un JOUR SANS FINA-t-on vraiment besoin d’une nouvelle loi sur l’immigration ?

Projet de loi Immigration : A-t-on vraiment besoin d’un nouveau texte sur le sujet ?

un JOUR SANS FINLe projet de loi examiné à l’Assemblée serait le 30e du genre en seulement quarante ans
Le texte immigration, lors de son examen au Sénat, en novembre.
Le texte immigration, lors de son examen au Sénat, en novembre. - Ludovic MARIN / AFP / AFP
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Ce lundi, l’Assemblée nationale commence l’examen en séance du projet de loi immigration. Ce serait le trentième du genre sur ce thème en quarante ans.
  • Pour plusieurs spécialistes et responsables associatives, clairement, ce nouveau texte n’est pas nécessaire.
  • Le débat politique manquerait notamment de lucidité sur cette question complexe de l’immigration.

Voilà un an que le sujet occupe, au moins en bruit de fond, le monde politique français. Le projet de loi immigration de Gérald Darmanin a été présenté fin 2022, mais il n’est (enfin) examiné en séance à l’Assemblée qu’à partir de ce lundi. Le sujet est visiblement intarissable puisque depuis quarante ans, une trentaine de lois sur l’immigration ont été votées par le Parlement. Une de plus, est-ce bien nécessaire ? « Clairement non », « non, pas vraiment », « franchement non » : les trois spécialistes et responsables associatives contactées par 20 Minutes n’y vont pas par quatre chemins.

Pour Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade, ce nouveau texte – que ce soit la version d’origine, celle du Sénat, ou celle sortie de commission – « n’amène rien de bon, ni pour les étrangers, ni pour l’ensemble de la société ». Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre aujourd’hui présidente de France terre d’asile, pointe, elle, « l’apparence de fermeté » du texte de Gérald Darmanin. Enfin, Mélodie Beaujeu, chercheuse et cofondatrice de Désinfox Migrations, estime que cette énième loi prépare les déceptions de demain de ceux qui croient possible de mieux contrôler l’immigration : « Vu notre expérience en la matière, rien dans ce projet ne peut faire croire qu’il va atteindre les objectifs qu’il se fixe. Car l’objectif n’est pas bon »

Il y a de quoi légiférer, mais pas avec le même but

Mais alors un « bon objectif », une « bonne loi » sur le sujet, ça serait quoi ? Une loi qui ne se voile pas la face sur le phénomène global des migrations ? « L’immigration a toujours existé dans le monde, et ça sera encore plus fort demain à cause du réchauffement climatique, des conflits géopolitiques et des inégalités qui se creusent », décrit Fanélie Carrey-Conte. D’ailleurs, Mélodie Beaujeu ne dit pas qu’il n’y a rien à légiférer, mais « on ne prend pas suffisamment en compte des obstacles qui peuvent être insolubles. Ce n’est pas un manque de volonté politique, c’est que l’immigration est un sujet vraiment complexe ».

Elle prend l’exemple concret des obligations de quitter le territoire français, les fameuses OQTF, qui sont prononcées quand, par exemple, un demandeur ou une demandeuse d’asile est déboutée. Une faible proportion est exécutée chaque année, et le gouvernement veut améliorer ce chiffre. « Sauf que ces OQTF, elles ne peuvent se faire que si les pays d’origine donnent un laissez-passer consulaire. Sans cela, rien n’est possible », rappelle la chercheuse de Désinfox Migrations. « Il serait plus intéressant de voir comment on fait avec ces personnes qui, de toute façon, ne vont pas rentrer chez elles aussi vite qu’on le voudrait. »

Un manque d’évaluation des politiques antérieures

Ce n’est pas vraiment l’ambiance. Tous les sondages montrent que les Français sont favorables à un durcissement des règles : 73 % trouvent la politique migratoire de la France « trop laxiste », d’après un sondage Elabe du 8 novembre. Pour Najat Vallaud-Belkacem « ce type de lois, c’est vraiment l’impuissance en action ». Elle pointe « une facilité à recourir à des rodomontades à défaut de venir agir sur ce qui travaille la société française : le sentiment que ses conditions de vies sont en train de se dégrader avec un recul évident des services publics (santé, école, transports…), qui est moins le fait des demandeurs d’asile que de choix politiques assumés ».

Cela marque aussi le manque d’évaluation des politiques publiques par le Parlement : « On fait des textes toujours plus répressifs sans commencer par se demander ce qui n’a pas fonctionné dans la précédente », assure l’ancienne ministre.

La classe politique responsable

Cette accumulation de lois parle aussi « d’un reflex défensif, de peur, de rejet de l’autre », juge la secrétaire générale de la Cimade. « Cette fuite en avant dit malheureusement que les idées xénophobes, racistes, progressent dans le débat public. » Mais Fanélie Carrey-Conte blâme plus l’obsession de la classe politique que la société tout entière : « Quand on dit du soir au matin que les migrants sont des criminels et des terroristes, ça a forcément un effet performatif. »

Certes, « des digues ont sauté » selon elle, mais « la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) montre tous les ans que la tolérance vis-à-vis des étrangers progresse. Il y a beaucoup d’initiatives d’accueils dans les territoires. Notamment dans des territoires dévitalisés qui revivent » grâce à l’immigration. Dans le dernier rapport sur le racisme de la CNCDH, en 2022, l’indice de tolérance aux étrangers est de 64/100, soit le second meilleur score en trente ans. « C’est aussi ça la réalité », conclut la secrétaire générale de la Cimade.