TRUE CRIMEDe monstres à super-héros, comment les tueurs en série sont devenus cool

De monstres à super-héros, comment les tueurs en série sont devenus cool

TRUE CRIMELe documentaire « Serial killer, Autopsie d’une fascination », diffusé ce vendredi sur France 5, montre comment le cinéma a permis d’ériger les tueurs en série en véritables héros
Evan Peters dans « Dahmer » sur Netflix.
Evan Peters dans « Dahmer » sur Netflix.  - NETFLIX / NETFLIX
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • Serial killer, Autopsie d’une fascination, de Céline Chassé et Paul Sanfourche, est diffusé ce vendredi à 21 heures sur France 5.
  • De nombreux spécialistes des faits divers reviennent sur la glamourisation des meurtriers.
  • Ted Bundy, Ed Kemper, Michel Fourniret, Charles Sobhraj… Comment sont-ils devenus populaires au point d’inonder les œuvres cinématographiques et littéraires ?

«Tout le monde adore la peur pour le plaisir », sourit Alfred Hitchcock dans une archive diffusée dans Serial killer, Autopsie d’une fascination, ce vendredi sur France 5. Que celui qui n’a jamais succombé au plaisir coupable de se détendre devant « Faites entrer l’accusé » ou une série noire ambiance You, Dexter, Mindhunter ou The Fall, jette la première goutte de sang.

Avec le succès grandissant des true crimes – des documentaires criminels racontés façon polar-, les tueurs en série inondent littéralement la culture populaire. Séries, documentaires, romans, bandes dessinées, les meurtriers sont partout… Mais l’obsession ne date pas du biopic Dahmer, carton stratosphérique de Netflix signé Ryan Murphy, qui affiche plus de 100 millions de visionnages à son compteur depuis sa diffusion en 2022.

Ed Gein dans « Psychose » et « Le Silence des agneaux »

Dès 1960, Psychose, le film d’horreur culte d’Alfred Hitchcock, a bouleversé les conventions de l’épouvante avec une esthétique plus crue du crime et un tueur ultra-réaliste. « Norman Bates est inspiré directement d’Ed Gein, c’est un homme timide, bien sous tout rapport, très gentil, qui vit avec sa mère dans un hôtel. Et derrière cette image d’ange assujetti à sa mère, se cache un tueur », note Joseph Agostini, psychologue et psychanalyste, dans le documentaire de France 5. Pour rappel, Ed Gein a fait trembler les Etats-Unis à la fin des années 1950 notamment pour avoir créé des vêtements, des rideaux et des abat-jour à partir de la peau de ses victimes.

« Hitchcock a marqué un tournant dans la mesure où il s’intéresse à la psychologie du tueur, souligne de son côté Emilie Semiramoth, journaliste spécialisée cinéma et série. On essaye d’entrer dans sa tête, on essaye de comprendre un mode de fonctionnement. Il y a vraiment la notion de spectacle qui est très importante dans le phénomène de fascination pour le tueur en série ». Le film révolutionne le genre et devient l’un des plus grands succès commerciaux du maître du suspense.

En 1991, Le Silence des agneaux de Jonathan Demme abat une nouvelle carte dans la glorification du tueur en série avec le personnage emblématique d’Hannibal Lecter (Anthony Hopkins), cannibal, nécrophile et affichant un QI extraordinaire. On retrouve dans ce chef-d’œuvre l’ombre de certains grands psychopathes américains comme Ed Kemper, Ted Bundy ou -encore une fois- Ed Gein dont le personnage de Buffalo Bill, recherché par l’agent du FBI Clarice Sterling (Jodie Foster), s’inspire.

Avec des fèves au beurre

« Hannibal Lecter a marqué le monde entier parce qu’il est cette figure du tueur en série à la fois génial, brillantissime et hyperattachant. Il est tellement brillant, malin, intelligent qu’on l’aime bien », analyse à son tour Maxime Chattam, romancier policier à succès. Le Silence des agneaux passe lui aussi directement par la case culte et ouvre la voie à un cinéma qui place le tueur en série au centre de son histoire. Sur le même modèle, une vague de films de tueurs débarquent sur grand écran avec Seven, de David Fincher, Tueurs nés, d’Oliver Stone ou Les Nerfs à vif de Martin Scorsese. Côté roman, Bret Easton Ellis marche dans les pas d’Un tueur sur la route de James Ellroy avec American Psycho, lui-même adapté au cinéma en 2000.

Avec l’explosion des true crimes, dont les plateformes de streaming raffolent, la ligne rouge entre fiction et réalité est franchie. Ted Bundy a le droit à de nombreux documentaires, il a même sa propre fiction, Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile. Charles Sobhraj a sa série Le Serpent avec Tahar Rahim. Le parcours de Monique Olivier, complice de Michel Fourniret, l’un des tueurs en série les plus terrifiants de France, a récemment été décortiqué par une série Netflix. Sans oublier le succès phénoménal (et dérangeant) de la série Monstre qui retrace le parcours meurtrier de Jeffrey Dahmer.

L’attitude de Dahmer, devenue un mème

Surnommé « le cannibale de Milwaukee », ce personnage glaçant de l’histoire criminelle américaine a passé plus de dix ans à séduire des jeunes afro-américains dans des boîtes de nuit avant de tenter d’en faire des « zombies » en injectant de l’acide chlorhydrique dans leur cerveau. Après de nombreux signalements de voisins gênés par les odeurs émanant de son appartement, la police a fini par trouver des restes de ses victimes dans son frigidaire.

« Les tueurs en série sont des bonnes histoires parce qu’elles ont des ressorts dramatiques, des rebondissements naturels, avec une matière première vraie, pointe Patricia Tourancheau, journaliste spécialiste de faits divers dans Serial killer, Autopsie d’une fascination. Toute cette face cachée de la société mérite d’être traitée. Il faut essayer de la traiter avec sobriété, distance et délicatesse. Il y a des victimes derrière ». Le monde du cinéma semble parfois le perdre de vue, abreuvant les spectateurs de true crimes ultra esthétisants. On en oublierait presque que derrière l’image glamour d’un Jeffrey Dahmer, dix-sept jeunes hommes ont été violemment assassinés entre 1978 et 1991.

A force d’en faire des héros du septième art, l’industrie du cinéma a peu à peu libéré les tueurs en série de leur monstruosité, les érigeant en véritable stars. Jeffrey Dahmer est même devenu un mème Internet. Des adolescents miment des scènes de la série dans des vidéos, des enfants se déguisent en « Jeffrey Dahmer » pour Halloween, des fans se sont mis à la recherche d’objets personnels du criminel. Faut-il s’inquiéter quand une société fétichise à ce point des psychopathes ?