TEMOIGNAGES« L’académie détruit nos enfants handicapés », dénoncent des parents excédés

Lyon : « L’académie détruit nos enfants handicapés », dénoncent des parents excédés

TEMOIGNAGESDepuis la rentrée de septembre, des enfants en situation de handicap subissent le non-remplacement d’enseignants et la pénurie d’AESH dans leur école de l’académie de Lyon
Depuis la rentrée scolaire, l'enseignante de la seule classe qui accueille des enfants en situation de handicap, à Saint-Genis-Laval, près de Lyon, est absente (illustration).
Depuis la rentrée scolaire, l'enseignante de la seule classe qui accueille des enfants en situation de handicap, à Saint-Genis-Laval, près de Lyon, est absente (illustration). - JEANNE ACCORSINI/SIPA / Sipa
Elise Martin

Elise Martin

L'essentiel

  • Depuis la rentrée de septembre, le garçon de 9 ans de Sophie* ainsi que ses sept camarades de classe n’ont été scolarisés que 50 % du temps. Leur enseignante spécialisée n’a pas été remplacée et ils ne peuvent être dispatchés dans une autre classe, étant porteurs d’un handicap. Pour certains, ils ont pourtant attendu parfois deux à trois ans avant de pouvoir intégrer cette Ulis.
  • Pascal*, également père d’un enfant en situation de handicap, dénonce lui aussi les dysfonctionnements de l’académie face à la pénurie d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Depuis septembre, son fils est « livré à lui-même » pendant cinq heures.
  • Face à ces situations, et à beaucoup d’autres – 709 élèves du département en situation de handicap sont en attente d’une place dans un établissement social ou médico-social –, les enseignants et autres professionnels du secteur ont appelé à la grève pour « alerter sur ce problème d’inclusion scolaire ».

«Je veux juste que mon fils aille à l’école, c’est le souhait de tous les parents, souffle Sophie*. Mais quand on est mère d’un enfant en situation de handicap, on se bat au quotidien. Mais ce combat n’a pas lieu d’être, c’est un droit ! » Depuis la rentrée de septembre, son garçon de 9 ans n’a été scolarisé que 50 % du temps. La raison ? Une enseignante absente, « un manque d’anticipation de l’Education nationale » et des élèves non pris en charge car « handicapés ». « On vit au rythme des SMS du directeur, mais la situation n’évolue pas », dénonce-t-elle.

Après deux ans sur liste d’attente, son fils venait d’obtenir une place – sur les huit disponibles pour tout le cycle élémentaire – dans l’unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) Mouton, à Saint-Genis-Laval, dans la métropole de Lyon. Elle pensait être « libérée ». « En réalité, ce n’était que le début d’un cauchemar », glisse-t-elle. Le vendredi avant la rentrée des classes, Sophie apprend que l’enseignante spécialisée, mutée mi-juillet, n’a pas été remplacée. « Comment on fait alors ? Et bien, les parents doivent se débrouiller, poursuit-elle. Nous, on travaille dans le domaine de la santé. Dans cette situation d’urgence, on a dû poser un arrêt maladie pour s’occuper de notre fils, privé d’éducation nationale. »

Une autre enseignante a finalement été recrutée au bout de trois semaines. « Trois jours après, elle a posé un arrêt maladie. Et, depuis, plus aucune solution n’a été trouvée, s’agace Sophie. Les personnes autistes ont besoin d’un planning, d’une stabilité. Avec cette façon de faire, l’académie détruit nos gamins ! Elle bousille tous les efforts faits tous les jours. C’est une double peine pour les enfants. »

Des enfants en situation de handicap sans AESH livrés à eux-mêmes

Au-delà de cette situation « inacceptable », cette mère rappelle que l’Education nationale est dans « l’illégalité » car elle « force la déscolarisation » de son fils, qui est « sans apprentissage » et « sans inclusion » depuis trois mois. Elle ajoute : « C’est un droit pour tout le monde d’aller à l’école et un devoir d’accueillir les élèves. Mais on s’en fiche car, pour les handicapés, on se permet de faire ce qu’on ne ferait jamais avec les autres ! Pourtant, on a déjà pu voir que l’Etat savait trouver des réponses, même dans des situations exceptionnelles. » Elle réclame « quelqu’un de responsable, impliqué dans son boulot » et qui « se préoccupe du sort de ces enfants ».

A quelques kilomètres de là, Pascal* est lui aussi victime d'« un manque de considération de la part de l’académie ». Son fils, ainsi qu’une douzaine de ses camarades, scolarisés à l’école maternelle René Beauverie de Vaulx-en-Velin, subissent le « dysfonctionnement de l’Education nationale » et la pénurie d’AESH. Depuis trois mois, son enfant, notifié de douze heures d’accompagnement, n’en a que sept. « Le reste du temps, il est livré à lui-même, indique-t-il. Personne ne semble réaliser ce que représente un tel chamboulement pour un enfant autiste. On doit se faire respecter et faire en sorte que les enfants handicapés puissent avoir une scolarité la plus normale possible. C’est invraisemblable. »

Sollicité par 20 Minutes, le rectorat a assuré « étudier toutes les semaines les situations afin de permettre, dans le cadre des moyens alloués, d’effectuer les régulations et rééquilibrage nécessaires pour répondre au mieux aux besoins d’accompagnement des élèves notifiés ».

709 élèves en attente d’être scolarisés

Mais le constat est général. La semaine dernière, plus de 200 enseignants, AESH, infirmières en hôpital, personnels administratifs se sont réunis à Lyon pour alerter sur ce problème d’inclusion scolaire. « Il y a 709 élèves du département qui sont privés de leur droit à être scolarisés dans un établissement social ou médico-social du fait du manque de places, explique Frédéric Volle, pour les syndicats Force ouvrière des personnels de l’Éducation nationale, de la culture et de la recherche. Et ça se répercute ensuite sur les places en Ulis et ainsi de suite. » Il ajoute : « Ce n’est pas nouveau, mais la situation s’aggrave d’années en années. Depuis la rentrée, on reçoit des coups de fil tous les jours. Pas une école est épargnée. »

« Les élèves en situation de handicap ont droit à des conditions d’apprentissage adaptées à leurs difficultés et ce, quel qu’en soit le coût », écrivent les enseignants. Ils demandent, entre autres, « la création immédiate des places nécessaires dans les établissements sociaux et médico-sociaux », davantage de « postes d’enseignants spécialisés et de personnels médico-sociaux à hauteur des besoins », « un statut et un vrai salaire pour les AESH ». Un appel à la grève nationale a été lancé pour le 25 janvier 2024. Une manifestation est également prévue à Paris pour « porter [ces] revendications au ministère de l’Education nationale ».

* Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewées.