RECONVERSIONPourquoi de nombreux cadres se réorientent vers les métiers manuels

Travail : Pourquoi de nombreux cadres se réorientent vers les métiers manuels

RECONVERSIONSi travailler dans un bureau ne vous convient plus, pourquoi ne pas choisir une reconversion à travers un métier manuel ?
Lassés d'une routine sédentaire dont ils ont perdu le sens, certains salariés et cadres opèrent un virage radical pour embrasser une carrière manuelle
Lassés d'une routine sédentaire dont ils ont perdu le sens, certains salariés et cadres opèrent un virage radical pour embrasser une carrière manuelle - iStock / City Presse
Julie Polizzi pour 20 Minutes

Julie Polizzi pour 20 Minutes

Alors qu’en France les métiers dits intellectuels sont traditionnellement plus valorisés que leurs homologues manuels, on assiste à un étonnant retournement de situation depuis quelques années.

Épuisement professionnel par la surcharge de travail ou au contraire l’ennui, perte de sens, rationalisation à l’excès et autres conflits avec la hiérarchie sont en effet autant de facteurs qui usent les employés de bureau… et poussent les plus aventureux à opérer un changement radical.

L’on voit ainsi de plus en plus d’exemples d’actifs surdiplômés tout plaquer pour devenir boulanger, électricien, mécanicien, ébéniste ou encore fromager. Perçus comme plus authentiques, concrets mais aussi plus utiles, les métiers manuels prennent leur revanche.

Des exemples médiatisés

D’après une étude Apec de mai 2022, 6 cadres sur 10 qui se lancent dans un projet de reconversion s’orientent vers un métier proche du leur. Les reconversions radicales représentent donc une minorité de cas.

En revanche, elles ont la cote dans les médias. Les portraits de changements de carrière réussis d’illustres anonymes fleurissent ainsi dans la presse, à la télévision et sur la Toile, comme preuve vivante que ce pari fou est possible.

Exit la vie de bureau, place au travail manuel
Exit la vie de bureau, place au travail manuel - iStock

Certains utilisent leur propre expérience en la matière pour alimenter la réflexion autour de la valeur du travail manuel, à l’image de Matthew Crawford, précurseur en la matière. En 2010, ce philosophe a en effet publié Éloge du carburateur, un ouvrage dans lequel il raconte sa reconversion dans la mécanique.

D’autres relatent leur success-story pour y distiller conseils et encouragements aux lecteurs qui seraient tentés par l’aventure à l’instar de Fatiha et Raibed Tahri, auteurs d’On lâche rien – La méthode pappille pour créer le business dont vous rêvez, sorti ce printemps.

Ces infirmiers ont raccroché leurs blouses pour se lancer dans la confection de billes de biscuits aux saveurs du monde, au point de vendre leur maison pour financer leur rêve. Ce projet fou a mené le couple jusque sur le plateau de l’émission « Qui veut être mon associé », sur M6, qui s’est révélée un booster de croissance énorme pour leur entreprise Pap et Pille.

En quête de sens

Le sociologue Antoine Dain, doctorant à l’université Aix-Marseille, s’est intéressé à ces cas atypiques de reconversion à travers une thèse dont il s’est fait l’écho dans le journal Ouest-France en décembre 2022.

Exit la vie de bureau, place au travail manuel
Exit la vie de bureau, place au travail manuel - iStock

Sur la base de ses entretiens avec des cadres titulaires d’un bac + 5 et devenus artisans, le chercheur a établi que ces bifurcations étaient motivées par un rapport au travail « expérientiel ».

Et d’expliquer que « davantage que les ressources matérielles ou le prestige du statut professionnel, ces professionnels recherchent dans leur activité une expérience de travail satisfaisante et épanouissante en elle-même ».

Tous les témoignages recueillis par le sociologue font ainsi état d’un besoin profond de retrouver du sens dans leur métier. Ils fustigent la sédentarité des professions intellectuelles, le sentiment d’improductivité, la forte division du travail donnant l’impression d’être un rouage ou encore les réunions interminables.

Notre dossier « Travail »

Autant de défauts qui contrastent avec un travail artisanal permettant de mobiliser son corps, de s’activer, de réaliser quelque chose de concret puisque les créations sont palpables, mais aussi de tout maîtriser de A à Z et donc de gagner en autonomie.

Les clés pour se lancer

Si changer de vie du tout au tout fait rêver, c’est un challenge de taille ! Ce saut dans l’inconnu se fait par conséquent le plus souvent avec un filet de sécurité financier.

Comme l’explique le sociologue Antoine Dain, « pour certains, il s’agit d’allocations-chômage le temps de se reconvertir, des revenus d’un conjoint ou d’une conjointe, pour d’autres de l’aide financière des proches, d’une épargne préalable ou encore d’un patrimoine immobilier ».

De même, l’expérience et les diplômes constituent une autre sécurité, professionnelle cette fois, puisqu’ils permettent de revenir à un emploi plus qualifié en cas d’échec.

C’est à ces conditions que les actifs osent « transgresser les frontières socioprofessionnelles » pour s’engager dans une activité perçue comme plus épanouissante.

En général, ils se lancent d’ailleurs de leurs propres ailes puisque le sociologue constate qu’une très forte proportion de personnes reconverties se met à son compte à très court terme. « L’accès à l’indépendance ressort, de ce point de vue, comme une condition essentielle à la reconversion dans le métier artisanal ».