deprimePourquoi les Français sont les champions du monde du pessimisme économique

Pourquoi les Français sont les champions du monde du pessimisme économique pour 2024 (et tout le temps en fait)

deprimeSelon une étude de l’Ipsos, les Français sont les plus pessimistes sur les prévisions économiques de 2024. Un statut de champion du monde de la déprime que le pays remporte chaque année
Le Français reste le champion du pessimisme économique
Le Français reste le champion du pessimisme économique -  Claudio Divizia et Peyo, Montage /  Claudio Divizia et Peyo, Montage
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Chaque année, l’Ipsos dévoile une étude – Predictions – sur les prévisions des populations de 33 pays concernant l’avenir. Et chaque année, les Français sont les moins optimistes du lot.
  • Cette édition 2023-2024 ne fait pas exception, et nous voici une nouvelle fois numéro 1 des pessimistes.
  • Mais pourquoi donc gagne-t-on à chaque fois ? A quel moment avons-nous perdu l’espoir ?

Après les échecs successifs au mondial de football puis en rugby, la France s’impose finalement comme la championne du monde du pessimisme économique. Au moins une Coupe qu’on ramène à la maison. Toujours bon à prendre, même si « l’exploit » devient banal : ça fait longtemps que la France domine cette compétition de la tête et des épaules.

Loin d’être un cliché, le pessimisme est en effet un sport où le Français est quasiment imbattable. Depuis le lancement en 2012 de l’enquête Predictions d’Ipsos* – qui évalue les attentes de la population des 33 nations les plus développées au monde pour l’année à venir –, « les Français sont plus pessimistes et négatifs que les autres pays », sourit Ben Page, directeur général d’Ipsos. Et cette année encore, malgré des adversaires aux dents longues, le Français aura roulé sur la concurrence : seul 46 % du pays pense que 2024 sera meilleure que 2023, contre 70 % en moyenne mondiale.

La France la plus pessimiste mais pas la plus mal en point

Idem pour un supposé rebond économique, auquel seulement 33 % des Français croient, contre 50 % en moyenne mondiale. A chaque fois, la France est avant-dernière, juste avant le Japon, principal adversaire pas vraiment réputé non plus pour sa joie de vivre. Mais aux tirs au but, nous battons les Nippons sur le fil avec la crainte que l’intelligence artificielle ne ruine de nombreux emplois. Les Français se disent trois fois plus inquiets que les Japonais sur ce point. Idem pour le pessimisme sur une meilleure rémunération des femmes, où on se trouve bon dernier, sans concurrence.

Pourtant, et c’est tout le paradoxe, le pays est loin d’avoir la pire des situations. La banque de France prévoit une inflation annuelle de 5,8 % en 2023, contre 6,59 % pour la moyenne de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). La croissance annuelle sera positive et similaire à la moyenne de l’Union européenne, ce qui n’est pas le cas par exemple de l’Allemagne ou des Britanniques, minés par une croissance nulle ou négative. Ces Nations sont pourtant bien plus optimistes que nous sur l’avenir (57 % des Allemands et 64 % des Britons se montrent confiants).

Dépression et romantisme 100 % tricolore

Des résultats qui ne surprennent pas Philippe Crevel, économiste et directeur du cercle de l’épargne : « Au sujet de l’économie, il y a toujours eu un certain côté dépressif français. Nous sommes l’un des Etats-providence les plus développés au monde, ce qui augmente forcément les attentes et le sentiment d’injustice. On a toujours l’impression que le voisin reçoit plus d’aides que nous de l’Etat, créant de la jalousie et de la négativité. »

Attention, un cliché peut en cacher un autre. La déprime française s’expliquerait par… le romantisme si cher à notre patrie. Pour Ben Page, « la plupart des Français se réfèrent à un passé qu’ils ont tendance à idéaliser, comme les ''30 Glorieuses''. Ces années leur semblent avoir été synonymes de progrès alors que les nôtres sont celles des problèmes et des polycrises : climatiques, géopolitiques, économiques… » Une vision très passéiste qui provoque bien des déprimes hivernales au moment d’imaginer 2024. « De par cette très profonde nostalgie, il y a une difficulté à se projeter dans l’avenir », poursuit Philippe Crevel.

Méconnaissance et défiance

Pas mal de fantasmes que le directeur du cercle des Epargnants attribue à une méconnaissance. L’occasion de voir Robert Zuili, psychologue spécialiste des émotions et auteur de Le pouvoir des liens (Edition Mango, 2023), se pencher à son tour au chevet de la France : « Face à l’inconnu ou à des concepts qu’on ne maîtrise pas, on préfère ne pas trop investir d’émotions positives et être naturellement défiant. Cela nous évite d’être déçu. Par cette méconnaissance de l’économie, on ne retient que les informations négatives – l’inflation, les mauvaises prévisions du chômage pour 2024… ».

Preuve de cette méconnaissance, le Français « est bien plus optimiste sur sa situation personnelle économique ou privée, qu’il connaît bien mieux que sur la situation globale du pays », note Philippe Crevel.

Et l’air du temps n’aide pas, conclut Ben Page : « Les Français se distinguent par le sentiment que la mondialisation est une menace pour leur pays, alors que la France est un acteur-clé de l’économie mondiale, avec par exemple des banques et des entreprises qui réussissent à l’international. Ils ont la conviction que la France est unique, en se référant au Général de Gaulle, voire auparavant… ». Vraiment imbattables pour râler, on vous dit.

* Etude Predictions 2023 publiée en décembre 2023. Résultats basés sur 24.792 adultes de moins de 75 ans dans 33 pays, interrogés en ligne entre le 20 octobre et le 3 novembre 2023. La « moyenne mondiale des pays » reflète le résultat moyen de tous les pays et marchés où l’enquête a été menée.

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