Au-delà des phrases chocs, la chargée de campagne sur le climat chez Greenpeace France voit dans cette « interpellation publique » une projection « pour dire que les solutions existent, qu’il est encore possible de maintenir la planète ».

Pour Albin Wagener, le Portugais a mélangé tous les ingrédients d’une bonne stratégie de communication, surtout à l’ère des réseaux sociaux. « Pour s’adresser aux générations de tous les pays, il faut des visuels courts et impactants, dépeint l’expert. Lui et ses conseillers arrivent à parler un langage digital, qui, en plus des jeunes, peut aussi parler aux entourages politiques des dirigeants, et aux communicants ».

Une communication efficace… Et sincère ?

Stratégiquement, la logique de Guterres semble tenir la route. Mais, idéologiquement, le dirigeant est-il aligné avec le programme qu’il propose ? Pour juger de la sincérité de son engagement, il est utile de replonger dans le passé du leader.

Avant de lancer sa carrière onusienne, Antonio Guterres a marqué l’histoire politique du Portugal pour deux raisons, nous renseigne Yves Léonard, enseignant à Sciences po et spécialiste du Portugal : ce fut la première figure socialiste en situation de gouverner depuis Mario Soares et il a incarné un autre visage de la sociale démocratie. « Il avait une capacité à rassembler, à être consensuel. A l’époque, il était connu pour être tout en rondeur, avec un sens certain de l’anticipation et de la négociation. Aujourd’hui, il s’est adapté à l’air du temps. »

« Il veut convaincre en interne » de l’urgence climatique

Premier ministre de 1995 à 2002, cet ami d’enfance de l’actuel président de la République Marcelo Rebelo de Sousa avait une sensibilité environnementale grâce à son côté « humaniste », assure notre spécialiste. Mais ce choix ne s’est pas reflété de manière éclatante dans sa politique. « Le Portugal voulait développer ses infrastructures, moderniser les réseaux, il y a eu une forte période de bétonisation ». Malgré ce cap peu vertueux, il avait nommé Elisa Ferreira (aujourd’hui commissaire européenne), spécialiste de l’aménagement régional, au ministère de l’Environnement. « Elle avait une réelle compétence sur ses sujets. Pour Guterres, ce n’était pas un engagement anodin », assure Yves Léonard.

Tout sur Antonio Guterres

Secouer les dirigeants et l’opinion publique, Antonio Guterres en a fait son credo. Avec son micro pour arme principale, il pourrait avoir une autre cible à la portée plus resserrée. « Il ne faut pas oublier que le Giec est hébergé par l’ONU. Le fonctionnement des Nations Unies est bien plus conservateur que les discours de Guterres et ces derniers visent aussi sa propre institution, avance Albin Wagener. Il veut convaincre en interne et faire prendre conscience de l’urgence. »

Une liberté de ton dopée par l’obtention d’un second mandat qui l’assure d’être secrétaire de l’ONU jusqu’en 2026. Antonio Guterres aura alors 77 ans. Mais il n’y a pas d’âge pour conclure une carrière de punchlineur.