sexismePourquoi les cheveux courts chez les femmes défrisent autant la chronique ?

Miss France 2024 : Pourquoi les cheveux courts chez les femmes défrisent autant la chronique ?

sexismeL’élection d’Eve Gilles à Miss France a provoqué de vives critiques, notamment sur les réseaux sociaux. La cible de ces attaques ? Ses cheveux courts, inhabituels dans la compétition. Une coiffure encore très genrée chez les femmes
La Miss France 2024, Eve Gilles (Miss Nord-Pas-de-Calais), durant la cérémonie qui l'a consacrée lauréate
La Miss France 2024, Eve Gilles (Miss Nord-Pas-de-Calais), durant la cérémonie qui l'a consacrée lauréate - A.Finistre / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Pour la première fois, une lauréate Miss France, Eve Gilles, arbore les cheveux courts. Un cas unique qui n’a pas été sans conséquence, puisque des tonnes de commentaires véhéments sur les réseaux sociaux ont accompagné l’élection.
  • Même hors des défilés et des paillettes, une coiffure courte chez une femme l’expose quasi fatalement à des clichés et des critiques.
  • Si la société évolue lentement, le cheveu reste, lui, particulièrement genré et porteur de symbolique.

Prolongez ces cheveux que je ne saurais voir. Si chaque lauréate de Miss France traîne son lot de haters, l’élection d’Eve Gilles, Miss Nord-Pas-de-Calais, a donné lieu à une vague d’avis véhéments assez inédite dans l’histoire de la compétition, notamment sur les réseaux sociaux. Le crime de lèse-majesté ? Ses cheveux courts, jugés pas assez féminins par une frange du public. Probablement que l’heureuse élue était préparée à ses réactions, puisque dans son discours de miss, elle clamait notamment : « La diversité, le changement peut faire peur, mais cela fédère aussi. »

Pour de nombreuses femmes, porter les cheveux courts n’est effectivement pas sans conséquence. « La première semaine où je me suis coupé les cheveux, trois personnes différentes m’ont demandé si j’étais lesbienne », témoigne pour 20 Minutes Joséphine, lilloise de 25 ans. Léa, 32 ans, habituée des cheveux longs avant un grand coup de ciseaux à la moitié de la vingtaine, sait aussi que l’acte n’est pas anodin : « Aucun autre changement de style de ma part n’a suscité autant d’avis, de commentaires et de réactions négatives. On m’a dit que c’était une erreur, que j’étais moins belle, moins femme. Il y a cette idée débile que le cheveu féminin est sacré. Et le sacré, on ne le coupe surtout pas ! Certains m’ont même demandé si je n’avais pas un cancer, comme si je ne pouvais pas me couper les cheveux juste par envie et parce que moi, je me trouvais plus belle ainsi. »

« Se couper les cheveux, c’est un peu se couper des hommes »

La taille du cheveu reste encore extrêmement genrée. Dans une étude de 2018 réalisée par Mahasoa, marketplace pour les coiffeurs et barbiers indépendants, 77 % des femmes disaient préférer les hommes aux cheveux moyennement courts, quand à l’inverse, les cheveux longs chez une femme obtenaient la faveur de 62 % des hommes. 24 % disaient préférer les cheveux très longs, contre seulement 7 % pour les cheveux très courts. Léa décrypte : « Se couper les cheveux, c’est un peu se couper des hommes. C’est faire un choix dont on sait d’avance qu’il déplaira à une majorité d’entre eux. Sans doute pour ça qu’ils le prennent si mal d’ailleurs, parce qu’ils savent que ça veut dire qu’on se moque de leur avis. »

Pour Alice Audrezet, enseignante-chercheuse à l’Institut de la mode : « Il est certain que les cheveux font encore partie des normes de genre, et que les standards de la féminité, et notamment à Miss France, vont plus sur des cheveux longs. » Néanmoins, elle veut voir en Eve Gilles les preuves d’une société qui évolue. Non seulement par sa victoire finale, mais aussi par sa qualification dans les 15 finalistes, une décision qui dépend uniquement du jury. « Si ce dernier estimait que la société n’était pas prête du tout, il ne l’aurait pas sélectionné. Il est certain qu’il y a 30 ans, elle n’aurait pas fait partie de la liste. »

