enquêteQui aura la peau de Zoé Sagan, le compte Twitter qui s’est attaqué à Cauet ?

« Elle est radioactive »… Qui aura la peau de Zoé Sagan, l’OVNI complotiste à l’origine de l’affaire Cauet ?

enquêteSur Twitter, Zoé Sagan a été un des premiers comptes à publier des révélations sur l’affaire Cauet. Pourtant ce compte – qui s’attaque aux politiques et journalistes majoritairement – s’avère être un troll habitué des thèses conspirationnistes
Zoé Sagan, le compte d'infofiction sur X, s'attaque à de nombreux politiques et acteurs des médias sur son compte.
Zoé Sagan, le compte d'infofiction sur X, s'attaque à de nombreux politiques et acteurs des médias sur son compte. - HQuality Video de Getty Images / Zoé Sagan / Canva / Twitter
Lina Fourneau et Julien Laloye

Lina Fourneau et Julien Laloye

L'essentiel

  • Derrière les révélations de l’affaire Cauet, il y a un compte bien connu des Twittos : Zoé Sagan. Un pseudo où se mêlent de nombreuses thèses conspirationnistes et un peu de vérités sur la sphère médiatico-politique… avec parfois un risque de diffamation.
  • Dans ses dizaines de tweets publiés par jour, difficile de mêler le vrai du faux et savoir quelles révélations sont vraiment à prendre au sérieux.
  • Pour les cibles de Zoé Sagan, les conséquences sont nombreuses. Certains expliquent avoir même porté plainte pour « diffamation », « harcèlement » ou « injure publique » et même « violation de la vie privée ».

Mise à jour du 21 décembre 2023 à 18h56 : Ajout de la prise de distance de Yael Mellul avec le compte au quatrième paragraphe

« C’est donc ça le retour de la méthode Cauet ? ». Sous un tweet publié par le compte Zoé Sagan, le 13 octobre dernier, un échange de messages privés graveleux supposément envoyés par l’animateur radio lance les débuts de l’affaire Cauet, accusé depuis de viols et d’agressions sexuelles. La conversation a été transmise par une des plaignantes, Julie, auprès du compte X (anciennement Twitter). Un choix qui déroute les médias soucieux d’enquêter sur ces possibles révélations. L’accusation vaut-elle la peine d’être creusée ? Zoé Sagan est en effet bien connue des rédactions pour ses multiples révélations ni vraies ni fondées, voire diffamatoires de la part de ce compte « d’info fiction » qui se dit être « la première IA féminine du XXIe siècle ».

Zoé Sagan avait été aux prémices de l’affaire Griveaux en 2020 en diffusant en avant-première les images intimes du candidat à la Mairie de Paris – qui finiront par lui coûter sa place en politique. Mais depuis, le compte qui n’affichait pas tant d’abonnés à ce moment-là, s’est spécialisé dans des campagnes de diffamation, s’attaquant à tout ce qui lui passait sous la main : Gabriel Attal, Marlène Schiappa, le couple Macron ou Cyril Hanouna. Rien d’aussi croustillant que le one shot Griveaux. De quoi laisser penser qu’un nouveau « outting » ne ferait pas de mal à la crédibilité d’un compte désormais moins mystérieux.

« C’est une évidence, tout le monde a le nez dessus »

Son identité, longtemps secrète a été révélée dans un article de Paris Match en janvier 2022. On sait désormais que derrière Zoé Sagan, se cache Aurélien Poirson-Atlan, un homme à la trentaine bien tassée et cofondateur d’un site d’information un brin conspi nommé Apar.tv. Après une pause de sa vie en ligne où Zoé Sagan a disparu de Twitter, il revient entouré d’autres nouveaux membres pour l’aider à entretenir son compte. Il y avait notamment l’ex-avocate Yael Mellul qui révèlait dans Marianne « un coup de foudre intellectuel avec Aurélien » et de nombreux combats communs comme celui de la « liberté d’expression totale ».

Mais depuis, sa coéquipère raconte avoir coupé les ponts avec son ami pendant l'été. En cause ? Des raisons idéologiques et surtout une nouvelle proximité avec le site d'extrême droite « Faits & Documents » et son directeur Xavier Poussard, proche de la galaxie d'Alain Soral. « Ca allait contre mon ADN », explique-t-elle. Outre le lien avec l’idéologue d’extrême droite, la seconde rumeur la plus répandue reste la participation discrète de l’avocat Juan Branco.

