MovemberPourquoi les hommes ont-ils plus de mal à aller consulter un psy ?

« Eduqués à serrer les dents », les hommes ont plus de mal à consulter un psy

MovemberEn 2019, un homme français sur dix (9,2 %) était atteint d’un syndrome dépressif, mais rare sont ceux qui poussent la porte du cabinet d’un psy
Si 35% des femmes ont déjà consulté un psychothérapeute, ils sont seulement 25% chez les hommes selon une étude YouGov réalisée en 2020 pour Psychologies.
Si 35% des femmes ont déjà consulté un psychothérapeute, ils sont seulement 25% chez les hommes selon une étude YouGov réalisée en 2020 pour Psychologies.  - Canva / Canva
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • 35 % des femmes françaises ont déjà poussé la porte d’un cabinet de psychothérapie, contre seulement 25 % des hommes, selon une étude YouGov réalisée en 2020 pour Psychologies.
  • Pourtant, la santé mentale de ces derniers n’est pas épargnée. A titre d’exemple, en 2019, un homme français sur dix (9,2 %) était atteint d’un syndrome dépressif.
  • À l’occasion de Movember, le mois de sensibilisation sur la santé masculine (et notamment la santé mentale), 20 Minutes a interrogé des thérapeutes pour comprendre pourquoi les hommes avaient plus de mal à franchir la porte de leur cabinet.

«Je peux m’en sortir tout seul », « je ne suis pas fou », « je ne vais pas aller raconter ma vie à quelqu’un que je ne connais pas », etc. Les arguments utilisés par de nombreux hommes en souffrance mentale pour ne jamais franchir la porte d’un cabinet de psychothérapie ne manquent pas.

Pourtant, la santé mentale de ces derniers n’est pas épargnée. A titre d’exemple, en 2019, un homme français sur dix (9,2 %) était atteint d’un syndrome dépressif. Autre chiffre frappant : 19,8 % de la population masculine a un usage dangereux de l’alcool, selon une étude de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives publiée en 2021. Reste que d’après une étude YouGov réalisée en 2020 pour Psychologies, 35 % des femmes françaises ont déjà consulté un psy, contre seulement 25 % des hommes. Un chiffre qui à l'heure de Movember, mois de sensibilisation sur la santé masculine (et notamment la santé mentale), interroge.

« Venir chez le psy est une preuve de courage, de force »

« Je vais rentrer dans des poncifs mais ils sont tellement vrais, prévient d’entrée le psychanalyste, Alain Heril. Les hommes sont éduqués à tenir le coup et à serrer les dents. Quand un homme ne va pas bien psychiquement, il se dit que ça va passer, qu’il doit rester solide. »

« Dans notre culture occidentale, les hommes sont plus incités à agir qu’à demander de l’aide, poursuit la psychologue Filipa Da Silva Pereira. En cas de difficulté, ils vont par exemple se plonger dans leur travail ou quitter leur femme pour partir dans une autre relation. » « Les hommes sont moins habitués à faire de l’introspection émotionnelle, à se demander comment ils vont, peut-être parce qu’on leur a moins appris », avance, pour sa part, la psychopraticienne Stéphanie Almon, qui estime qu’il faut « choisir d’affronter ses problèmes plutôt que de les contourner ». « Venir chez le psy est une preuve de courage, de force », abonde Filipa Da Silva Pereira.

Pour les professionnels que 20 Minutes a interrogés, il est aussi question d’ego. « Les hommes se disent souvent ''je ne vois pas comment quelqu’un que je ne connais pas pourrait m’aider plus que moi-même'' alors que les femmes sont habituées à demander des avis extérieurs », souligne ainsi Stéphanie Almon.

Trois fois plus de suicides chez les hommes

Les conséquences des impératifs de virilité ne s’arrêtent pas là. Selon les thérapeutes, la majorité des hommes, habitués à se comparer entre eux, préfèrent se confier à une et non un thérapeute. « Ils se disent souvent qu’une psychothérapeute va moins les juger qu’un professionnel masculin avec lequel il va y avoir un mécanisme de projection », avance encore la thérapeute Stéphanie Almon. Et quand ils finissent par pousser la porte d’un cabinet, les hommes le font plus tardivement que leurs homologues féminines. « Les femmes viennent souvent dès qu’elles rencontrent une problématique, elles agissent tout de suite, explique la psychologue Filipa Da Silva Pereira. Les hommes qui me consultent ont souvent entre 40 et 50 ans et traversent des angoisses et des phobies depuis des années, qui sont devenues pathologiques. »

En n’étant pas prises en charge suffisamment tôt, ces pathologies peuvent s’installer et les conséquences sont parfois dramatiques. « A force de "tenir" un maximum, ça peut casser à un moment de manière très violente avec des dépressions profondes, de graves burn-out, des idées suicidaires voire des passages à l’acte », prévient Alain Heril. Les chiffres sont d’ailleurs formels : les suicides sont trois fois plus nombreux chez les hommes que chez les femmes.

« On peut vivre des échecs dont on peut sortir vivant et solide »

Mais rien n’est immuable. La récente libération de la parole autour de la santé mentale et la remise en question des marqueurs de la virilité poussent de plus en plus d’hommes à s’allonger sur le divan (ou s’asseoir sur la chaise). Si la patientèle de tous les spécialistes interviewés est majoritairement féminine, une évolution se fait sentir. « Quand j’ai commencé en 1990, 95 % de ma patientèle était féminine, assure Alain Heril. Aujourd’hui, on doit être autour de 65 %. » Un constat partagé par Stéphanie Almon : « des hommes commencent à mettre des avis sur mon profil Google avec leur vrai nom et prénom. Cela n’arrivait jamais avant. »

Alain Heril regrette toutefois une évolution « très lente » : « il faut dire aux garçons, dès leur plus jeune âge, qu’on peut vivre des échecs, des moments où on n’y arrive pas, et dont on peut sortir vivant et solide. » Et nos trois spécialistes l’assurent : la société a tout à y gagner. « Cela apaiserait les rapports entre les deux genres, mais aussi entre les hommes en développant une fraternité », analyse Alain Heril.

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Pour finir de les convaincre les hommes les plus réticents, Stéphanie Almon rappelle qu’il existe de multiples types de thérapies. Car non, une thérapie ne dure pas forcément dix ans, et non, tous les thérapeutes ne se contentent pas de hocher la tête en ajoutant un « et qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ? » pour combler des silences gênants. « Moi, par exemple, je ne m’occupe pas de dépressions profondes ou de pathologies lourdes, mais de personnes qui viennent pour trouver des solutions à des petits problèmes de vie. L’idée est de voir les choses sous un autre angle. »

Si vous ressentez des idées suicidaires ou êtes proche d’une personne qui en a, vous pouvez appeler le numéro national Souffrance et Prévention du Suicide au 31 14 (écoute professionnelle et confidentielle 24h/24 et 7 J/7).

Si vous vous sentez mal et avez besoin de parler, n’hésitez pas à appeler l’association SOS Amitié au 09 72 39 40 50 (disponible 24h/24 et 7 J/7).