les relous, c’est nous, c’est vousCes relous qui spoilent les séries méritent-ils de mourir (comme Daenerys) ?

Ces relous qui spoilent les séries ou les films méritent-ils qu’on divulgâche leur décès proche ?

les relous, c’est nous, c’est vousTous les 15 jours, « 20 Minutes » s’intéresse aux relous du quotidien, ceux qui nous agacent sans le vouloir sur des manies pas bien méchantes mais très énervantes
Emilia Clarke peut aussi spoiler le film « Solo », étant une des seules personnes à l'avoir vu jusqu'à la fin (quand Dark Maul fait son retour)
Emilia Clarke peut aussi spoiler le film « Solo », étant une des seules personnes à l'avoir vu jusqu'à la fin (quand Dark Maul fait son retour) - Charles Sykes/AP/SIPA / SIPA
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

L'essentiel

  • Tous les 15 jours, 20 Minutes se penche sur les relous du quotidien. Celles et ceux qui nous titillent sans le vouloir sur des trucs pas bien méchants… mais très énervants.
  • Dans ce troisième épisode, on s’intéresse aux relous cinéphiles et sérievores, celles et ceux qui ont l’irritante passion de gâcher le plaisir des autres en spoilant la fin des films et séries…
  • Qui sont-ils ? Quels sont leurs arguments ? Qu’en dit la science ? 20 Minutes a mené l’enquête.

Un égaré du flot quotidien qui stagne dans l’escalier mécanique. Un automobiliste qui prend plaisir à vous provoquer un AVC en vous frôlant avec son SUV. Un invité qui bazarde les couverts dans l’évier dans un fracas du diable. L’idée de départ est simple : s’intéresser à ces petits gestes « relous », à ce « sentiment de toute-puissance qui nous fait dire "si je ne le fais pas, l’autre le fera, donc autant le faire moi" », comme le décrit le psychologue Robert Zuili, auteur du Pouvoir des liens. Et qui n’a pas été aidé par le Covid-19. « Pendant la pandémie, on nous a privés de liberté. Et depuis, on a récupéré le droit de faire ce que l’on veut, même si ce n’est jamais pour nuire à l’autre », poursuit-il.

Ces petites choses reloues, elles sont légion. Et surtout, surtout, elles nous concernent toutes et tous. Car au final, « nous sommes tous le relou de quelqu’un ». Par exemple quand nous avons terminé une série et qu’on meurt d’envie d’en discuter avec quelqu’un…

Le fait relou :

« « Au moment où Mike meurt, j’ai tellement pleuré… Et l’enterrement où Susan dit "Je t’aime une fois, je t’aime deux fois, je t’aime plus que le riz et les petits pois", c’était les chutes du Niagara. » »

« « Moi j’ai compris hyper vite que c’était Dan le Gossip Girl, j’te jure ! » »

« « Le gosse en fait, depuis le début, il voit des morts, alors Bruce Willis, ben il est mort tu vois… » »

On pourrait multiplier les exemples à l’envi, mais ce serait relou, n’est-ce pas ? On les connaît, ils étaient déjà présents dans nos vies quotidiennes avant les puces de lit et dans nos vies numériques avant les boucles WhatsApp de voisins, et depuis cette nuit des temps, ils sont relous : les spoilers.

Ben sûr, on connaît des serial divulgâcheurs, des experts du spoiler en série, ces personnes sadiques qui ne peuvent pas s’empêcher de balancer la fin du film qu’on envisage d’aller voir, ou d’analyser le dernier épisode de la série que vous avez commencé la veille.

Ces personnes-là sont heureusement facilement identifiables et on peut tout à fait les chasser de nos vies (nous préconisons pour ce faire des moyens légaux tels que le ghosting, tellement plus convenable que l’assassinat).

Hélas, le spoiler peut jaillir à n’importe quel moment de la part d’un ami qui s’oublie une fraction de seconde dans un excès d’enthousiasme, ou d’un inconnu croisé par hasard et qui, horreur, a « lu le livre dont est inspirée la série »… Parfois même, il s’agit d’un média qui, sans crier gare, au détour d’un article anodin, dévoile l’identité de Keyser Söze (Kevin Spacey pour ceux qui ne l’ont pas vu) ou que La planète des singes est en fait la Terre du futur.

Pourquoi c’est méga relou ?

Il faut vraiment vous expliquer ? Vous n’êtes pas très perspicaces… Un peu comme Eleanor qui met une saison entière dans The Good Place à comprendre qu’elle est en réalité dans The Bad Place, l’enfer déguisé en faux paradis

Pour faire simple, le spoiler gâche bien entendu la surprise d’une bonne fin de série, mais il a aussi parfois la capacité à nous faire sentir coupable. Autant il y a des divulgâcheurs qui abusent ostensiblement en révélant la fin d’un film sorti au cinéma le matin même (« Dommage que Han Solo meurt dès le premier film »), autant on mérite certains spoilers. Qui peut se plaindre de se faire gâcher la fin d’anciennes séries comme Dexter (il meurt par balles pour le salut de son fils dans une sorte de suicide) ou de Breaking Bad (il meurt par balles pour le salut de son fils dans une sorte de suicide) ?

