MAUVAIS CONTE DE NOËL (1/5)Noël 1972, la famille Méchinaud disparaît, un crime parfait ?

La disparition de la famille Méchinaud le soir de Noël 1972, un crime parfait ?

MAUVAIS CONTE DE NOËL (1/5)Cinquante-et-un ans après la disparition de la famille Méchinaud, un couple et ses deux petits garçons, le soir de Noël, le mystère reste entier. Aucun élément matériel n’a été découvert, aucune piste sérieuse n’a abouti
Le couple Méchinaud et leurs deux enfants ont disparu dans la nuit du 24 au 25 décembre 1972. C'est le plus vieux « cold case » français.
Le couple Méchinaud et leurs deux enfants ont disparu dans la nuit du 24 au 25 décembre 1972. C'est le plus vieux « cold case » français. - AFP / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Oubliez les belles histoires de Noël, assis au coin du feu. Cette année, 20 Minutes se plonge dans les faits divers les plus marquants survenus à cette période : disparition, meurtre, tentative d’attentat…
  • La famille Méchinaud, un couple et leurs deux petits garçons, a disparu le soir de Noël 1972, en rentrant de chez des amis. Aucun élément matériel n’a jamais été retrouvé.
  • Cette affaire est la plus ancienne qu’ait à traiter le pôle cold case de Nanterre. Si plusieurs perquisitions ont eu lieu ces dernières années, aucune n’a porté ses fruits.

25 décembre 1972. Il est près d’une heure du matin lorsque les Méchinaud – Jacques, le père, un électromécanicien de 31 ans, Pierrette, la mère, femme au foyer de 29 ans, et leurs deux fils, Eric et Bruno, 7 et 4 ans – prennent congé des amis chez qui ils ont passé le réveillon. La soirée s’est passée « parfaitement bien », assurent leurs hôtes. « Le plus normalement du monde », même. La famille habite à Boutiers Saint-Trojan, en Charente. Elle n’a que 3,7 km à parcourir pour rentrer chez elle. A cette heure-ci, il n’y a personne sur la route, moins de 10 minutes suffisent pour faire le trajet. Même si, du souvenir de tous, une épaisse brume enveloppe la région ce soir-là. Le couple et leurs enfants s’engouffrent dans la Simca 1.100 Grenat, se mettent en route. Ils n’arriveront jamais chez eux.

Le 6 janvier, le père de Pierrette, inquiet de ne pas avoir de nouvelles, alerte les gendarmes. A l’intérieur de la petite maison aux volets verts, le temps semble s’être arrêté. Les cadeaux des enfants sont toujours au pied du sapin. Dans le réfrigérateur, une dinde et des huîtres sont en état de décomposition. Un carnet de chèque est posé sur la table. Une famille peut-elle disparaître du jour au lendemain sans laisser la moindre trace ? Un crime peut-il être commis sans semer le moindre indice ? C’est en tout cas les questions que pose l’affaire Méchinaud. Dans ce cold case – le plus ancien qu’ait à traiter le pôle spécialisé de Nanterre –, aucun élément matériel n’a jamais été découvert. Aucune piste n’a jamais abouti. Cinquante-et-un ans après les faits, le mystère reste tenace.

Accident, disparition volontaire, rivalité amoureuse

En 2001, lorsque l’adjudant-chef Stéphane Chalumeau arrive à la brigade de Cognac, l’enquête dort depuis des années au fond d’un tiroir. « Il y avait une caisse avec plusieurs dossiers non résolus, retrace l’ancien gendarme, aujourd’hui à la retraite. L’affaire des Méchinaud tenait en une dizaine de feuilles. » La piste accidentelle a bien été envisagée, d’autant qu’une partie du chemin longe le fleuve de la Charente. Un hélicoptère a survolé la zone. Les eaux ont été sondées. Aucune trace de la voiture. Rien.

A l'époque, la vie des Méchinaud a également été passée au crible. Dans le village, on les dépeint comme une famille discrète, lambda. Pourtant, rapidement, le vernis s’écaille. Le fils de leur voisin, Maurice B., reconnaît sans mal qu’il était l’amant de Pierrette. Surtout, il assure que le mari de cette dernière l’avait récemment appris, que celui-ci se serait mis dans une colère noire. Il jure même avoir vu Pierrette avec un bleu au visage la semaine précédant le réveillon. Les amis chez qui ils ont passé la soirée affirment n’avoir rien vu de tel.

