Enquête 2/3Basket, handball, rugby… Les parents invivables sont partout

« Projet Mbappé » : Basket, handball, rugby… Les parents « invivables » sont partout, pas seulement au football

Enquête 2/3Dans de nombreux sports au niveau amateur, dirigeants et éducateurs doivent composer avec des géniteurs parfois insupportables
Plusieurs clubs de basket ont dû sermonner les parents après que des matchs ont mal tourné à cause de certains comportements inadmissibles.
Plusieurs clubs de basket ont dû sermonner les parents après que des matchs ont mal tourné à cause de certains comportements inadmissibles.  - Matimix / Getty Images
Nicolas Stival et Jérémy Laugier

Nicolas Stival et Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Ils sont convaincus que leur enfant est le prochain Kylian Mbappé, Victor Wembanyama ou Antoine Dupont. 20 Minutes a enquêté sur les parents ingérables au bord des terrains, un phénomène qui touche prioritairement le foot, mais qui commence à essaimer dans d’autres sports collectifs en France.
  • Les clubs, appuyés par leurs fédérations et les structures intermédiaires, commencent à prendre la mesure de ces comportements et à mettre en place des réponses adaptées : entraînements à huis clos, responsabilisation de parents-citoyens, et même exclusion d’enfants.
  • Dans ce deuxième épisode d’une série d’articles publiés jusqu’à dimanche, on s’intéresse ce samedi à des disciplines comme le basket, le handball et le rugby, qui doivent composer avec cette donne.

Avec son statut de premier sport de France et son sommet de la pyramide qui brasse des milliards d’euros, le football fait figure de coupable tout désigné lorsqu’on évoque les débordements de parents, aveuglés par le désormais fameux « projet Mbappé », sur les bords de pelouse. Pourtant, si le phénomène y est indubitablement plus fort qu’ailleurs, la discipline n’a pas le monopole des géniteurs envahissants, voire menaçants, jugés « invivables » par tant d’éducateurs interrogés. Prenez le basket. Voici quatre ans, la Fédération française (FFBB) avait partagé un test à destination des parents de jeunes joueurs et joueuses intitulé « Un supporteur ou insupportable », afin de les sensibiliser au fair-play douteux de certains d’entre eux.

Le comité départemental de la Loire de basket va plus loin depuis l’an passé avec son « Guide du parent de mini-basketteur » permettant de voir si l’on fait partie des parents « fanatiques, supporteurs, absents ou excités ». L’instance a aussi créé « l’observatoire des incivilités », afin de tenter d’enrayer le phénomène, après un événement qui a servi d’électrochoc : la finale départementale de basket féminin U13 opposant Neulise à Villars, le 25 juin 2022 à Saint-Etienne. Le match avait été interrompu à cause d’un incident inattendu : la mère d’une joueuse de Villars avait traversé le terrain pour s’en prendre violemment aux personnes à la table de marque, qui venaient d’annoncer la cinquième faute de sa fille.

« C’était l’épisode final qui a poussé le comité à arrêter la rencontre, mais ça insultait et ça criait de partout en direction des arbitres et de la table de marque depuis un moment, se souvient Isabelle Garnier, la présidente de Neulise. On avait l’impression qu’on jouait la finale de la Coupe du monde ce jour-là, je n’avais jamais vu ça. Ce n’était plus possible de continuer, certaines de nos joueuses étaient en pleurs. Elles n’avaient pas à supporter autant de pression. »

En Haute-Vienne, les arbitres avaient décidé voici un an de poser leur sifflet le temps d’un week-end, face à une recrudescence des actes violents envers eux, « venant régulièrement des parents ». « Les incivilités touchent tous les niveaux, même les plus bas, décrit Clément Ouzeau, responsable de la commission fair-play au comité du 87. On sent bien que beaucoup de parents s’improvisent experts en tout, en jeu, en coaching, en arbitrage, et ils ne rendent pas service aux enfants. »

Une bagarre générale lors d’un match de basket en U11

Dans le Lot-et-Garonne, en avril 2023, c’est une rencontre U11 entre Fongrave et Saint-Gemme qui a dégénéré en bagarre générale entre parents. Devant ces faits, la FFBB a lancé le rôle du délégué fair-play sur les matchs de jeunes. Un bénévole du club hôte porte un brassard spécial et veille à avertir les spectateurs pouvant faire des remarques inappropriées, avant que ça ne dégénère pour de bon. De même, certains clubs n’hésitent pas à sanctionner les mauvais comportements de parents en imposant aux fautifs d’arbitrer des matchs dans les catégories jeunes.

Le comité de Haute-Vienne de basket sensibilise les enfants au fair-play, à l'image de cette campagne « Incivilités non » cette année, après le week-end de grève décrété par les arbitres du département en décembre 2022.
Le comité de Haute-Vienne de basket sensibilise les enfants au fair-play, à l'image de cette campagne « Incivilités non » cette année, après le week-end de grève décrété par les arbitres du département en décembre 2022. - Clément Ouzeau

L’immense majorité des témoins interrogés estiment que l’après-Covid 19 a donné lieu à un surplus d’agressivité, comme si celle-ci avait été contenue au gré des confinements et autres restrictions sanitaires. Une coach de basket dans la catégorie U9, qui tient à garder l’anonymat, raconte l’histoire de ce père qui « faisait peur aux enfants car on l’entendait bien plus que moi ». « Il fallait que son enfant ait tout le temps le ballon. Il criait donc sans cesse pour que ses coéquipiers lui fassent la passe. » Malgré les efforts de sa compagne pour le calmer, l’individu est encore monté dans les tours.

