TRANSPORTSEn Nouvelle-Aquitaine, la colère des usagers du TER gronde

Nouvelle-Aquitaine : « Retards quotidiens », « suppressions », « trains fantômes »… La colère des usagers du TER gronde

TRANSPORTSExcédés par les retards, les usagers de plusieurs lignes de trains TER en Nouvelle-Aquitaine, comme la ligne 42 du Médoc, s’organisent en collectifs, montent des groupes sur les réseaux sociaux voire ne présentent plus leurs titres de transport
Un TER de la ligne 42 du Médoc, Bordeaux-Le Verdon est en proie à de nombreuses difficultés.
Un TER de la ligne 42 du Médoc, Bordeaux-Le Verdon est en proie à de nombreuses difficultés. - Mickaël Bosredon / 20 Minutes
Mickaël Bosredon

Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • Sur la ligne TER 42 Bordeaux-Le Verdon, « les retards sont quotidiens, les annulations un jour sur deux, quand ce ne sont pas des "trains fantômes", affichés et qui disparaissent subitement des écrans sans explication » dénonce une usagère.
  • La situation s’est dégradée dans de nombreux secteurs, essentiellement en zone rurale, comme sur la ligne 43 Bordeaux-Saint-Mariens, ou encore la ligne 44 Bordeaux-La Réole.
  • Face à cette situation jugée « intenable », les usagers s’organisent, montent des collectifs ou des groupes sur les réseaux sociaux, et commencent à ne plus présenter leurs titres de transport aux contrôleurs, comme sur la ligne 42.

Ces dernières semaines, Morgane Bouhraoua raconte se lever chaque matin, quand elle va au travail, « la boule au ventre, avec la peur de savoir si [son] train sera en retard, ou carrément supprimé. » Professeure de français au collège de Pauillac, dans le Médoc, elle prend le TER quatre jours par semaine en gare Saint-Jean à Bordeaux pour se rendre dans son établissement, à une heure de trajet. Et depuis le mois d’octobre, sa ligne de train « est en proie à des dysfonctionnements majeurs. »

« Les retards sont quotidiens, les annulations un jour sur deux, quand ce ne sont pas des "trains fantômes", c’est-à-dire des trains qui sont affichés et qui disparaissent subitement des écrans sans explication, poursuit la jeune femme. Nous en sommes arrivés à un stade où nous sommes heureux quand un train n’est pas supprimé. Mais quand il y en a, nous arrivons systématiquement en retard au travail. Ce n’est plus tenable… »

Christophe, responsable informatique, habite à Caudéran, et prend le train tous les matins à Mérignac, pour se rendre à son travail chez un négociant en vin à Margaux, toujours dans le Médoc. « Nous en sommes arrivés à un point où nous n’avons plus confiance dans le train, car ce n’est plus fiable, dit-il. Et on en a d’autant plus marre que la SNCF augmente ses prix régulièrement, et n’effectue aucun geste commercial en contrepartie de ces difficultés. »

« Train d’enfer sur la ligne 43 », « Les naufragés de la ligne 44 »…

Plusieurs usagers de la ligne 42 Bordeaux-Le Verdon se sont regroupés pour dénoncer la situation, et distribuent des tracts aux passagers. « Depuis lundi, nous avons également cessé de présenter nos titres de transport, ajoute Morgane Bouhraoua. C’est-à-dire que nous continuons de payer notre abonnement de 115 euros par mois, mais nous ne le présentons plus aux contrôleurs, qui nous suivent dans notre démarche. »

Distribution de tracts dans la ligne TER 42 Bordeaux-Le Verdon pour dénoncer les retards à répétition.
Distribution de tracts dans la ligne TER 42 Bordeaux-Le Verdon pour dénoncer les retards à répétition. - Morgane Bouhraoua

La ligne du Médoc n’est pas la seule concernée en Nouvelle-Aquitaine. Un groupe d’usagers de la ligne Bordeaux-Saint-Mariens, intitulé « Train d’enfer, Lignes 43 et 15, Bordeaux-Saint-Mariens/Saintes », s’est ainsi créé sur Facebook, dans lequel les utilisateurs partagent leurs expériences et alertent sur les retards et annulations, quotidiens sur cette ligne également. Une usagère y explique que son fils « en est à 90 heures de cours manqués depuis la rentrée » en raison des dysfonctionnements, d’autres y proposent du covoiturage lorsque les trains sont annulés. Les conditions de transport sont aussi pointées du doigt, les usagers, exaspérés, dénonçant des « bétaillères » dans lesquelles il est parfois difficile de trouver des places assises. Une pétition est en cours sur cette ligne, réclamant à « la SNCF un service fiable et ponctuel ». Une action de non-présentation des titres de transport, comme sur la ligne du Médoc, s’y prépare également.

