FAKE OFFOn a soumis à un géographe ces cartes virales de la Palestine et d’Israël

Guerre Hamas-Israël : On a demandé à un géographe si ces cartes de la Palestine et d’Israël sont exactes

FAKE OFFDes pro-palestiniens partagent une carte montrant la diminution des terres palestiniennes. Les partisans d’Israël répliquent à l’aide d’une carte qui se voudrait plus objective car plus détaillée. On a les soumises à un spécialiste de la région
Cette carte est largement relayée en ligne depuis le 7 octobre.
Cette carte est largement relayée en ligne depuis le 7 octobre. - Capture d'écran Reddit / Capture d'écran Reddit
Mathilde Cousin

Mathilde Cousin

L'essentiel

  • Sur les réseaux sociaux, pro-palestiniens et pro-israéliens se répondent à l’aide de deux séries de cartes, qui montrent, chacune à leur manière, l’évolution des territoires possédés par les Palestiniens et les Israéliens.
  • On a soumis ces deux ensembles de cartes à Eric Verdeil, géographe et professeur à Sciences Po Paris.
  • Pour ce spécialiste de la région, « la première série de cartes est un peu simpliste, la deuxième repose sur une énorme mystification ».

Edit : Ajout le 22/12 des trois derniers paragraphes sur la cartographie et de la mention du cessez-le-feu.

Du vert, symbolisant les terres palestiniennes, qui s'efface inexorablement, de 1947 à aujourd’hui. Cette suite de quatre cartes est largement relayée en ligne depuis le 7 octobre et la réponse militaire israélienne à l’attaque du Hamas en Israël.

Les légendes de ces quatre cartes sont simples : sur la première, qui montrerait la situation en 1947, les « terres palestiniennes » sont figurées en vert, tandis que des « colonies juives » sont représentées en blanc. Sur la seconde et la troisième carte, montrant le plan de partition de 1947 puis la situation de 1949 à 1967, des « terres israéliennes » et des « terres palestiniennes » sont visibles. Enfin, une dernière carte, simplement titrée « actuellement », présente les « terres palestiniennes » et les « terres israéliennes et occupées ». Un ensemble de cartes qui se veut la représentation visuelle de la diminution des terres palestiniennes.

Cette carte est largement relayée en ligne depuis le 7 octobre.
Cette carte est largement relayée en ligne depuis le 7 octobre. - Capture d'écran Reddit

Certains observateurs du conflit, ou des partisans d’Israël, répliquent à cette communication visuelle avec un autre ensemble de cartes, plus détaillées. Celles-ci sont même qualifiées de « faits » alors que les cartes avec les terres palestiniennes en vert sont qualifiées de « fiction ».

La dernière série de cartes, en bas, "mélange quatre concepts très différents", comme le reconnaît son auteur lui-même. Elle est une réponse à la première série de cartes, en haut, qui circule depuis une dizaine d'années sur internet.
La dernière série de cartes, en bas, "mélange quatre concepts très différents", comme le reconnaît son auteur lui-même. Elle est une réponse à la première série de cartes, en haut, qui circule depuis une dizaine d'années sur internet. - Auteur anonyme et ndubes/reddit

Sur les réseaux sociaux, les deux camps accusent chacune des deux cartes d’être incomplètes ou factuellement fausses. La dernière série de cartes a été créée il y a quatre ans. Son auteur, un anonyme sur le site Reddit, explique d’ailleurs l’avoir créée en réponse à la première série de cartes montrant la diminution des terres palestiniennes. Comme il le reconnaît lui-même, sa création n’est pas exemple de critiques : « Je suis tout à fait conscient que les cartes mélangent quatre concepts très différents : la propriété foncière privée, une proposition des Nations unies qui n’a jamais été mise en œuvre, les territoires d’Israël, d’Égypte et de Jordanie après 1967, et le statut après la signature des accords d’Oslo et le retrait israélien de la bande de Gaza. »

La première série de cartes est-elle trop simpliste ? La réponse imaginée sur Reddit trompeuse ? On les a soumises au géographe Eric Verdeil, spécialiste de la région et professeur à Sciences-Po Paris. « La première série de cartes est un peu simpliste, la deuxième repose sur une énorme mystification », résume-t-il auprès de 20 Minutes.

