Fake OffAprès les violences à Romans-sur-Isère, on fait le point sur les ratonnades

Romans-sur-Isère : Après les violences, on fait le point sur le terme de « ratonnade »

Fake OffL’historienne Sylvie Thénault, directrice de recherche CNRS, spécialiste de la colonisation en Algérie, éclaire l’usage du terme de « ratonnade »
Capture d'écran d'une publication sur X, posté depuis un compte d'extrême droite, et montrant une vidéo « d'une centaine de personnes » se dirigeant vers le quartier de La Monnaie « prêts a en découdre pour venger Thomas ».
Capture d'écran d'une publication sur X, posté depuis un compte d'extrême droite, et montrant une vidéo « d'une centaine de personnes » se dirigeant vers le quartier de La Monnaie « prêts a en découdre pour venger Thomas ». - Capture d'écran/X / Capture d'écran/X
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • Ce week-end, Romans-sur-Isère a été le théâtre de tensions et d’affrontements avec l’extrême droite.
  • Le terme de « ratonnade » revient dans le débat pour qualifier les événements de Romans ou un défilé de militants d’extrême droite à Rennes.
  • On fait le point sur l’usage du terme avec l’historienne Sylvie Thénault.

«Ratonnade », « tentative de ratonnade », ou « rassemblement pacifique »…. Après la mort de Thomas à Crépol, les réseaux sociaux et les politiques se sont fait l’écho des tensions avec l’extrême droite ce week-end, que ce soit à Romans-sur-Isère ou à Rennes. Qu’est-ce qui relève d’une « ratonnade » ? Et quelles sont les dynamiques racistes à l’œuvre ? On fait le point avec l’historienne Sylvie Thénault, directrice de recherche CNRS, spécialiste de la colonisation en Algérie et de la guerre d’indépendance algérienne.

Le terme est construit sur le mot raciste « raton », qui désigne un petit rat à l’origine, puis est devenu au XIXe siècle un terme argotique utilisé pour qualifier un enfant entraîné à voler. « A partir de l’entre-deux-guerres, on rencontre le terme comme désignant ce qu’on appelait à l’époque les Nord-Africains, souligne l’historienne. On est là dans un processus classique d’élaboration de termes racistes où on recourt à l’usage de noms d’animaux, ce qui est une façon de nier l’humanité des gens désignés ainsi. » Après 1945, il est particulièrement utilisé au moment de la guerre d’indépendance algérienne. La ratonnade désigne « des actes violents contre des musulmans ou des personnes originaires du Maghreb et visant leurs biens ou ces personnes avec une dimension raciste ». Le terme est utilisé dans un contexte historique et n’a pas de valeur juridique.

Des militants « prêts à en découdre »

Revenons sur les événements de Romans-sur-Isère. Samedi soir, environ 80 militants d’extrême droite, armés de bâtons, ont défilé cagoulés dans les rues de la ville drômoise dans le but d’en « découdre » avec les jeunes de La Monnaie, selon une source policière citée par l’AFP. Les militants venus de différentes villes du pays ont été repoussés par les forces de l’ordre. Dix-sept personnes ont été placées en garde à vue, a indiqué la préfecture de la Drôme. Un militant a été molesté et dénudé par des inconnus pendant le défilé organisé à proximité du quartier de la Monnaie, dont seraient issus certains des suspects du meurtre de Thomas.

Sur les réseaux sociaux, des vidéos de comptes d’extrême droite montrent des images de ce défilé vers le quartier de la Monnaie, et indiquent qu’ils sont « prêts à en découdre avec la racaille » ou viennent « pour venger Thomas ». Street Press, qui mène un travail de fond pour enquêter sur les groupuscules d’extrême droite en France, trace le portrait sur X de Léo R., néonazi de la division Martel fan d’Hitler et du 3e Reich, qui serait “Gros Lardon”. Il serait « le chef de cette expédition raciste violente », où d’autres profils de néonazis ont été repérés par le média.

Six condamnations prononcées

Après un nouveau rassemblement dimanche, trois autres militants d’extrême droite ont été placés en garde à vue, ainsi que quatre jeunes Romanais issus du quartier de la Monnaie. Ces 7 individus étaient « tous porteurs d’armes ou armes par destination », a indiqué, dimanche, la préfecture de la Drôme sur X. Ce lundi 27 novembre, six personnes ont été condamnées à des peines de six à dix mois de prison ferme pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences » ou de « dégradations », en raison des événements de samedi. Cinq ont également été condamnés pour « violence » sur policier.