Plus au sud, à La Réole, un autre collectif d’usagers, « Les naufragés de la ligne 44 », s’est aussi créé. Là encore, on y dénonce retards, annulations et les fameux « trains fantômes. » « On connaît des situations difficiles un peu partout, reconnaît Renaud Lagrave, vice-président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, en charge des transports. Il y a aussi des dysfonctionnements sur la ligne vers La Rochelle, vers Agen, vers Dax… C’est catastrophique. »

Quand la région menace de suspendre ses versements à SNCF Réseau

« Nous sommes en train de franchir un cap de retard et d’annulations quasiment inédit, poursuit l’élu, puisque la SNCF affiche en ce moment un taux de régularité des trains [qui prend en compte les retards supérieurs à cinq minutes] sur l’ensemble de la Nouvelle-Aquitaine de 85 %, ce qui est très faible. Notre convention prévoit un minimum de 95 % de régularité. Cela veut dire qu’il y aura des pénalités appliquées à la fin de l’année. Mais ce n’est pas tout : après avoir demandé à SNCF Réseau, à plusieurs reprises, un plan d’urgence pour la Nouvelle-Aquitaine, nous envisageons très sérieusement de suspendre les péages que nous versons à l’entreprise [montant qui était de 65 millions d’euros en 2022 et qui passera à 82 millions en 2024, soit une hausse de 26 %]. »

Notre dossier sur les transports

Dans un courrier au président de SNCF Réseau, le 26 octobre, Alain Rousset, président de la région, rappelait que « [ces] péages constituent la contrepartie d’un service dont la qualité doit atteindre un seuil minimal, qui n’est plus assuré aujourd’hui », et que « la région souhaite éviter de devoir recourir à des suspensions de paiement. »

Les défaillances du réseau, « vieillissant et mal entretenu », sont pointées du doigt par la collectivité. Dans le même courrier, Alain Rousset explique que « les circulations TER sont régulièrement impactées par des dérangements de passage à niveau et divers problèmes liés à la signalisation, directement imputables à l’obsolescence des équipements. Ces perturbations quotidiennes viennent s’additionner aux poses inopinées de ralentissement, dues au manque d’entretien des voies ferrées ».

« Nous allons récupérer 17 rames ce week-end » assure la SNCF

Si ces difficultés durent depuis des années sur ces lignes, la situation s’est sérieusement aggravée ces dernières semaines en raison des récentes tempêtes. « L’ensemble des lignes TER Nouvelle-Aquitaine a été très fortement impactée par les trois tempêtes depuis le 20 octobre, et nous avons beaucoup de difficultés à nous en remettre, avec 117 chocs en trois semaines (végétation, animaux en errance) et 52 rames accidentées sur l’ensemble du parc matériel TER [qui compte 210 rames] » nous a indiqué vendredi la direction de la SNCF Nouvelle-Aquitaine.

« Suite à ces nombreux chocs sur nos trains, nous connaissons une tension forte sur le matériel roulant, avec une désorganisation de la maintenance provoquée par la priorité donnée aux réparations, poursuit la SNCF. Pour autant, les équipes du technicentre se sont fortement mobilisées (travail en 3x8, le week-end et renforts de Paris) pour permettre de retrouver au plus vite une disponibilité de nos trains. Nous allons ainsi récupérer 17 rames ce week-end, ce qui va permettre de remettre à niveau les compositions sur les lignes de l’étoile de Bordeaux. »

Des travaux, en raison des dégâts causés par les tempêtes mais pas seulement, « ont également eu des conséquences sur la circulation des trains. » Enfin, « des modifications des conditions de travail [des agents] pour répondre à la demande de la région d’augmenter l’offre de transport, entraînent des mouvements sociaux » ajoute encore la SNCF.

« On achemine mieux le vin du Médoc à Bordeaux que les usagers »

« On comprend que les tempêtes ont causé des dégâts, mais les difficultés remontent à bien avant cela, ce n’est qu’un énième problème que la SNCF n’a pas su résoudre, peste Morgane Bouhraoua. La vérité est que la ligne du Médoc est une ligne vétuste, et elle n’est pas considérée comme prioritaire. Résultat : dès qu’il y a un problème ailleurs, on vient prendre nos trains ou nos conducteurs pour les mettre sur des lignes jugées plus importantes, comme celle d’Arcachon. Nos difficultés sont donc la conséquence, avant tout, d’inégalités territoriales, et force est de constater qu’en 2023, on achemine mieux le vin du Médoc à Bordeaux, que les usagers, et on fait plus facilement un Bordeaux-Paris qu’un Bordeaux-Médoc. »

Les usagers travaillant dans le Médoc, ou les Médocains se rendant dans la métropole de Bordeaux, se retrouvent ainsi contraints de prendre leur voiture de plus en plus souvent. « Ce qui est aberrant à un moment où la question de l’écologie prend de plus en plus de place » souligne Morgane Bouhraoua. « On s’organise avec des groupes WhatsApp pour s’informer les uns les autres, et pour mettre en place du covoiturage quand c’est possible, ajoute Christophe. C’est toute une gymnastique, et cela devient oppressant, car nous sommes obligés de consulter la veille au soir pour savoir si on peut prendre le train le lendemain, ou si on doit faire autrement. »

« C’est ubuesque, reconnaît également Renaud Lagrave : alors que les gens veulent prendre le train, puisque nous devons absorber une hausse de près de 33 % de voyageurs depuis 2020 [95.000 voyageurs quotidiens empruntent le réseau TER en 2023, contre 63.000 en 2020], cette dégradation des transports publics fait que, malheureusement, la voiture a encore de beaux jours devant elle. »