Prescription acquisitive : Devenir « propriétaire par l’usage » est long… mais légal
DÉPOSSESSION•Ce mécanisme juridique permet de revendiquer la propriété d’un bien en l’absence de tout titre ou écritJulie Polizzi pour 20 Minutes
Vous avez permis à votre voisin d’utiliser durablement une parcelle de votre propriété pour y installer son potager ou y garer sa voiture ? Vous laissez la municipalité organiser des manifestations sur votre terrain dès lors qu’elle l’entretient ? Prenez garde à ce que votre sens du partage ne se retourne pas plus tard contre vous en raison de la prescription acquisitive…
Un concept méconnu
Si le sacro-saint droit de propriété est par principe strict et inviolable, il comporte tout de même certaines exceptions notables à l’image de « l’usucapion », appelé aussi prescription acquisitive.
Méconnue du grand public, cette notion juridique refait généralement surface lors de conflits de voisinage, d’indivision ou à l’occasion d’une vente immobilière et peut réserver de bien mauvaises surprises puisqu’elle permet de déposséder un propriétaire de son bien, dès lors qu’il a laissé une autre personne en user comme si elle en était la détentrice.
Le Code civil permet en effet de devenir le titulaire sans aucun contrat, ni titre, ni acte juridique quelconque à condition de pouvoir justifier « une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire » (article 2261).
Dans cette hypothèse, il s’agit d’utiliser au vu et au su de tous une parcelle, un garage, un bâtiment, un local ou encore une partie commune de copropriété comme le ferait un propriétaire légitime. Travaux, entretien courant, clôturage ou encore plantations y sont alors réalisés librement sans que personne n’y trouve rien à redire.
Si au bout de 30 ans d’utilisation, le propriétaire en titre du bien ne s’est jamais manifesté, l’occupant peut alors revendiquer à son profit l’acquisition par prescription.
Bon à savoir : les fonds de commerce, les biens dépendant du domaine public ou encore les sites classés ne peuvent pas faire l’objet d’une prescription acquisitive.
La douche froide au tribunal
Si l’usucapion concerne évidemment une minorité de situations, la jurisprudence rappelle régulièrement la portée de ce principe juridique au grand dam des propriétaires en titre qui en font les frais.
En 2015, la Cour de cassation a par exemple considéré que le syndicat de copropriétaires d’un immeuble était le légitime possesseur d’un garage dans la mesure où son propriétaire en titre avait laissé les lieux à disposition de tous depuis plus de trente ans.
De même, un arrêt du 9 décembre 2022 de la haute juridiction a jugé qu’une ville était devenue propriétaire d’un terrain par prescription acquisitive après l’avoir aménagé à travers la création d’un parking, de la pose de goudron, de la plantation d’arbres, etc., et l’avoir utilisé pendant une trentaine d’années sans aucune opposition du propriétaire.
Une douche froide pour les héritiers de ce dernier qui ont revendiqué leurs droits sur la parcelle à sa mort et s’en sont vus dépossédés.
Tout récemment, la Cour de cassation du 7 septembre 2023 a une nouvelle fois appliqué le mécanisme d’usucapion pour un conflit de voisinage qui opposait deux propriétaires mitoyens, l’un ayant pris l’habitude de garer sa voiture sur la parcelle de l’autre, en dépit du bornage amiable réalisé entre eux dans les années 1990.
Notre dossier « Loi »Pour les juges, ce document ne suffit pas à lui seul à établir qu’il y avait un accord sur la délimitation des parcelles et à rejeter la requête du voisin demandant à reconnaître l’acquisition par prescription de la partie de terrain qu’il utilise depuis plus de trente ans.