« La dépossession progressive qui est à la fois foncière, mais aussi administrative et politique, des Palestiniens »

« Qualifier la première série de cartes [avec les terres palestiniennes en vert] de " fiction ", c’est un peu erroné à mon avis, détaille le spécialiste, qui a appelé sur les réseaux sociaux à un cessez-le-feu dans le conflit actuel. Cette première série témoigne de la perte de substance de la souveraineté palestinienne sur cette terre au profit de la mainmise israélienne. »

Et de détailler : « Sur la première carte, ce qui est montré en blanc, ce sont des propriétés israéliennes, des terres que les sionistes ont achetées pour les exploiter. Sur les deuxième et troisième cartes, ce qui est montré ce n’est pas tout à fait la même chose : on est dans l’ordre du politique et de l’administratif, pas dans l’ordre de la propriété. La dernière carte de cette série est une représentation un peu simplifiée qui montre les zones sur lesquelles l’autorité palestinienne est supposée avoir un contrôle et une capacité d’administration. »

Pour le géographe, ce qui est contestable dans cette première série de cartes, « c’est qu’elle mélange des données un petit peu différentes. Mais, globalement, elle montre bien la dépossession progressive qui est à la fois foncière, mais aussi administrative et politique, des Palestiniens. »

« Le procédé contestable est de faire apparaître la Palestine de 1947 comme un désert »

Eric Verdeil est plus critique de la seconde série de cartes, qui mélange « propriété privée, usage des terres et des ressources, souveraineté officielle et souveraineté effective, devenue absente ou très réduite après 1967 pour les Palestiniens ».

Pour le géographe, la première carte qui montre la situation en 1947, « illustre d’une certaine manière le slogan sioniste " une terre sans peuple pour un peuple sans terre", le peuple israélien se targuant d’avoir fait " fleurir le désert ". Le procédé contestable est de faire apparaître la Palestine de 1947 comme un désert, évoqué par les zones blanches (publiques et possédées par l’Etat) mais qui du coup apparaissent comme si elles n’étaient ni Palestiniennes ni utilisées. »

Or, souligne-t-il, « la plus grande partie était bien des terres palestiniennes et utilisées, même si pas forcément privées : des terrains de parcours pour l’élevage, souvent possédées à titre collectif par des communautés villageoises, comme il était fréquent dans cette région, où les terres amirieh, c’est-à-dire nominalement détenues par le prince (amir) étaient en usufruit pour ceux qui les mettaient en valeur. »

La troisième carte comporte une erreur : l’Egypte a administré, et non « colonisé » la bande de Gaza. Quant à la dernière carte, elle occulte la colonisation d'une partie de la Cisjordanie ou les divisions au sujet de Jérusalem-Est. « Et puis, ce qu’on ne voit pas non plus, c’est qu’on a l’impression d’un pays sans frontières, alors qu’au contraire, il y a des entraves partout. »

Etant donné les insuffisances de ces deux séries de cartes, comment réaliser des cartes montrant l’évolution de ces territoires ? « Une carte, c'est toujours une sélection d'informations, résume Eric Verdeil. On essaie de faire en sorte que cette sélection d'informations soit rigoureuse, soit conforme aux faits. »

Comme le notent les auteurs du blog Cartographie(s) numérique(s), « les cartes ont toujours constitué un objet ambigu ». Ces géographes et enseignants d’histoire-géographie soulignent qu’« avec la complexification des enjeux et la montée des tensions au Proche et Moyen-Orient, il devient de plus en plus difficile de rendre compte des multiples dimensions des conflits dans cette région et des visions contradictoires des acteurs qui n'hésitent pas eux-mêmes à se servir des cartes pour défendre leur cause ou leurs intérêts. »

Ces enseignants ont un conseil pour lire les cartes, quelle que soit la zone représentée : les accompagner d’autres documents, qui viendront eux aussi éclairer la situation représentée.