pedocriminalitéPourquoi « la liste » de l’affaire Epstein fascine autant les complotistes

Affaire Epstein : Milliardaire, juif, pédophile… Un « bingo » pour la sphère complotiste

pedocriminalitéCe jeudi, la sphère complotiste s’agite comme rarement autour de « la liste Epstein », après que de nombreux documents concernant l’enquête sur les agissements du milliardaire pédocriminel ont été rendus publics
Quatre ans après sa mort, Jeffrey Epstein ne cesse de faire fantasmer la complosphère
Quatre ans après sa mort, Jeffrey Epstein ne cesse de faire fantasmer la complosphère - New York State Sex Offender Registry/SIPA / SIPA
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Pour les complotistes, c’est l’équivalent d’une victoire en finale de Coupe du monde. Ce jeudi, 1.000 pages de documents autour de l’affaire Epstein ont été rendus publics.
  • Encore mieux pour les fanas du complot, ces pages contiennent 180 noms, dont ceux de plusieurs politiques ou milliardaires comme Bill Clinton ou le prince Andrew.
  • De quoi faire frémir plus d’un partisan de QAnon, tant cette « liste », qui n’en est pas vraiment une, coche toutes les cases du « bingo » complotiste, selon nos experts.

Un juif milliardaire pédocriminel, un suicide jugé mystérieux, une « liste » de noms dévoilée parmi lesquels ceux de personnalités politiques, etc. Voilà les ingrédients du scénario de l’affaire Jeffrey Epstein qui régale depuis jeudi la sphère complotiste, alors que plusieurs documents relatifs au riche pédocriminel ont été rendus publics. « C’est clairement un bingo. Cette affaire est une sorte de pain béni pour la complosphère, qui agite tous les fantasmes d’un seul coup », dépeint Iris Boyer, secrétaire générale de l’ISD, think tank contre l’extrémisme et la polarisation.

2024 n’a débuté que depuis quatre petits jours, et la complosphère peut donc déjà célébrer une année réussie. Notamment la célèbre mouvance QAnon, qui imagine depuis des années plusieurs grands réseaux pédophiles au sein des élites internationales. Et quelque 180 noms ressortent de ces 1.000 pages, parmi lesquels ceux du prince Andrew, de Bill Clinton ou de l’ex-agent de mannequins Jean-Luc Brunel.

Le fantasme du réseau de puissants pédocriminels

Attention, faire partie de ces noms ne revient pas automatiquement à être impliqué dans une activité illégale, encore moins de prostitution de mineures, pas plus que cela n’indique que la personne en question se soit rendue sur la fameuse île privée de Jeffrey Epstein, qui s’est suicidé en prison en 2019. Mais pour les adeptes du complot ou de l’Etat profond, qu’importe cette nuance pourtant capitale : ces 180 noms forment à leurs yeux la « liste » tant attendue des personnes invitées pour y pratiquer des activités pédocriminelles.

« Les faits reprochés à Jeffrey Epstein collent parfaitement à l’un des narratifs du complotisme : le juif milliardaire qui utilise son pouvoir pour faire le mal, particulièrement du mal aux enfants », poursuit la spécialiste du complotisme Marie Peltier. « Attention, ça ne veut pas dire que les faits reprochés sont faux, juste que les complotistes les exploitent pour valider leur récit et tirer encore plus le filon », précise l’experte à 20 Minutes, pour qui cette affaire revêt un antisémitisme certain. La professeure belge fait également le parallèle avec l’affaire DSK, soit celle d’un milliardaire juif impliqué dans une agression sexuelle qui avait nourri le narratif complotiste. Mais aussi avec l’affaire Marc Dutroux : « il ne s’agissait que d’un sordide fait divers, et il y a eu tout un imaginaire disant que ce n’était que la face visible de l’iceberg, qu’il y avait un réseau de puissants derrière tout ça. A chaque fois, on part d’une seule histoire pour “prouver” l’existence de tout un réseau derrière. »

La liste, le Saint Graal des complotistes

Et niveau « réseau », quoi de mieux que cette liste de noms à la pelle ? Iris Boyer : « il y a une fascination pour les listes dans notre époque pleine de binarité où il faut forcément choisir un camp, se positionner, être pro-ci ou anti-ça. L’actualité française autour de Gérard Depardieu illustre d’ailleurs bien cette tendance. Voir plusieurs noms ressortir dans cette affaire permet aux complotistes de fantasmer une liste pro-Epstein, une liste d’ennemis. »

Car, pour les gagas de la théorie du complot, « la liste » est le Saint Graal à obtenir, rajoute Marie Peltier : « c’est le fantasme ultime, trouver les noms du complot et les dévoiler, les révéler au grand jour pour les accuser et les juger. » Et si ce sont des personnalités politiques et des milliardaires, le « bingo » compte double. « Une fois encore, il ne s’agit pas de nier que certains grands noms fréquentaient Jeffrey Epstein, mais les complotistes poussent cette logique en imaginant une organisation secrète et une alliance entre eux. Or, ce n’est pas parce qu’il y a des relations qu’il y a une organisation », nuance la professeure belge.

La durée et le teasing

Enfin, la durée du dossier – s’étalant sur plus de quatre ans entre le suicide et la révélation de ces documents – « a favorisé le complotisme autour de cette affaire. Il y a eu au fil du temps plein de bribes d’informations décontextualisées, fausses, d’images altérées qui rajoutent sans cesse du bruit et de la confusion, mais aussi qui grossissent sans cesse les faits et relancent à chaque fois l’intérêt des complotistes autour d’elle », estime Tristan Mendès France. Le maître de conférences et expert des mondes numériques et du complotisme évoque alors un premier élément fondateur : le suicide du milliardaire, avec quelques éléments flous « surexploités et utilisés », parmi lesquels le fait que les caméras ne fonctionnaient pas à ce moment précis.

Notre dossier sur l'affaire Epstein

C’était compter sans la révélation publique des derniers documents, annoncée il y a plusieurs semaines. « Il y a eu une sorte de “teasing”, de “clickbait” et d’effet d’annonce autour de la future publication de cette liste, dénonce Iris Boyer. Certains faisaient même des pronostics de qui y figurerait ou non. Ça a augmenté la rumeur, comme une sorte de bande-annonce. » Et qu’importe si les révélations en question n’en sont pas vraiment, et si les noms « dévoilés » ne sont nullement des complices. La complosphère a déjà son blockbuster 2024, elle y verra ce qu’elle décide d’y voir.