docteur maboul & Mister MileiLa dévaluation du peso, un remède trop bourrin pour sauver l’Argentine ?

Argentine : Dévaluer le peso de 50 %, un traitement efficace ou suicidaire pour sauver l’économie ?

docteur maboul & Mister MileiEn dévaluant sa propre monnaie de plus de 50 % pour sauver son économie, l’Argentine a-t-elle choisi un remède pire que le mal ?
Le président Milei, au chevet de l'économie argentine, administre-t-il un traitement trop fort ?
Le président Milei, au chevet de l'économie argentine, administre-t-il un traitement trop fort ?  - Montage Cnythzl de Getty Images, Raw Pixels et Reuters  / Montage - Cnythzl de Getty Images, Raw Pixels et Reuters
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • L’économie argentine est malade depuis des décennies, et les symptômes s’aggravent en cette année 2023. Dernier chiffre choc en date, une inflation estimée en novembre à 161 % sur un an.
  • Le nouveau président ultralibéral Javier Milei, intronisé dimanche, a promis de fournir à son pays « un traitement choc ». Et le nouveau venu a fait fort mercredi en dévaluant la monnaie nationale de plus de 50 %.
  • Javier Milei est-il le médecin dont l’Argentine avait besoin, ou un docteur maboul avec son traitement de cheval de guerre ?

Des rhumatismes de pauvreté, une dette avec une forte toux, et une fièvre inflationniste dont le thermomètre pète le plafond. Les symptômes ne trompent pas : l’économie argentine est malade. Comptez 40% de la population en situation de pauvreté et une dette contractée en 2018 auprès du FMI de 44 milliards de dollars, dont le pays peine à se dépêtrer. Mais surtout, une inflation de 161 % sur un an au mois de novembre (oui, oui), contre 2,4 % en moyenne en Europe.

Face à cette maladie semblant incurable, l’Argentine s’est choisi un drôle de docteur : le nouveau président ultra-libéral Javier Milei, intronisé dimanche. Et pour tenter de guérir son pays, le chef d’Etat, qui avait promis de ne pas faire dans la dentelle, a effectivement appliqué un traitement choc. Une dévaluation du peso, la monnaie nationale, de plus de 50 % ce mercredi. Au point que les âmes sensibles peuvent se demander : le remède est-il pire que le mal ?

Un traitement qui va ravager

« Il n'y a pas d'alternative à un choc budgétaire », a prévenu Javier Milei. Effectivement, Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE), ne le cache pas : ça va piquer. « Cela va forcément mettre encore plus d’Argentins dans la pauvreté et amplifier massivement la crise du pouvoir d’achat qui frappe le pays », prévient-elle. L’inflation n’est en effet pas près de s’arrêter avec une telle dévaluation. « Forcément, avec une monnaie plus faible, le prix des importations augmente, donc le coût de la vie », note Sylvain Bersinger, économiste chez Astérès. Avant mercredi, il fallait 400 pesos argentin pour payer un dollar. Dès ce jeudi, il en faudra 800. Le BIPE estime que l’Argentine risque de connaître une inflation de 113 % en 2024, certes un peu moins que le taux actuel, mais franchement pas réjouissant.

Dévaluer la monnaie aussi brutalement est également une très mauvaise nouvelle dans le cadre de la dette contractée auprès du FMI. Tout comme les importations, toutes les dettes à régler en dollar sont doublées, « ce qui rajoute d’autres problèmes » poursuit Anne-Sophie Alsif. Enfin, si dévaluer la monnaie est une technique généralement efficace (on y revient plus tard), elle perd de ses effets « quand le pays est en récession », alerte la cheffe économiste. Et ça tombe mal, c’est le sort qui attend le pays, selon les prévisions du BIPE : après une croissance de plus de 5 % cette année, la patrie de Lionel Messi devrait connaître une récession de 3,5 % en 2024.

Le moins pire des traitements ?

« Ca commence à faire beaucoup », reconnaît Anne-Sophie Alsif. Et effectivement, nous voilà devant un drôle de remède qui semble amplifier les problèmes plutôt que les résoudre. Alors, pourquoi docteur, pourquoi ? Tout comme Rome ne s’est pas fait en un jour, Buenos Aires guérira de manière lente. « Oui, la dévaluation va dans un premier temps amplifier certaines crises, mais ça aurait été encore pire sans cette action, notamment l’inflation », appuie l’experte. La raison est toute simple : une monnaie surévaluée, comme c’était le cas du peso (et comme c’est probablement toujours le cas, même avec une perte de 50 %), n’est pas tenable sur le long terme.

La monnaie ne correspond plus au réel, personne n’en veut et n’achète avec, que ce soit sur le marché intérieur ou avec les partenaires étrangers, la banque centrale est forcée de racheter son propre argent en dollar, ce qui vide ses réserves… Le peso vaut probablement trois fois moins que ce qu'il était évalué jusqu’à mercredi, estime le cabinet Astères. « Je ne dis pas que c’est le remède miracle qui va guérir tous les problèmes argentins, nuance Sylvain Bersinger, mais cela aurait été pire en n’agissant pas. Sans doute même aurait-il fallu le dévaluer beaucoup plus tôt. Et sans doute aussi Javier Milei va à nouveau le déprécier dans le futur. Ce n’est pas le traitement miracle, mais le moins pire des traitements ». Ce qu’il faut voir dans cette mesure choc, c’est donc moins une tentative de remettre l’Argentine sur pied que de stopper son hémorragie.