« Il s’est mis à taper plusieurs fois le mur avec son poing et à hurler sur un joueur adverse qui avait poussé involontairement son fils. C’en était trop, je lui ai interdit de revenir aux matchs tant qu’il n’était pas capable de garder son calme, et je ne l’ai pas vu pendant trois mois. » »

Du côté de Toulouse et du handball, c’est avec un parent adverse que le père d’un U18 du club du Fenix, le fleuron de la région, s’est accroché dans les tribunes, en fin de saison dernière. Résultat : un match à huis clos, disputé au début de l’actuel exercice, et une leçon de pédagogie délivrée par la présidente Christine Bouillot. « Cette équipe s’est entraînée à huis clos pendant les quinze jours qui ont suivi l’altercation. Je voulais dire aux parents : "Si vous ne savez pas vous tenir, vous posez vos enfants au gymnase et vous attendez la fin de l’entraînement pour les récupérer". Quant au match à huis clos, il s’est passé divinement bien : les arbitres ont adoré, les joueurs aussi. »

Une « police de salle »

Seulement, il n’est pas question de jouer toutes les rencontres avec le bruit du ballon et les consignes des entraîneurs comme seuls échos. « On a écrit à tous les parents, à tous les licenciés en début de saison pour dire qu’on allait muscler la présence autour des terrains des parents habilités à faire respecter un climat de convivialité », détaille Christine Bouillot.

Cette « police de salle », à l’image des parents fair-play du basket, doit prévenir toute montée de tension. Aujourd’hui, le parent fautif en fin de saison dernière a fait amende honorable, et « le climat général est assaini », indique la présidente. Les mesures évoquées précédemment restent toutefois plus faciles à mettre en place dans un sport de salle qu’en « open space », comme au foot mais aussi au rugby.

Les gradins d'une salle de basket, dans un club de niveau départemental.
Les gradins d'une salle de basket, dans un club de niveau départemental. - C.Cassard

En 2018, devant une montée des incivilités sur ses pelouses, Michel Ruamps, président du comité départemental de rugby du Tarn-et-Garonne (CD 82), avait écrit une lettre aux parents et initié une politique des chasubles pour distinguer, selon les couleurs, les différents adultes responsables sur les plateaux de jeunes (chef de plateau, éducateur, arbitre et « parent citoyen »). Cinq ans plus tard, « le phénomène n’a pas diminué, mais il n’a pas non plus explosé », observe le dirigeant.

« Des parents pensent que leur fils va jouer au Stade Toulousain »

Pour lui, le nombre et la qualité des éducateurs sont essentiels, dans une époque où le bénévolat vacille et fait face « à des enfants rois ». « Des parents pensent que leur fils va jouer au Stade Toulousain, la référence, poursuit Michel Ruamps. Si vous n’avez pas un entraîneur pédagogue et à l’écoute, il peut y avoir quelques tensions à ce sujet. »

Chez le voisin haut-garonnais, on évoque un problème plus large. « Il y en a toujours qui pensent que leur gamin doit finir au Stade Toulousain ou dans d’autres grandes équipes mais ce ne sont pas ceux-là qui jettent le trouble, assure Daniel Fabre, président du CD 31. Il y a quelques échauffourées de temps en temps entre supporteurs. L’arbitre a toujours été une cible. Pour l’instant, ici, ce ne sont que des agressions verbales, Dieu soit loué. Mais il y a des comportements déviants, qui s’aggravent ces dernières années autour des terrains. »

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« Le phénomène est plus important chez les jeunes, surtout en cadets et juniors, avec un mélange de supporteurs et de parents, reprend Daniel Fabre. L’esprit du rugby prédomine, mais ce sont des comportements qui nous ont alertés. C’est pour cela que nous nous sommes associés à l’initiative "Respectez mon sport". »

Le parent absent, jumeau maléfique du parent envahissant

Cette opération, lancée en avril 2023 et qui va être reconduite en 2024, concerne aussi les comités haut-garonnais de football, de volley, de handball et de basket. Au menu, lecture de charte mais aussi déploiement de banderoles jusque sur les terrains de clubs professionnels (TFC, Stade Toulousain, Colomiers Rugby, Spacer’s volley et Fenix handball). Avec un objectif commun : protéger enfants, arbitres et éducateurs des débordements des spectateurs de matchs, en particulier des parents.

La mission s’annonce délicate, d’autant que, s’il s’agit de calmer voire d’éloigner les pères ou mères trop fougueux, il faut aussi éviter de tomber dans l’exact opposé, synthétisé par Michel Ruamps, le président du comité départemental de rugby du Tarn-et-Garonne : « La voiture arrive, la portière s’ouvre, le gamin descend, la portière se ferme, la voiture repart. Pas un bonjour, rien ». L’équilibre à trouver est subtil, entre le parent qui déborde car il voit son enfant comme une future star, et celui qui voit le club de sport comme une simple garderie.

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