Les cheveux courts, plus un tabou

Preuve en est, Eve Gilles est la première lauréate à porter les cheveux courts… mais aussi seulement la deuxième candidate de l’histoire du concours à aborder une telle coupe. Sa prédécesseure, Karine Lherm – Miss Albigeois 1999 – confiait à TV Magazine : « À mon époque, ils n’aimaient pas trop ça. Je me souviens que Geneviève de Fontenay m’avait fait une réflexion. Dès que j’ai été élue, on m’avait tout de suite dit qu’il fallait que je me laisse pousser les cheveux. »

Vingt-cinq ans plus tard, les choses semblent avoir évolué. « L’avancée, c’est aussi ça, un juste dosage entre ''On pense que la société est prête'' et ''On va un peu au devant'' pour forcer les choses », sourit Alice Audrezet. Christophe Doré, président de l’Union nationale des entreprises de coiffure (Unec) rajoute : « Ce n’est certes pas une tendance forte ou un raz-de-marée, mais ce n’est pas non plus un tabou. Les femmes se coiffent comme elles le souhaitent. Peut-être même que les cheveux courts vont devenir à la mode grâce à cette miss, ce serait une bonne affaire pour nous. » Eve Gilles possède le profil idéal, selon Alice Audrezet : « Elle incarne la beauté française et le code du masculin-féminin de notre pays, notamment ''la garçonne'' des années 1920, et elle tout comme Miss France comptent jouer dessus. »

« C’est comme porter un panneau ''Hello, je suis lesbienne !''. »

Candidate idéale ou pas, Léa ne croit pas trop à une évolution majeure sur les injonctions capillaires : « Sans doute que les cheveux courts sont moins connotés que par le passé, mais on s’expose toujours à des jugements et des ''Pourquoi ?'', on doit toujours rendre des comptes. Ça me fait rire les gens qui disent qu’Eve Gilles en fait trop à parler de ''différence''. Soyez une femme avec des cheveux courts, et vous verrez si ce n’est pas clivant. » Une différence telle que Joséphine a remarqué qu’elle avait changé son comportement depuis : « Consciemment ou non, par rapport à ma période cheveux longs, je porte désormais davantage de jupes et je me maquille plus par exemple. J’emprunte plus d’autres standards féminins, un peu pour compenser les cheveux courts. »

A défaut de pouvoir vaincre le cliché, d’autres ont décidé de l’embrasser pleinement. « Le côté femme-garçon, androgyne, lesbienne, c’est totalement moi. Alors je me suis coupé les cheveux pour affirmer cette identité encore plus », indique Justine, 31 ans et pas plus de quatre centimètres de longueur de tifs. « C’est comme porter un panneau ''Hello, je suis lesbienne !''. Ça évite les dragueurs relous au bar et ça permet de montrer qui on est. »

Une cible auxquelles s’adressait notamment Eve Gilles, à en croire Alice Audrezet : « C’était une candidate très politique, dont le message plein d’inclusion a forcément résonné chez la communauté LGBT. » Et plus que son nombre de centimètre de cheveux, c’est peut-être ça qu’il faudrait retenir de cette élection, conclut Violette Kerleaux, psychologue sociale spécialiste des inégalités de genre : « Oui, Eve Gille ne répond pas aux critères habituels d’une Miss France, mais c’est dommage de s’attarder là-dessus, alors qu’elle est en étude de mathématiques, qu’elle veut devenir mathématicienne, qu’on a une élue qui pourrait devenir un vrai role model. Au final, même pour la défendre des commentaires négatifs, on ne fait que parler de ses cheveux alors qu’elle est bien plus que ça. »