detteSouviens-toi la crise dernière… Faut-il flipper des agences de notation ?

« Souviens-toi la crise dernière »… Les agences de notation, les nouvelles terreurs de l’économie ?

detteCe vendredi, les agences de notation Fitch et Moody’s vont juger de la capacité de la dette française à se rembourser. De quoi donner des frissons d’effroi à Bercy
Bruno Le Maire doit-il craindre l'agence de notation ?
Bruno Le Maire doit-il craindre l'agence de notation ? - Canva / Canva
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Depuis la crise des dettes souveraines lors de la décennie 2010, les agences de notation ont une réputation de faucheuses pour les pays trop frivoles en matière de dépenses publiques.
  • Et ça tombe mal, deux d’entre elles, Fitch et Moody’s, vont réévaluer la France ce vendredi, alors que la dette publique crève le plafond.
  • Bercy doit-il redouter un nouveau Massacre à la tronçonneuse ?

Ce vendredi 26 avril, les agences Fitch et Moody’s vont actualiser leurs notations de la dette française. A cette occasion, nous vous proposons de (re) lire cet article sur le sujet publié en novembre dernier

Vendredi, deux heures du matin. Par une nuit sans lune, Bruno Le Maire découvre un étrange mot dans les couloirs de Bercy, façon Souviens toi… l’été dernier : « Je sais ce qui s’est passé lors de la crise dernière. Et ça va revenir ». Un frisson d’effroi parcourt l’échine du ministre de l’Economie. Mais il le sait, dans un film d’horreur, on ne peut échapper à son funeste destin. Ce vendredi, implacablement, Standard & Poor’s va communiquer sa note sur la dette publique française *. Au dernier pointage, en juin, la lame n’était pas passée loin : S & P avait maintenu son AA, mais avec une perspective « négative ». Sous entendu : une révision est possible en ce 1er décembre. Bruno Le Maire n’a plus les cartes en mains, mais il a vendu chèrement sa peau : « Quand on dit qu’on fait 4,9 % de déficit en 2023, on les fera. Quand j’ai dit qu’on ferait 1 % de croissance, on le fera. Et quand je dis que nous ferons 4,4 % et 1,4 % en 2024, nous les ferons », a-t-il brandi sur France Info. Elle est donc de retour, la serial killeuse de l’économie, l’amplificatrice de crise, la désosseuse des pays du Sud : l’agence de notation, grand méchant horrifique à la sauce économie.

Si tout Bercy claque des genoux, c’est que ces agences ont une réputation. Beaucoup les accusent d’avoir eu la peau de la Grèce et d’avoir laissé Espagne, Portugal et d’autres pays méditerranéens à l’agonie, il y a plus d’une décennie, lors de la crise des dettes souveraines entre 2010 et 2014. Plus récemment, elles avaient repris la faux et le linceul, obtenant cette fois la peau de Liz Truss, éphémère Première ministre britannique en 2022 ; cette dernière avait fait l’erreur fatale de présenter un budget un poil trop coulant sur les dépenses. Autant se barbouiller les jambes de sang et les plonger dans l’eau dans Les Dents de la mer, ou décider de se séparer dans un grand manoir hanté.

De la solvabilité de la dette à une situation insoluble

Mais quittons la Manche et remontons le temps, direction la mise en péril de l’Europe du Sud, il y a dix ans. Pour bien comprendre, Sylvain Bersinger, économiste chez Astérès, rappelle les bases : Le but des agences de notation est de donner une note sur le niveau de solvabilité, que ce soit pour une entreprise ou à l’échelle d’un Etat. Dit autrement : évaluer la capacité à rembourser ou non une dette. Cette note est ensuite un indicateur pour les marchés à qui Etat ou entreprise vont emprunter de l’argent. Plus la dette est jugée insolvable, plus le taux d’emprunt augmente, car le crédit est jugé plus risqué.

