DÉPOSSESSIONDevenir « propriétaire par l’usage » est long… mais légal

Prescription acquisitive : Devenir « propriétaire par l’usage » est long… mais légal

DÉPOSSESSIONCe mécanisme juridique permet de revendiquer la propriété d’un bien en l’absence de tout titre ou écrit
À force de se comporter comme un propriétaire, on peut devenir légalement le détenteur d'un bien immobilier au bout de 30 ans
À force de se comporter comme un propriétaire, on peut devenir légalement le détenteur d'un bien immobilier au bout de 30 ans - iStock / City Presse
Julie Polizzi pour 20 Minutes

Julie Polizzi pour 20 Minutes

Vous avez permis à votre voisin d’utiliser durablement une parcelle de votre propriété pour y installer son potager ou y garer sa voiture ? Vous laissez la municipalité organiser des manifestations sur votre terrain dès lors qu’elle l’entretient ? Prenez garde à ce que votre sens du partage ne se retourne pas plus tard contre vous en raison de la prescription acquisitive

Un concept méconnu

Si le sacro-saint droit de propriété est par principe strict et inviolable, il comporte tout de même certaines exceptions notables à l’image de « l’usucapion », appelé aussi prescription acquisitive.

Méconnue du grand public, cette notion juridique refait généralement surface lors de conflits de voisinage, d’indivision ou à l’occasion d’une vente immobilière et peut réserver de bien mauvaises surprises puisqu’elle permet de déposséder un propriétaire de son bien, dès lors qu’il a laissé une autre personne en user comme si elle en était la détentrice.

La prescription acquisitive permet de déposséder un propriétaire de son bien dès lors qu’il a laissé une autre personne en user comme si elle en était la détentrice
La prescription acquisitive permet de déposséder un propriétaire de son bien dès lors qu’il a laissé une autre personne en user comme si elle en était la détentrice - iStock

Le Code civil permet en effet de devenir le titulaire sans aucun contrat, ni titre, ni acte juridique quelconque à condition de pouvoir justifier « une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire » (article 2261).

Dans cette hypothèse, il s’agit d’utiliser au vu et au su de tous une parcelle, un garage, un bâtiment, un local ou encore une partie commune de copropriété comme le ferait un propriétaire légitime. Travaux, entretien courant, clôturage ou encore plantations y sont alors réalisés librement sans que personne n’y trouve rien à redire.

Si au bout de 30 ans d’utilisation, le propriétaire en titre du bien ne s’est jamais manifesté, l’occupant peut alors revendiquer à son profit l’acquisition par prescription.

Bon à savoir : les fonds de commerce, les biens dépendant du domaine public ou encore les sites classés ne peuvent pas faire l’objet d’une prescription acquisitive.

La douche froide au tribunal

Si l’usucapion concerne évidemment une minorité de situations, la jurisprudence rappelle régulièrement la portée de ce principe juridique au grand dam des propriétaires en titre qui en font les frais.

L’usucapion concerne heureusement une minorité de situations
L’usucapion concerne heureusement une minorité de situations - iStock

En 2015, la Cour de cassation a par exemple considéré que le syndicat de copropriétaires d’un immeuble était le légitime possesseur d’un garage dans la mesure où son propriétaire en titre avait laissé les lieux à disposition de tous depuis plus de trente ans.

De même, un arrêt du 9 décembre 2022 de la haute juridiction a jugé qu’une ville était devenue propriétaire d’un terrain par prescription acquisitive après l’avoir aménagé à travers la création d’un parking, de la pose de goudron, de la plantation d’arbres, etc., et l’avoir utilisé pendant une trentaine d’années sans aucune opposition du propriétaire.

Une douche froide pour les héritiers de ce dernier qui ont revendiqué leurs droits sur la parcelle à sa mort et s’en sont vus dépossédés.

Tout récemment, la Cour de cassation du 7 septembre 2023 a une nouvelle fois appliqué le mécanisme d’usucapion pour un conflit de voisinage qui opposait deux propriétaires mitoyens, l’un ayant pris l’habitude de garer sa voiture sur la parcelle de l’autre, en dépit du bornage amiable réalisé entre eux dans les années 1990.

Notre dossier « Loi »

Pour les juges, ce document ne suffit pas à lui seul à établir qu’il y avait un accord sur la délimitation des parcelles et à rejeter la requête du voisin demandant à reconnaître l’acquisition par prescription de la partie de terrain qu’il utilise depuis plus de trente ans.

Un acte notarié à l’appui

Vous vous estimez propriétaire d’un terrain ou d’un local que vous utilisez librement depuis trente ans comme si vous en étiez le détenteur légitime ?

Pour officialiser votre droit et éviter toute contestation ultérieure, il est nécessaire d’en passer par un transfert de propriété en bonne et due forme avec le propriétaire en titre ou, s’il y a litige, de saisir le tribunal judiciaire pour qu’il tranche la question.

Or, en ce domaine, il est possible de consolider votre demande grâce à un « acte de notoriété acquisitive ».

Pour cela, il faut réunir au moins deux témoignages qui attestent que vous possédez le bien concerné de façon paisible, publique et continue depuis trente ans, ainsi que tous les justificatifs possibles prouvant votre utilisation (travaux, entretien, plantations, événements, abonnement d’énergie ou d’eau, etc.).

Ce certificat de possession est alors établi par un notaire. Bien que sa portée soit limitée puisqu’il peut être contesté et ne remplace pas un titre de propriété, il peut être utilisé comme élément de preuve.