ClichéTissu culte avec ses carreaux, le kelsch n’est-il plus kitsch ?

Tissu culte avec ses carreaux, le kelsch n’est-il plus kitsch ?

ClichéUne nappe rouge à carreaux ? En Alsace, elle a souvent été tissée en kelsch, un mélange ancestral de lin et coton qui doit respecter certaines teintes. Délaissé pendant un temps, le tissu revient à la mode
Alsace : Tissu culte avec ses carreaux, le kelsch n’est-il plus kitsch ? #shorts
Thibaut Gagnepain

Thibaut Gagnepain

L'essentiel

  • Connaissez-vous le kelsch ? Le tissu, mélange de lin et de coton, est culte en Alsace. Vous savez, les nappes à carreaux rouge, c'est souvent en kelsch.
  • Longtemps tissé dans les familles, ce « métis » a paru démodé ces dernières décennies. Mais il revient doucement à la mode.
  • « Après le Covid-19, on a senti un vrai changement. Les gens sont aujourd’hui de plus en plus en recherche d’identité, de patrimoine », témoigne une couturière qui a relancé la production du kelsch dans la région.

Difficile de ne pas en voir en poussant la porte d’une « winstub », ces restaurants typiques de Strasbourg et de l’Alsace. Ici en nappe, là en rideaux, parfois en serviettes, torchons coussins… Le kelsch se décline un peu partout dans les salles avec cette constante : ces fameux carreaux. Pas de n’importe quelle couleur ! Rouge, bleu, vert, noir et ocre jaune, rien d’autre.

« Car ce sont les teintes historiques qui étaient utilisées, toujours sur une base écrue », détaille Pia Clauss, à la tête d’une boutique spécialisée dans ce « métis ». Le kelsch est bien un mélange. « Chez nous, c’est 55 % de lin qui va former la trame (l’horizontale) et 45 % de coton pour la chaîne (verticale) », poursuit la couturière installée à Seebach (Bas-Rhin) en rappelant les lointaines origines de son produit favori. « Au XVI siècle, il s’en faisait de la région de Cologne (en Allemagne) jusqu’à Montbéliard. »

Bandana pour son chien, trousse d’écolier, bavoir, etc.

Le précieux tissu, où le chanvre remplaçait alors le coton, servait alors à la literie et à la confection des rideaux d’alcôve. La tradition a perduré en Alsace où, pendant longtemps, les paysans en confectionnaient, souvent l’hiver. « Il y avait des métiers à tisser un peu partout », détaille encore Pia Clauss, passionnée par le sujet. Tellement qu’elle a, en 2017, décidé de relancer la production semi-industrielle. L’entreprise Gander installée à Muttersholtz, la dernière à perpétuer le tissage traditionnel du kelsch, venait alors de fermer à la suite du décès de son fondateur.

« J’ai donc dû trouver un autre tisseur et établir un cahier des charges avec les dessins, les mélanges etc. », indique celle qui est aujourd’hui la principale grossiste en la matière de la région. Elle donne ses indications à la Filature Emanuel Lang d’Hirsingue (Haut-Rhin) et reçoit ensuite les rouleaux. Qui sont ensuite revendus ailleurs ou… transformés pour de nombreux usages. Chez « Kelsch d’Alsace », il est possible de trouver un bandana pour son chien, une trousse d’écolier, un bavoir, un gant de toilette, un abat-jour. Tous bien sûr dans le fameux tissu, commes les plus classiques nappes, serviettes et autres torchons.

Qui a dit que ce n'était pas possible de refaire habiller son fauteuil en kelsch ?
Qui a dit que ce n'était pas possible de refaire habiller son fauteuil en kelsch ? - T. Gagnepain

De quoi répondre à une demande de plus en plus forte ? L’entrepreneuse ne dit évidemment pas le contraire. « Après le Covid, on a senti un vrai changement. Les gens sont aujourd’hui de plus en plus en recherche d’identité, de patrimoine », assure-t-elle avant d’évoquer une clientèle « de plus en plus jeune ». Qui tourne ainsi le dos à une génération précédente pour qui les fameux carreaux pouvaient paraître envahissants. Ringards et souvent vieillots puisque présents chez chaque grand-parent.

« C’était pour les gens qui avaient les moyens »

« Il n’y en avait pas partout non plus », nuance sa salariée et également couturière, Sandra. « C’était pour les gens qui avaient les moyens. Les revenus les plus modestes ne pouvaient pas s’en payer. Ça reste un produit noble. » Composé avec du très cher lin, d’une bonne épaisseur – « presque celle d’un jean » – et robuste. « Je ne connaissais pas avant mais plus je me sers de ces torchons, plus j’ai envie de les utiliser », témoigne une cliente du magasin, qui a prévu d’élargir sa collection.

De véritables nappes en kelsch, avec leurs motifs traditionnels.
De véritables nappes en kelsch, avec leurs motifs traditionnels. - T. Gagnepain

Le kelsch a aussi fait son retour dans les intérieurs, même les plus contemporains et épurés. Comme à l’hôtel « Au Heimbach », à Lembach (Bas-Rhin). « C’est paradoxal pour un produit centenaire mais ça nous a permis de moderniser », s’amuse le propriétaire Gilles Allenbach. Avec son épouse, ils ont décidé d’utiliser le tissu pour des rideaux, parfois juste sur le dessus, et pour les coussins. « C’est local et c’est dans l’air du temps de consommer comme ça. En plus, si les gens font du tourisme, ce n’est pas pour voir des produits chinois », justifie-t-il, lui non plus pas rassasié en carreaux. L’an prochain, les serviettes de table du restaurant seront aussi en kelsch. Pour une nouvelle touche, discrète. « Le risque, c’est d’en mettre trop et de tomber dans le kitsch ! »

Pia Clauss veille dans ce cas. « Nous avons montré aux gens qu’on pouvait l’associer avec d’autres tissus, pour d’autres objets comme un abat-jour. Ça a donné une autre image au kelsch. C’était un vrai challenge. » Le tissu n’en perd néanmoins pas son côté hyper traditionnel, limite cliché de cette Alsace éternelle. La preuve, son entreprise vient d’équiper un monument presque mondialement connu : le grand sapin de Strasbourg. Les petits cœurs suspendus, ils sont en véritable kelsch.

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