Sur un canal Telegram, un groupuscule d’extrême droite lyonnais revendique s’être rendu au quartier de la Monnaie pour « faire entendre [leur] colère et manifester pacifiquement », estimant que le droit français ne s’appliquait pas dans ces zones, tout en appelant les Français à les rejoindre à l’avenir « pour s’organiser face à la racaille et face à l’Etat » et à « récupérer le pays cité après cité ».

Des violences racistes

La rhétorique de vengeance et de dénonciation de l’inefficacité des institutions est caractéristique des ratonnades. « Les ratonnades pendant la guerre d’indépendance en Algérie ont justement cette dimension subversive », souligne Sylvie Thénault, autrice des Ratonnades d’Alger, 1956 Une histoire de racisme colonial (éd. du Seuil). Le terme de ratonnade est généralement utilisé pour désigner des violences racistes, comme celle du 17 octobre 1961. Des Algériens et Algériennes manifestent alors pour boycotter le couvre-feu imposé par le préfet de police Maurice Papon, une mesure « discriminatoire » qui ne concernait que les Algériens. Cette manifestation a été « violemment réprimée par les forces de l’ordre, avec une dimension raciste, rapportée par les témoignages », ajoute l’historienne. La répression a fait plusieurs dizaines de morts.

Mais ce n’est pas le seul épisode concerné. En 1956, raconte Sylvie Thénault, un leadeur de la cause de l’Algérie française est tué dans un attentat par les nationalistes algériens. Lors de ses obsèques, des milliers de personnes suivent le fourgon mortuaire. « Le long de ce cortège, des Français d’Algérie participants aux obsèques se répandent dans les rues autour et procèdent à ce qu’on appelle des ratonnades, explique-t-elle. Concrètement, ils saccagent des magasins qui appartiennent à des Algériens, ils renversent des kiosques. Et puis, il y a des violences physiques, des gens sont sortis des transports en commun ou des voitures pour être frappés. D’autres sont tués y compris avec des armes à feu. »

« Une façon de se substituer aux forces de l’ordre »

« Les ratonnades, poursuit-elle, c’est aussi une façon de manifester envers les autorités une forme de mécontentement et de se substituer aux forces de l’ordre en voulant exercer une sorte de justice privée ou de vengeance, en prétendant que l’État ne fait pas son travail répressif avec suffisamment d’efficacité. Dans le cas de 1956, il y avait le même type de slogan d’appels à la vengeance. » « C’est une logique d’autodéfense qui est très dangereuse sur le plan de la vie démocratique », rappelle-t-elle.

Elle rapporte, par ailleurs, le caractère collectif et aveugle de ces violences. « On rend responsable des faits commis une collectivité prise globalement à l’aveugle. C’est là qu’il y a la dimension raciste, avec cette collectivisation de la présomption de culpabilité qui est grave », relève-t-elle. « L’événement de Romans-sur-Isère s’inscrit dans cette histoire des ratonnades dans la longue durée, estime-t-elle. Historiquement, le terme ressurgit à des moments où l’on voit des violences à dimension raciste. »

A Rennes, un défilé sans interpellation

La dimension anticolonialiste et dénonciatrice dans l’usage du terme explique que « l’extrême droite aujourd’hui n’en veut pas parce qu’elle sait très bien que si on l’utilise, c’est qu’on dénonce la dimension raciste des violences », souligne Sylvie Thénault. Mais en raison des origines racistes du terme, son usage est très discuté et discutable. L’historienne l’estime encore « légitime » parce qu’il « rend bien compte de la dimension raciste » des violences et qu'il a été utilisé « historiquement par des anticolonialistes pour dénoncer le racisme ».

A Rennes, des militants d’extrême droite ont aussi défilé dimanche soir, le terme de ratonnade a été utilisé par plusieurs comptes sur X pour qualifier ce rassemblement. Mais il ne convient pas dans ce cas, en raison de l’absence de violences : d’après les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des militants d’extrême droite scandent « Bleu blanc rouge, la France aux Français », « On est chez nous » ou « Justice pour Thomas ». Contactée, la police rennaise confirme qu’une « déambulation non autorisée d’environ quarante minutes a bien eu lieu », dimanche soir. Elle a été suivie par les forces de l’ordre, mais n’a pas donné lieu à d’interpellations, car aucune dégradation n’a été constatée.