Qui en veut ?Avec un gisement record, les pêcheurs de Saint-Jacques cherchent la recette

Coquille Saint-Jacques : Avec leurs gisements de compet', les pêcheurs cherchent la recette

Qui en veut ?En Normandie comme en Bretagne, le stock est tel que les professionnels de la mer atteignent les quotas en quelques heures de pêche seulement
Les stocks de coquilles Saint-Jacques n'ont jamais été aussi abondants tant en Bretagne qu'en Normandie. Les pêcheurs sont ravis mais doivent trouver à qui les envoyer.
Les stocks de coquilles Saint-Jacques n'ont jamais été aussi abondants tant en Bretagne qu'en Normandie. Les pêcheurs sont ravis mais doivent trouver à qui les envoyer.  - C. Allain/20 Minutes / 20 Minutes
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • Le gisement de coquilles Saint-Jacques bat des records d’année en année, permettant aux pêcheurs de bien travailler.
  • En Normandie et en Bretagne, les stocks sont tellement élevés que quelques heures en mer suffisent pour atteindre les quotas.
  • Le défi de la profession est de trouver davantage de débouchés pour écouler une marchandise souvent jugée comme un produit de fête.

Ils ne sortent en mer qu’une heure et demie par jour et encore, pas tous les jours. Et ils n’ont pas besoin d’aller très loin. Depuis l’ouverture de la pêche à la coquille en octobre, les pêcheurs de Saint-Jacques de la baie de Seine vivent des journées plutôt paisibles. Un fait rare dans ce métier que l’on sait rugueux. Profitant d’un gisement exceptionnel, les professionnels de la mer n’ont pas besoin de partir très loin des côtes pour remplir leur quota de la journée. Et ils ne sont pas les seuls. Dans la Bretagne voisine, les pêcheurs de coquilles des baies de Saint-Malo et de Saint-Brieuc profitent eux aussi d’énormes stocks qui tapissent les fonds marins. Très présente sur les étals des marchés, des poissonneries et de la grande distribution, la chair blanche continue de séduire les habitués. Mais soyons clairs : il n’est pas simple de tout vendre quand la ressource est aussi abondante.

Ils étaient chauds, prêts à envoyer. En octobre, les pêcheurs de coquilles des Côtes-d’Armor ont dû réfréner leurs ardeurs. Après avoir débarqué des tonnes de Saint-Jacques les premiers jours, les armements ont dû se rendre à l’évidence : les acheteurs n’étaient pas là. Le premier jour, 111 tonnes de coquilles n’ont pas été vendues. « Tout le monde est parti plein pot, c’était beaucoup trop tôt », balance un habitué. Pour réguler le marché, le comité départemental des pêches avait immédiatement divisé par deux le temps de pêche autorisé. Fin connaisseur de ce marché, Dimitri Rogoff a son petit avis sur ce lancement raté. « Il faisait encore trop chaud en octobre. La coquille est un produit assimilé à l’automne et à l’hiver. On le voit comme un produit de fête, les gens n’en avaient pas encore envie », estime le président du comité régional des pêches de Normandie.

« C’est bien l’un des seuls produits qui n’a pas augmenté »

Sa région fournit à elle seule 70 % des coquilles fraîches vendues en France. Facile à pêcher, présent en quantité, le coquillage sacré se heurte à un problème de taille en restant perçu comme un produit de luxe. « Il faut regarder les prix. En ce moment, on est entre 3,50 et 4 euros le kilo pour un produit ultra-frais. Ne me dites pas que c’est cher. C’est bien l’un des seuls produits qui n’a pas augmenté », recadre Dimitri Rogoff. Sachant que l’on trouve six à sept noix dans un kilo, on peut donner raison au pêcheur normand, surtout quand on voit le prix d’une tranche de jambon blanc industriel. Le hic, c’est qu’avant de manger une Saint-Jacques, il faut la préparer, la vider, la nettoyer, se débarrasser des déchets vite odorants. Tout le monde n’a pas la technique d’ouverture millimétrée de Tomy, le plongeur dont le torse nu avait affolé la Toile. A l’image de l’artichaut qui peine à convaincre les jeunes, la coquille reste un produit qui séduit les habitués, ceux qui savent, ceux qui aiment.

