Jeunesse en dangerComment stopper l’explosion du nombre de rixes entre en Île-de-France ?

« Un phénomène qu’on peut atténuer », comment lutter contre les rixes entre groupes de jeunes ?

Jeunesse en dangerEn France, une rixe sur quatre a lieu en Essonne selon le rapport présenté par Fatima Ogbi, conseillère régionale, qui présente à 20 minutes son plan de bataille pour endiguer leur nombre
Le jeune Kendy, 15 ans, a été tué lors d'une rixe entre jeunes dans le Val-d'Oise, le 4 décembre dernier.
Le jeune Kendy, 15 ans, a été tué lors d'une rixe entre jeunes dans le Val-d'Oise, le 4 décembre dernier.  - Maryam EL HAMOUCHI/AFP / AFP
Romarik Le Dourneuf

Romarik Le Dourneuf

L'essentiel

  • Fatima Ogbi, élue au Conseil régional, lance un plan de lutte contre les rixes en Île-de-France.
  • « À l’échelle d’Évry-Courcouronnes, on estime qu’environ 15 % des 11 à 18 ans seraient impliqués dans les rixes. »
  • « Mais ce qui marque surtout, c’est la futilité des raisons de ces affrontements. Cela peut être un simple regard ou une rivalité amoureuse. »

À l’image de la mort de Thomas Perotto, à Crépol le 18 novembre dernier, les faits divers relatant des morts ou des blessés lors de rixes se multiplient ces derniers temps. S’il est difficile de faire la part des choses entre le miroir grossissant des médias ou la description d’un phénomène en pleine explosion, ce que l’on sait en revanche, c’est que les rixes entre jeunes sont en nombre croissant et que l’Île-de-France semble en avoir fait une sordide spécialité.

Au point que Fatima Ogbi, élue au Conseil régional lance un plan de lutte contre les rixes en Île-de-France. Selon son analyse, une rixe sur deux (51,5 % en 2020) en France a lieu dans la région. Egalement adjointe au maire de Grigny, l’élue est tristement concernée puisque le département de l’Essonne recense la moitié des rixes constatées dans la région (91 cas sur 186 en 2020). Pour 20 Minutes, elle explique les contours de ce plan.

Des participants jeunes, des raisons futiles

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une rixe ? Le terme si souvent utilisé n’est pas facile à définir. Selon le rapport, il ne s’agit ni de délinquance ordinaire, ni de violence protestataire. Elles sont déconnectées des trafics de stupéfiants ou de l’économie souterraine. « C’est un phénomène très volatil, explique Fatima Ogbi, ce n’est pas un phénomène nouveau, mais c’est une nouvelle forme apparue ces dernières années qui s’est accentuée. »

Selon le rapport, les participants à ces rixes sont de plus en plus jeunes, entre 13 et 17 ans : « À l’échelle d’Évry-Courcouronnes, on estime qu’environ 15 % des 11 à 18 ans seraient impliqués dans les rixes. » Elles sont parfois la traduction de rivalités géographiques, entre villes ou entre quartiers, mais évoluent très rapidement, parfois jusqu’au niveau départemental.

« Mais ce qui marque surtout, c’est la futilité des raisons de ces affrontements. Cela peut être un simple regard ou une rivalité amoureuse » ajoute Fatima Ogbi. Pire, certaines rivalités se transmettent de génération en génération, et elles donnent lieu à des rixes dont les acteurs ne connaissent même pas la cause. « On a des exemples entre les villes de Saint-Michel-sur-Orge et Sainte-Geneviève-des-Bois, une rivalité continue depuis 3 ou 4 ans. Ou encore entre Evry contre Courcouronnes, depuis vingt ans. Quand on leur demande pourquoi ils se battent, eux-mêmes sont incapables de répondre. »

Autant de causes qui rendent très difficile l’appréhension et la lutte contre ces événements.

Endiguer le phénomène

Mais pour essayer tout de même de freiner le phénomène et éviter de nouveaux drames, le plan de lutte met en avant plusieurs axes de travail. L’un d’entre-eux concerne les réseaux sociaux. Si les rixes n’ont pas attendu Instagram ou TikTok pour exister, les réseaux sociaux sont un terrain d’expression qui leur permettent de prospérer.

En amont d’abord, par les provocations et menaces qui pullulent ou les « rencontres » qu’ils permettent entre potentiels rivaux, créant une atmosphère d’escalade. Pendant et après, en relayant la diffusion des images, parfois en direct, ce qui auto-entretient un climat de violence. « Le contrôle de ces réseaux et leur surveillance sont un enjeu clé pour prévenir et anticiper les rixes », établit le rapport. « On peut travailler avec des associations spécialisées sur ces points. Elles interviennent dans les lycées pour rappeler les dangers du numérique, et leurs conséquences, jusqu’aux plus tragiques », ajoute Fatima Ogbi.

Formation et coopération

C’est la surveillance de ces mêmes réseaux qui a permis d’éviter qu’une rixe éclate ce week-end en Essonne, rappelle l’élue. Alertée via les réseaux sociaux, la police a pu intervenir avant que la situation entre deux groupes ne dégénère. Mais pour gérer ces conflits si particuliers, une formation est nécessaire. Une formation que Fatima Ogbi demande pour tout l’aspect régalien de l’ordre : Police, justice et médiation.

Mais cette formation est l’affaire de tous selon le rapport. Aussi, Fatima Ogbi préconise que les associations de terrain, les agents de collectivités territoriales et les élus bénéficient aussi d’une formation spécifique pour prévenir ces dangers.

Tous formés, ces acteurs pourraient collaborer de manière plus efficiente. Le rapport prend pour exemple la commune de Corbeil-Essonnes qui a mis en place un dispositif local d’alerte rixes (DLAR) qui met en lien la police, la préfecture, les associations et les services municipaux via un groupe WhatsApp afin de détecter les signaux faibles, de surveiller les réseaux sociaux ou de signaler des attroupements.

Privilégier la rencontre et l’échange

Une surveillance qui pourrait inclure tout le système de transport en commun d’Île-de-France. Notamment le transport scolaire, dont la région a la responsabilité. Selon le rapport, « les arrêts de bus et les bus eux-mêmes sont des lieux particulièrement sensibles où les bandes guettent la présence éventuelle de rivaux dans les bus ».

Enfin, le plan de lutte contre les rixes mise sur l’échange entre les groupes rivaux ou potentiels adversaires. Non pas en leur proposant un ring, mais par le partage et l’échange. Pour Fatima Ogbi, participer tous ensemble à des activités culturelles ou sportives permet d’apaiser les tensions. Elle prend en exemple l’association « Jeunesse Fière et Solidaire » en Essonne qui organise des séjours de rupture interquartiers d’une semaine à Royan, en partenariat avec des associations sportives.

Un plan à un million d’euros pour la région

Un pari payant selon l’élue : « Les quartiers de la Grande Borne et Grigny à Grigny 2 se battaient depuis des années. Nous avons organisé avec le service jeunesse de la ville et les parents des activités et des séjours pour créer du lien entre eux. Et depuis quelques années, nous n’avons plus de rixes entre ces deux quartiers. Nous pouvons créer les conditions pour atténuer ce phénomène. »

Et c’est pour stopper cette spirale de violence que Fatima Ogbi demandera lors du prochain Conseil régional, le 21 décembre prochain, le déblocage d’une ligne de budget d’un million d’euros consacré à la réalisation de ce plan.