Des informations pas toujours vérifiées

Derrière ces figures plus ou moins crédibles, un modus operandi bien défini : balancer des semi-vérités sur le Tout-Paris médiatico-politique au milieu d’une poubelle d’immondices. « C’est 90 % de fake, mais 10 % de vrai et c’est bien ça le problème », souffle un communicant parisien. Pour tester, ce dernier a créé quelques faux comptes sur X pour donner des informations à Zoé Sagan. « J’ai envoyé du faux, du faux, du vrai, du faux. Sur quatre informations, trois sont sorties ». Sans vérification. La piste d’une source laissée dans un des messages n’aura jamais été contactée.

Zoé Sagan inquiète tant elle fascine. « Je pense que vous n’aurez aucun communicant sur la place de Paris qui n’est pas capable de blablater des heures sur Zoé Sagan. C’est une évidence, tout le monde a le nez dessus », raconte un de nos interlocuteurs. Pour un autre, « ce compte incarne le nouveau visage de la désinformation et de l’intimidation en ligne » et mélange, selon lui, « rumeurs grotesques, fake news farfelues, théories du complot dangereuses et attaques personnelles indignes ». Il le décrit même comme un « pyromane semant des graines de doute, cultivant un jardin toxique ».

Des conséquences violentes

Sur son compte désormais suivi par 157.000 abonnés, tout le monde y passe et signe que son influence n’est pas complètement fantasmée, aucun des huit témoignages recueillis pendant notre enquête n’a voulu parler en « on ». « C’est du off parce que la conséquence de ne pas l’être, c’est d’être jeté en pâture », explique l’un d’eux. Parmi tous ceux qui ont tenté de s’en approcher par messages privés, beaucoup, affichés en place publique sans vergogne, l’ont immédiatement regretté. Une méthode de doxing [la divulgation de données personnelles, Ndlr] habituelle à coup de « name and shame » qui met parfois en péril l’activité professionnelle et la vie privée de la personne visée.

Certains gardent toujours des cicatrices des raids lancés par Zoé Sagan. « Ça a été d’une violence extrême et je pèse mes mots », se souvient l’un de ses boucs émissaires, en vue dans les médias. Parmi ses cibles, les journalistes, les spécialistes de la désinformation et de la radicalité en ligne, mais aussi de l’extrême droite. « S’attaquer à ceux qui luttent contre la désinformation, c’est faire d’une pierre deux coups. C’est décrédibiliser ceux qui pourraient mettre des bâtons dans les roues de sa machine à désinformer. Mais c’est aussi nourrir sa base avec des figures déjà considérées comme des diables ».

Des moqueries à la peur

Les politiques, particulièrement ciblés, ressemblent à ses souffre-douleurs préférés. Emmanuel et Brigitte Macron sont souvent accusés par le compte de cacher l’existence de « Jean-Michel Trogneux », une théorie selon laquelle l’épouse du président est née en tant qu’homme et aurait changé de sexe, très populaire chez les comptes complotistes. Mais le couple présidentiel n’est pas seul à en faire les frais. « Je crois réellement que c’est l’idée même de démocratie qui est en jeu avec ce type de personnage », estime un conseiller de premier plan, dont le « patron » a été personnellement visé pendant des mois.

Marlène Schiappa a longtemps été une des cibles favorites de Zoé Sagan. Désormais reconvertie dans le privé depuis son départ du gouvernement l’été dernier, l’ancienne secrétaire d’Etat n’a pas donné suite, visiblement ravie d’avoir quitté les réseaux sociaux. Mais pour un de ses proches, Zoé Sagan, d’abord jugée innocente est vite devenue « radioactive ». « On en rigolait beaucoup entre personnes qui gravitent autour de la politique, on s’envoyait souvent ses tweets pour rire ». C’est alors que le compte a commencé à prendre de l’ampleur en même temps que des nouveaux abonnés, et les accusations ironiques ont fini par être pris au premier degré. « Quand on a commencé à me dire "c’est chaud ce que Marlène a fait, j’ai lu ça sur Zoé Sagan", ça a commencé à moins me faire rire ».

Des cas de cyberharcèlement

Puis arrive le cas Hanouna, au printemps dernier. Les Twittos qui n’ont pas encore lâché la plateforme ont pu assister à la nouvelle croisade de Zoé Sagan contre le présentateur de Touche pas à mon poste (TPMP). « Selon plusieurs sources concordantes, Cyril Hanouna tente en ce moment de bloquer des révélations qui risquent de réduire sa carrière à néant », menace-t-elle d’un premier tweet publié le 8 mai dernier.