Au début de la décennie 2010, la Grèce tombe dans ce piège digne de Saw : sa dette est jugée trop importante, donc les taux augmentent, bien aidés par l’abaissement de la note donnée par les agences. Moody’s ira même jusqu’à mettre un C à Athènes, correspondant à un risque quasi certain de défaut de paiement. Donc la dette est plus difficile à rembourser, car les politiques à mettre en place pour la résorber, nécessitant des dépenses, sont plus difficiles avec l’augmentation des prêts. Par conséquent, la dette augmente encore… Vous avez compris le machiavélisme de la chose.

Les subprimes, le péché originel

Tout bon méchant exige son origin story pour expliquer pourquoi il a si mal tourné. Dans le cas des agences de notation, tout démarre avec la crise de 2008. Ironie de l’histoire, les agences sont alors critiquées pour être trop clémentes envers les subprimes – des crédits accordés à des populations fragiles financièrement contre des taux d’intérêt risqués.

Malgré le danger – qui finira par exploser à la gueule de l’économie mondiale –, les agences de notation continue d’accorder leur confiance à la titrisation, qui consiste à s’échanger les créances de banque en banque sans trop en vérifier l’origine, avec notamment ces fameux subprimes à l’intérieur. « Les banques avaient perdu le fil avec cette innovation, et les agences de notation ont été accusées de ne pas avoir tiré assez tôt la sonnette d’alarme, de ne pas avoir vu la toxicité de ces manœuvres », explique Stéphanie Villers, conseillère économique à PwC.

Les agences de notations sont-elles vraiment méchantes ?

Ce gros loupé aurait rendu les agences de notation particulièrement énervées au moment de sanctionner la Grèce. « Elles ont peut-être un peu surchargé la barque et surréagi pour ne pas être encore accusé de laxiste », reconnaît la conseillère économique.

Mais attention : est-ce qu’on n’en ferait pas un peu trop sur ce rôle de tueuse en série ? En filant la métaphore, l’agence de notation serait davantage la musique flippante qui annonce l’arrivée du méchant : ce n’est jamais bon signe, mais ce n’est elle la coupable. Sylvain Bersinger estime même qu'« on accorde beaucoup trop d’importance aux agences de notation par rapport à ce qu’elles sont réellement. Elles suivent les crises plus qu’elles ne les provoquent ».

Le marché, le vrai tueur ?

Même dans le fameux cas de la crise grecque, Sylvain Bersinger le rappelle : « Que ce soit pour les subprimes ou la Grèce, les agences de notation mettaient des triples A, la meilleure note possible, jusqu’à la veille de la crise. » Même constat chez Christophe Blot, économiste à l’OFCE et spécialiste des crises financières : « Les agences de notations ont probablement joué un rôle, mais elles ne l’ont pas fait toutes seules ». Stéphanie Villers enfin : « Objectivement, il est difficile de nier que la situation des comptes publics grecque était catastrophique ».

Il est d’autant plus difficile d’imputer tous ces meurtres aux agences de notation que les taux d’emprunts ne sont pas forcés d’augmenter en cas d’abaissement de la note, rappelle nos trois experts. Surtout si les trois agences de notation ne sont pas d’accord entre elles. Si Standard & Poor's abaisse sa note ce vendredi, Fitch, autre cavalière de l’apocalypse, a maintenu la sienne fin octobre à AA- (elle l’avait abaissée en avril dernier). De quoi tranquilliser un peu Bruno Le Maire. Et de toute manière, « les marchés font leurs propres évaluations et peuvent décider d’eux-mêmes d’augmenter ou non les taux. Ce sont eux qui ont la décision finale », rappelle Christophe Blot. Attention, dans les films d’horreur, un faux tueur peut en cacher un autre, cette fois bien réel.

* En novembre dernier, l'agence Standard & Poor's avait finalement maintenu la note de la dette française à « AA », assortie d'une perspective négative.

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