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En Bretagne, la plupart des pêcheurs arrivent à écouler leurs stocks chaque jour, parce que les locaux aiment ça, que les prix restent maîtrisés et ne dépassent pas (encore) les 4 euros du kilo. « Les ventes sont au top en ce moment. Je dirais même que les quotas sont un peu bas tellement on nous en demande », témoigne Sylvain, membre de l’armement Toutant, basé à Cancale. « Le bateau ramène entre 3,5 et 4 tonnes chaque semaine. Et sans problème, car le gisement est en pleine forme. Mais moi, je suis en rupture tous les jours ! », explique celui qui est chargé de vendre les coquilles aux particuliers. Il n’est pas impossible que le comité départemental des pêches décide de rehausser les fameux quotas, même si la crainte de déséquilibrer le marché est bien présente. Car en Ille-et-Vilaine aussi, le démarrage de saison aussi avait été poussif.

Ici comme partout ailleurs en France, le problème est le même. La coquille est abondante, elle se duplique, elle grossit, elle se multiplie. « On ne va pas s’en plaindre, il faut s’en réjouir même. On peut être fiers. Parce que le gisement est bien géré et que les quotas de pêche sont bien fixés », assure Dimitri Rogoff. Selon, lui, c’est le choix d’une taille large des anneaux de capture qui permet une bonne sélection. Parfois critiquée pour racler les fonds, la pêche à la drague reste de loin la plus plébiscitée, loin devant la plongée.

Un gisement en pleine explosion qui bat record sur record

Mais dans la bouche de certains, il se dit que si la coquille est si abondante, c’est aussi parce qu’elle se plaît dans les eaux réchauffées par notre climat qui se détraque. Difficile pour l’heure de le prouver, même si les chiffres sont là. Dans la baie de Seine, on pêche 40.000 tonnes de coquilles par an aujourd’hui, contre 15.000 tonnes il y a un peu plus de dix ans. On a même mieux. En baie de Saint-Brieuc, l’estimation de l’Ifremer atteint un record. « La biomasse totale immédiatement exploitable est en augmentation de 30 % par rapport à l’année 2022 déjà exceptionnelle ». La question, c’est quoi en faire.

Car au-delà des seuls particuliers, le marché de la transformation semble un peu bouché. « Nos outils de transformation sont arrivés à saturation », assure Philippe Orveillon, ancien pêcheur plongeur aujourd’hui à la tête du comité des pêches d’Ille-et-Vilaine. « On doit trouver d’autres débouchés, de nouveaux clients si l’on veut continuer à exploiter le gisement ». L’ancien patron pêcheur plaide aussi pour « trouver des solutions afin d’adapter l’outil de pêche » et limiter son impact sur l’environnement afin de convaincre de nouveaux clients parfois réticents. « On assiste régulièrement à des campagnes de dénigrement. Mais la pêche française doit servir d’exemple. Regardez nos concurrents anglais. Ils viennent pêcher chez nous avec des bateaux énormes et des mailles toutes petites. A bord, ils ont des pêcheurs philippins qui sont payés à coups de trique. Comment voulez-vous qu’on préserve la ressource ? », s’emporte Dimitri Rogoff.

Pour sauver sa flotte, le patron de la pêche normande aimerait que les industriels du surgelé et du plat préparé se tournent davantage vers des produits français, ce qu’ils ne font pas aujourd’hui. « Regardez bien d’où viennent les noix congelées de votre supermarché et vous verrez ». Assise sur un immense trésor, la pêche française veut réussir à le monnayer. Mais sans se le faire voler. Ni en faire un commerce de cendriers.