prixLe(s) trimestre(s) anti-inflation en 2023 sont-ils un flop ?

Pouvoir d’achat : Pourquoi le(s) trimestre(s) anti-inflation ont globalement fait « pschitt »

prixLe trimestre anti-inflation, commencé en mars dernier, va se terminer « en cette fin d’année », sans plus de précision de la part des autorités
Le trimestre anti-inflation n'y a rien changé : dur dur de faire les courses cette année pour les Français.
Le trimestre anti-inflation n'y a rien changé : dur dur de faire les courses cette année pour les Français. - Getty Images  / Getty Image
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Après avoir joué les prolongations, le trimestre anti-inflation, initialement prévu de mars à juin, se terminera en « cette fin d’année », indique Bercy, sans qu’une date très précise ne soit donnée.
  • Un flou qui illustre la complexité et l’opacité de cette mesure, loin d’avoir eu le succès escompté dans le cœur des consommateurs.
  • 20 Minutes revient sur ce qui ressemble bien au flop de 2023 niveau lutte pour le pouvoir d’achat.

2017. Le Paris Saint-Germain célèbre en grande pompe la signature de la star Neymar, avec pour but d’écraser le football européen. Six ans plus tard, le Brésilien, cabossé par la vie et les échecs, quitte le club dans une quasi-indifférence générale, aucun trophée continental dans la besace et un bilan bien plus mitigé que les folles ambitions qui accompagnaient sa venue.

C’est un peu le sort qui attend le(s) trimestre(s) anti-inflation. Ces derniers se terminent en cette fin d’année dans un relatif anonymat général, que ce soit à Bercy, dans la grande distribution et, pire, pour les consommateurs. Ultime preuve de la confusion qui a continuellement entouré cette mesure : aucune date officielle de fin n’est établie. Annoncé en fanfare en mars 2023 au cours d’un début d’année marquée par une inflation au plafond (5,6 % à l’époque, 15,9 % sur les produits alimentaires), le trimestre anti-inflation, qui aura finalement duré un peu plus de neuf mois, s’est trop perdu dans ses complexités pour réellement marquer les esprits et les porte-monnaie.

Un départ manqué

Pas besoin de jouer les surpris : dès le départ, la mesure partait sur de mauvaises bases. L’intention initiale de Bercy était de définir une gamme de produits alimentaires en supermarchés qui seraient protégés de la hausse des prix. Premier accroc de taille : alors que le gouvernement voulait fixer une liste obligatoire, le choix des produits est finalement revenu aux enseignes elles-mêmes, chacune pouvant établir sa propre liste.

Comme la cheville de Neymar qui tourne dès sa première saison, un couac d’entrée. « Il faut parcourir tout le magasin, l’œil bien ouvert, pour trouver quels sont les produits concernés. Produits qui correspondent rarement à ma liste de course, déplore Sandrine, 43 ans, dans un Carrefour Market du 9e arrondissement de Paris. C’est un vrai micmac et on ne s’y retrouve pas, d’autant plus que ça change dans chaque enseigne. Rendre les courses encore plus complexes, il fallait y penser. » Même constat au rayon boucherie avec Maureen, quinquagénaire pas franchement convaincue : « Encore aujourd’hui, je n’ai toujours pas compris la différence avec de simples promotions, qui sont parfois bien plus rentables d’ailleurs. Pour tout vous dire, je ne savais pas que ce dispositif existait encore. »

Trop courte sélection de produit

Une amnésie que partage Grégory Caret, directeur de l’Observatoire de la consommation à l’UFC Que-Choisir : « Plus personne n’en parle dans les discussions entre les professionnels, ce n’est plus non plus un sujet que l’on aborde. Chez le consommateur également, la mesure semble totalement oubliée. » Lui aussi place sur le banc des accusés le libre choix laissé aux enseignes sur les produits concernés : « C’est un cadeau fait à la grande distribution. Il y avait pas mal de produits que les gens n’avaient pas l’habitude de mettre dans leur chariot, donc assez peu utiles. A cause de cela, le trimestre anti-inflation a été un épiphénomène et pas une mesure d’ampleur qui a changé la donne du ticket de caisse. »

Isabelle Senand, directrice des études à la Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution, refuse « de qualifier la mesure d’anonyme. Les retours consommateurs étaient positifs et les clients cherchaient les produits concernés ». Mais elle le reconnaît : le trimestre anti-inflation était limité dans son impact. « Selon les magasins, ils concernaient entre 150 et 300 produits, quand une enseigne en contient 30.000 en moyenne ».

Des effets, quels effets ?

Marc Touati, économiste et président du cabinet de conseil Aux commandes de l’économie et de la finance (Acdefi), élargit la focale : « Le bouclier tarifaire, les chèques énergie, le trimestre anti-inflation… Le gouvernement n’a eu de cesse d’annoncer des mesures chocs, pour quel effet ? Entre janvier 2022 et novembre 2023, les prix à la consommation auront augmenté de 10,7 % en France, contre 9,7 % en Espagne et 8,7 % en Belgique. Avec tant de mesures annoncées, on pouvait espérer plus de résultats »

Même constat désappointé chez Grégory Caret : « En 2023, les produits alimentaires sont 25 % plus cher qu’il y a deux ans. Les consommateurs changent leur habitude d’achat, soit en diminuant leur volume soit en baissant de gamme. Si le but était de protéger le pouvoir d’achat, elle n’a pas marché. »

Une artificialisation des prix qui malmène la vision du consommateur

Soyons bons joueurs : l’inflation française a été bien plus limitée lors de son pic que chez nos voisins espagnols ou belges. A l’été 2022, au plus fort de la hausse des prix pour l’ensemble de l’Europe, la France subissait une inflation maximum de 6,2 %, contre 10,8 % en Espagne et 10,5 % en Belgique. Mais comme en Coupe d’Europe, c’est à la fin qu’on compte les vainqueurs et les perdants. Et c’est bien là que le bât blesse : « Au final, la hausse des prix n’est pas moins forte, pointe Marc Touati. On peut dire que ces mesures ont diminué la violence de l’été 2022, mais elles ont surtout brouillé les pistes. Les prix n’ont pas monté autant qu’ils auraient dû, et ne baissent pas actuellement autant qu’ils le devraient. Du coup, en artificialisant tout avec des tas de mesures, on altère encore plus la vision et la compréhension du consommateur. »

Reste à voir si 2024 aura plus de succès pour le ticket de caisse. « Il y a une décélération de l’inflation, et des prix légèrement en baisse depuis quelques mois », se réjouit Isabelle Senand. Qui prévient que tout (ou presque) risque de se jouer à la prochaine grande échéance : « Les négociations entre les industriels et la grande distribution en janvier seront essentielles pour déterminer les prix de l’année à venir. » Après tout, une fois Neymar parti, le PSG se l’est à nouveau promis : cette année, c’est la bonne pour la Ligue des champions.