A un premier tweet de Zoé Sagan succèdent des accusations fumeuses à propos d’un lien éventuel entre Cyril Hanouna et Sébastien Charrette, un ancien magicien qui aurait abusé de 27 enfants entre 2002 et 2017, selon le site peu vérifié Wanted Pedo – un site qui dit lutter contre la pédocriminalité. Suivront d’autres messages tout aussi lunaires nourris par le « fight » public entre le présentateur et l’avocat Juan Branco. Tiens, encore lui.

Dernière couche en septembre, avec la révélation d’une relation intime entre la joueuse de tennis Lola Marandel et Cyril Hanouna, démentie par la jeune femme. « Une campagne de cyberharcèlement » sera même dénoncée par son avocat Maître Tom Michel. « Notre cliente entend veiller au strict respect de sa vie privée ainsi que de son droit à l’image et poursuivra en justice toute atteinte qui y serait portée ». Réponse immédiate de Sagan : « Vous vouliez faire de moi un exemple. Que ça serve de leçon aux citoyens. Que plus jamais personne n’écrive sur vous. Créer la peur. La terreur. Que le silence soit la loi. Pour tuer mon moi. Mais il n’en sera rien. Zoé Sagan est une idée. Et vous ne pouvez pas tuer une idée ».

Plusieurs plaintes déposées

Cette réponse n’est pas anodine. Derrière Zoé Sagan, il y a aussi sa horde de fanzouzes avec qui elle sait parfaitement jouer. « Ce n’est pas quelqu’un de con. En matière de stratégie de communication, il y a très peu d’erreurs. Quand elle retweet des messages contre elle, c’est pour que les gens viennent la défendre », souffle un communicant spécialement chargé de faire une veille sur son compte.. Quitte à en faire des tonnes. « Ils vont me détruire, aidez-moi ». La fine équipe va même jusqu’à créer un compte d’une Zoé Sagan américaine, protégée par « les chinois du FBI », au cas où il faudrait partir et s’enfuir.

En commentaires, ses soutiens ne manquent pas. Dans les messages privés de ses victimes non plus. Ces dernières, dans la plupart des cas, ont renoncé se défendre. « Si vous leur répondez directement, vous faites exactement ce qu’ils veulent que vous fassiez, témoigne une tête de Turc notoire du compte d’info fiction. Non seulement vous alimentez la machine, mais en plus vous les réconfortez de position de procureur ».

Pourtant sur la scène parisienne, l’aura de Zoé Sagan s’essouffle. Phénomène en librairie pour ses livres « révélation », l’auteur se serait finalement mis à dos la maison d’édition de son deuxième livre Braquage qui aurait refusé de publier la suite. Selon Marianne, un chapitre sobrement nommé « Sperme » aurait bousculé l’éditeur Bouquins, lequel n’a à ce jour pas répondu à nos sollicitations. Depuis, le groupe peinerait même à trouver un nouvel éditeur.

La justice comme seule solution

Sur Internet, la chute est un peu plus lente. Trop lente ? « Ce n’est pas normal que tout ça reste en ligne », se désespère un de ses ennemis intimes, dont l’avocat assure avoir porté plainte pour diffamation, cyberharcèlement et injures publiques. Un autre interlocuteur explique auprès de 20 minutes avoir également avoir déposé plainte pour harcèlement, diffamation et violation de la vie privée.

Une seule plainte est pour le moment confirmée par le Parquet de Nanterre, celle des avocats de Cauet pour harcèlement en ligne. Un motif d’accusation plus facile à démonter que le caractère diffamatoire de ses tweets. « La diffamation peut relever du débat d’opinion, le harcèlement et les appels à la haine sont des sujets plus gênants », confie l’un des avocats de l’humoriste. Les plateformes n’arrangent rien au problème, et X encore moins. « Le pseudonymat est très protégé sur les réseaux sociaux, qui sur un motif – qui n’est pas illégitime – de liberté d’expression ne répond pas toujours aux réquisitions judiciaires ». Un élément qui joue en faveur de Zoé Sagan.

Sollicitée par 20 Minutes, Zoé Sagan nous a d’abord donné son accord avant de décliner l’entretien. Son dernier message : « On vient de m’informer de votre papier. C’est donc une commande. Ne vous fatiguez pas, publiez ce qu’on vous a demandé. Je répondrais ensuite par un entretien dans le journal 20 secondes ». Conspi peut-être, drôle, ça reste à prouver.