MAUVAIS CONTE DE NOELLe mystère du chasseur sans tête sur le point d’être résolu ?

L’affaire du chasseur sans tête retrouvé le jour de Noël 1995, un mystère sur le point d’être résolu ?

MAUVAIS CONTE DE NOELLe 25 décembre 1995, deux chasseurs de l’Allier découvrent dans un petit fossé, à proximité d’une route, un cadavre décapité. Si la victime est rapidement identifiée - Christophe Doire, un homme de 28 ans – les investigations sont toujours en cours
Le corps de Christophe Doire (au centre) a été découvert décapité le jour de Noël 1995. Sa veuve, Maria, a été mise en examen près de 27 ans après.
Le corps de Christophe Doire (au centre) a été découvert décapité le jour de Noël 1995. Sa veuve, Maria, a été mise en examen près de 27 ans après.  - Collection Personnelle / 20 Minutes
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Oubliez les belles histoires de Noël, assis au coin du feu. Cette année, 20 Minutes se plonge dans les faits divers les plus marquants survenus à cette période.
  • Le 25 décembre 1995, le corps sans tête de Christophe Doire est découvert dans une forêt de l’Allier. Pendant près de vingt-huit ans, ce meurtre sordide restera une énigme.
  • En 2022, l’affaire prend un tournant inattendu : la veuve du défunt est mise en examen pour meurtre. Elle nie les faits.

Ce 25 décembre 1995, le soleil se lève à peine lorsqu’un coup de téléphone interrompt une permanence bien calme à la gendarmerie de Busset, dans l’Allier. A l’heure où les enfants sont affairés à déballer leurs cadeaux, deux chasseurs viennent de découvrir un corps gisant en contrebas de la route départementale 121, au cœur de l’épaisse forêt du Vernet. Non, cela ne peut pas être un accident, ni même un suicide, assurent-ils aux militaires au bout du fil. Ils en sont certains. Le cadavre, un chasseur si l’on en croit ses vêtements, a été décapité.

A peine arrivés sur place, les gendarmes se rendent compte que ce fossé n’est pas la scène de crime. Le corps a été entièrement vidé de son sang, mais le sol n’en est pas maculé. Surtout, malgré d’intenses recherches, la tête de la victime n’est pas retrouvée. Elle ne le sera jamais. L’homme est toutefois rapidement identifié grâce à ses papiers d’identité retrouvés dans sa veste. Christophe Doire, un père de famille de 28 ans, dont la femme Maria a signalé la disparition le lundi 18 décembre. En réalité, cela faisait déjà deux jours que plus personne ne l’a vu. Le samedi soir, le 16, il est allé voir un match de foot chez son frère, Olivier. Il est reparti vers 23 heures. Le lendemain, il devait aller chasser mais a fait faux bond à ses partenaires. Mais la jeune femme explique que son mari disparaît parfois un jour ou deux, raison pour laquelle elle a attendu avant de faire un signalement.

La piste des chasseurs

Les enquêteurs privilégient rapidement la piste d’un règlement de compte entre chasseurs. Christophe Doire est, de l’avis de tous, un chasseur hors pair. Cet employé des abattoirs de Vichy y passe tout son temps libre, quitte à délaisser sa femme et leur fils, Anthony, âgé de 9 ans en 1995. Quitte aussi à s’aventurer sur des domaines réservés ou à ne pas respecter les quotas, ce qui a le don d’agacer au plus haut point les chasseurs du coin. Sa veuve rapporte que le jour de sa disparition, sa chienne de chasse préférée, Flora, a disparu, probablement volée à leur domicile. Un homme, Dominique M., est rapidement soupçonné. D’être l’auteur du vol de chien, d’abord. Et du meurtre, surtout. L’homme sera placé deux fois en garde à vue mais toujours relâché sans charges.

La piste d’un conflit conjugal est également envisagée. Il est de notoriété publique que le couple bat de l’aile. Deux ans auparavant, Maria a voulu divorcer, lassée de l’alcoolisme de son mari. D’autant que lorsque ce dernier boit, il est violent. Il avait promis d’arrêter. Il n’en fut rien. Et les violences ont perduré. Les collègues de la jeune femme se souviennent avoir aperçu, une fois, le couple se disputer en voiture : Maria a reçu un coup de poing si violent que la vitre passager s’est brisée sous la violence du choc. Cette piste est toutefois rapidement écartée. « Il y a un biais de genre, estime Me Juliette Chapelle, l’avocate d’Olivier Doire. En 1995, pour les enquêteurs, c’est inimaginable qu’une femme – mère de surcroît – puisse être impliquée dans un meurtre aussi violent, une décapitation. » L’information judiciaire aboutit à un non-lieu en 2000. Une seconde est rouverte en 2002 et se clôt cinq ans plus tard, comme la première.