Alors que le fait de voir et critiquer moult films et séries est devenu un badge social de toute première importance (comme jadis il fallait avoir sa loge à l’Opéra), se faire spoiler est presque culpabilisant.

Surtout, en spoilant la fin, un divulgâcheur met souvent fin à la discussion autour d’une série : il donne son avis, et il est irrévocable. Que peut-on répondre à cela, nous pauvres truffes encore bloquées au quatrième épisode ? D’ailleurs, selon certaines acceptions vétilleuses, le spoiler commence dès l’émission d’un jugement sur une œuvre : « T’as vu les Anneaux de pouvoir ? Moi j’ai été hyper déçu… » Paf, le spoil ! « Pour moi, Rebel Moon est le meilleur film de 2023 ». Re-paf, le re-spoil !

Les arguments du relou

Il y a bien sûr, la fausse ingénuité « Ha, tu ne savais pas ? » qui est en réalité une circonstance aggravante puisqu’elle ajoute le foutage de gueule à la balourdise (un combo puni par le tribunal de La Haye de dix ans d’emprisonnement dans la section Commentaires d’Allo Ciné).

Pourtant, le divulgâcheur a des arguments presque rationnels en sa possession. D’abord, sa bonne volonté. Il veut nouer la conversation, il veut partager son enthousiasme, ou son analyse, d’une œuvre de l’esprit. Qui peut lui en vouloir ?

Il plaide aussi souvent qu’une série ou un film ne se juge pas à sa résolution. C’est le chemin qui importe, pas la destination, argumente ce Lao-tseu de Salto. Parfois il pousse le vice jusqu’à la plaidoirie de rupture : il va spoiler exprès pour démontrer que divulguer la fin d’une œuvre de qualité ne la gâche pas du tout. « Dans Citizen Kane, le mystérieux Rosebud, dernier mot de Kane avant sa mort, c’est le traîneau de son enfance… Hé ben le film reste génial même quand on sait ça, pauvre poire ! »

Ce qu’en dit la Science

De nombreuses études ont été menées autour du phénomène social du spoiler, notamment par les diffuseurs et producteurs de contenu qui en usent à des fins marketings (coucou les bandes-annonces qui dévoilent tout). Il en ressort deux informations essentielles. D’abord, le spoiler ne gâche pas forcément le plaisir, il permet au contraire de mieux apprécier une œuvre, l’esprit plus serein et moins obnubilé par la résolution de l’intrigue. Ensuite, il se trouve que le spoiler est un vieux phénomène social qui n’a pas entendu les médias en ligne ou les réseaux sociaux. Et aujourd’hui encore, la majorité des spoils sont l’œuvre de personnes de votre entourage. Vos amis en somme. Posez-vous les bonnes questions…

On en vient à une étude plus récente qui avance que la haine du spoiler est une haine de l’altérité, un rejet de l’autre. Quel que soit l’objectif de l’auteur du spoiler – se la raconter, faire chier, s’amuser aux dépens d’autrui…-, votre réaction excessive est plus révélatrice que le spoiler lui-même. D’autres études abordent le spoiler comme « communauté de subjectivités créatrices » et évoquent « le besoin d’être vu en réaction au besoin de voir »… Mais on ne veut pas vous spoiler tout l’article (qu’on a parfaitement compris, ce n’est pas la question), lisez-le vous-même.

Le truc infaillible pour faire comprendre au relou qu’il est relou

Spoiler : il n’y en a pas. Il y a bien sûr la fameuse stratégie de contre-Kems. Spoiler le spoileur. Il faut pour cela se renseigner sur ce qu’il n’a pas vu, ce qu’il regarde, ou envisage de regarder, trouver un spoil bien mesquin issu de ces films ou séries, prendre rendez-vous avec lui, et le spoiler. Pendant le temps que vous aurez passé à monter ce stratagème, il aura regardé la saison 2 de House of Dragons et pourra vous dire comment Jaehaerys est assassiné devant sa mère.

Le relou du spoiler est difficile à coincer car même les méthodes à base de lamentations ( « tu m’as vraiment gâché Friends quand tu as dit que Ross était le père du bébé de Rachel ») ou de menaces ( « si tu me refais le coup de dire que Mona est « A » dans Pretty Little Liars, je te chasse de ma vie pour toujours ») ne fonctionnent pas.

Certains essayent de dégoûter le relou en l’affrontant sur son terrain et en regardant les films et séries dès leur sortie et en envoyant directement leurs spoilers par SMS. Mais le vrai divulgâcheur ne se sentira pas pris à son propre piège pour autant, il aura simplement la satisfaction de vous avoir attiré avec lui du côté obscur du spoil (pas comme Rey, qui résiste et convertit Ben Solo)…

Sujets liés