« Les enfants auraient cherché à renouer avec leurs origines »

Jacques Méchinaud, décrit par ses collègues comme aussi bosseur que taciturne, a-t-il décidé de se venger ? L’homme aurait confié à un de ses proches que s’il apprenait que sa femme le trompait, « il ferait disparaître tout le monde et qu’on ne les retrouverait jamais ». « Ces propos auraient été tenus plus de six mois avant leur disparition, précise Stéphane Chalumeau. Aurait-il attendu autant de temps avant de réagir s’il savait que sa femme le trompait ? » Leurs hôtes du réveillon de Noël assurent n’avoir senti aucune tension dans le couple. Tout juste se sont-ils étonnés de l’heure tardive de départ, d’autant que les enfants réclamaient de rentrer pour ouvrir leurs cadeaux.

L’emploi du temps de Maurice B. est également passé au crible. Il affirme avoir passé Noël avec ses parents, dans la maison voisine de celle des Méchinaud. Lui se dit convaincu que la famille est partie refaire sa vie à l’étranger. En Australie, précisément. La piste d’une disparition volontaire a été vérifiée. Le père a beaucoup voyagé. Mais les papiers d’identité de la famille sont toujours chez eux. Et leurs comptes en banque n’ont jamais bougé. « S’ils étaient partis de leur plein gré, on peut aussi imaginer que des années après, les enfants auraient cherché à renouer avec leurs origines », poursuit l’ex-gendarme.

Opération Bruneri 47

Sans le moindre indice, l’enquête patine. L’année suivante, les investigations sont closes. Il faut dire qu’à l’époque, la qualification de « disparition inquiétante » n’existe pas. Si aujourd’hui, une famille disparaissait du jour au lendemain, d’importants moyens seraient mis en place. A l’époque, on considère qu’ils ont le droit de partir sans rien dire à personne. Vingt-cinq ans plus tard, lorsqu’il tombe sur le dossier, Stéphane Chalumeau décide de se pencher sur les faits sans être officiellement saisi. Il relève des incohérences, des manquements, des hypothèses à vérifier. En 2011, après dix ans de vérifications informelles, il finit par se rapprocher du parquet, qui rouvre les investigations. Commence alors l’opération Bruneri 47, en référence aux prénoms des enfants, Bruno et Eric, à leurs âges à l’époque, 4 et 7 ans.

La Charente est à nouveau draguée, mais bien plus largement que la première fois. A l’époque, on avait simplement vérifié la zone longeant le trajet. Plusieurs cavités des environs sont passées au crible. Rien. En 2012, des ossements humains sont découverts dans un bois. L’espoir est de courte durée, l’ADN est formel : il ne s’agit pas d’un membre de la famille. En 2013, une Simca grenat a été repêchée, un peu en aval, dans la Charente. Faux espoir. Ni la plaque d’immatriculation ni le numéro de série ne correspondent. « Toutes les hypothèses tiennent la route jusqu’à preuve du contraire, mais s’ils avaient eu un accident en rentrant chez eux, on les aurait retrouvés », assure Stéphane Chalumeau. De même qu’il est très sceptique sur la fuite à l’étranger. Le port de La Rochelle – le plus proche – a été fouillé de fond en comble, la voiture n’a jamais été retrouvée.

L’enquête relancée

En 2020, un courrier anonyme relance l’enquête. Le corbeau vise directement Maurice B., l’ancien amant de Pierrette. Le septuagénaire n’a jamais quitté le village. L’homme est longuement interrogé, il maintient que la famille se trouve en Australie. Sa maison est perquisitionnée, le terrain retourné. Rien ne permet de l’impliquer. Quelques mois plus tard, une nouvelle missive dénonce un voyou du coin, décédé depuis quelques années. Mais là encore, les investigations sont vaines.

« Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’éléments matériels. Aujourd’hui, on aurait passé la maison au peigne fin pour trouver des empreintes, des traces de sang, on aurait géolocalisé les téléphones. Ça n’existait pas à l’époque », retrace Stéphane Chalumeau. Mais lorsqu’on l’interroge, qu’on tente de lui tirer les vers du nez pour savoir s’il a des convictions dans ce dossier, l’ancien militaire reconnaît sans mal qu’il en a une. « Forte », même. Un point de vue qu’il préfère garder pour lui, arguant que les investigations se poursuivent.