Des nouvelles investigations scientifiques

Le dossier reste à dormir dans les sous-sols du tribunal de Cusset pendant près de quinze ans. Jusqu’à ce qu’en 2020, à la faveur du confinement, le procureur de la République, Eric Neveu, s’y replonge. Avec les gendarmes du Service central du renseignement criminel, ils identifient des incohérences et surtout des pistes non exploitées, ou trop peu. « On a décidé de reprendre tout à zéro, de faire comme si on venait de découvrir la scène de crime », décrit le magistrat. Des analyses ADN sur les scellés sont ordonnées. En avril 2022, les juges d'instruction réunissent les proches de la victime pour les informer que le corps va être exhumé. L’ambiance est tendue, la nouvelle ne ravit pas Maria et Anthony qui ont refait leur vie loin de la région, loin de leur ancienne vie et de cette affaire. « Ils reprochaient à Olivier Doire, le frère de Christophe, son activisme dans le dossier et de remuer des vieux souvenirs », se remémore Me Juliette Chapelle.

Quelques semaines plus tard, en juin 2022 la veuve est à nouveau convoquée. Chez les gendarmes, cette fois. Pour une garde à vue. Elle est auditionnée six fois en vingt-quatre heures, n’a de cesse de nier. Elle ne fait pas mystère des relations plus que dégradées avec la victime – « officieusement, on n’était pas en couple » – mais elle minimise les violences. Là où les témoignages sont accablants, elle ne reconnaît que « des baffes ». « Il y a des fois où ça dégénérait (…) Je ne vivais pas l’enfer mais ça arrivait, quand ça pétait, ça pétait », raconte-t-elle. L’épisode de la vitre explosée ? « Absolument faux », jure-t-elle. Les enquêteurs cherchent un mobile. Christophe Doire s’en est-il déjà pris à Anthony, leur fils, avec lequel elle décrit une relation fusionnelle ? Elle jure que non « sur la tête de [ses] enfants ». En 2002, pourtant, elle avait assuré qu’elle s’interposait lorsque cela se produisait. Un problème de retranscription, argue-t-elle.

Des analyses ADN parlantes

Les analyses ont permis de faire émerger des éléments nouveaux. De l’ADN de Maria a été retrouvée sur une des bottes de la victime, au milieu d’un mélange de sang et de cellules de peau de Christophe Doire. « Ces bottes étaient chez eux, bien sûr qu’elle a pu les toucher », balaye l’un de ses avocats, Me Jean-François Canis. Et que penser de cette anecdote racontée à Olivier lors de la soirée foot ? Christophe lui a alors confié que sa compagne a fait tomber un sèche-cheveux dans le bac de douche pendant qu’il se lavait. Interrogée par le juge d’instruction, Maria plaide un accident. « Il a pris une châtaigne, ça a fait sauter les plombs », raconte-t-elle. Son avocat précise qu’elle a raconté cette histoire d’elle-même, dès le début de l’enquête. « Si c’était un élément qu’elle jugeait incriminant, pourquoi aurait-elle été le raconter ? »

Les investigations scientifiques ont surtout permis de démontrer que les vêtements retrouvés sur Christophe Doire ne sont pas ceux qu’il portait lorsqu’il a été tué. Un détail, d’abord, les a intrigués : lui qui porte systématiquement un jogging sous son pantalon de chasse n’en avait pas. Et lorsqu’il a été tué, il avait ses chaussettes de ville au lieu de celles de chasse. L’analyse de la tenue qu’il portait lors de la soirée foot – lorsqu’il a été vu pour la dernière fois –, va confirmer qu’il a été changé post-mortem : ces vêtements ont été gorgés de sang. Certes, sur les scellés, cela n’apparaît pas à l’œil nu, mais l’analyse des fibres est formelle.

Cette tenue de ville a été saisie par les gendarmes chez Maria quatre jours après la découverte du corps. Ils venaient d’être lavés et séchaient sur la corde à linge. « Quand j’ai lavé le linge, il n’y avait pas de sang », assure Maria devant le juge d’instruction. Elle souligne que de nombreuses personnes sont passées chez eux, sous-entendant que le linge a pu être déposé par le tueur. Les enquêteurs lui font toutefois remarquer que ce mois de décembre 1995, elle a eu une facture d’eau anormalement élevée. Elle a également loué une shampooineuse quelques jours après la disparition.

Un complice ?

A l’issue de sa garde à vue, Maria est mise en examen le 30 juin 2022. « Il n’y a aucun indice sérieux », déplore Me Jean-François Canis. Et d’insister : « Quant au mobile, on en a inventé un : elle aurait fait cela pour protéger son fils des violences de son père. Mais personne n’a jamais été témoin de cela. » Les investigations continuent, notamment pour identifier un éventuel complice. Sur la botte, un ADN masculin a été identifié, mêlé à celui de Maria. En octobre dernier, le corps d’un homme, présenté comme un potentiel amant de Maria (ce qu’elle a toujours nié), a été exhumé. Selon nos informations, les analyses ADN ne concordent pas.

La mise en cause aurait-elle pu tuer, décapiter et déplacer seule le corps ? Sur ce point, les différentes sources du dossier sont divisées. Le légiste a estimé que la décapitation avait pu être faite à l'aide « d'un outil de boucherie ou de chasse ». Maria était certes titulaire d'un CAP de Charcuterie mais aurait-elle pu agir seule? Quant au corps, Christophe Doire était petit et sec, pesait une soixantaine de kilos. Sans la tête et vidée de son sang, la victime n'était probablement pas très difficile à déplacer. Mais Maria est également fluette. Autant de zones d'ombre qu'il faudra lever avant la tenue d'un eventuel procès, presque 30 ans après le meurtre.