royal au barComment la vigneronne Noémie Tanneau a été « sauvée » par le roi Charles III

Charles III : Comment la dégustation de son vin par le roi a changé la vie de Noémie Tanneau

royal au barLa vigneronne de Lussac Saint-Emilion Noémie Tanneau revient sur l'« histoire complètement folle » qui lui est arrivée après que le roi Charles III, en visite à Bordeaux en septembre 2023, avait dégusté son vin
Noémie Tanneau, l'exploitante du château Saint-Ferdinand, petite propriété de Lussac Saint-Emilion, a vu son parcours bouleversé après la dégustation de son vin par Charles III.
Noémie Tanneau, l'exploitante du château Saint-Ferdinand, petite propriété de Lussac Saint-Emilion, a vu son parcours bouleversé après la dégustation de son vin par Charles III. - Mickaël Bosredon / 20 Minutes
Mickaël Bosredon

Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • Noémie Tanneau, viticultrice au château Saint-Ferdinand à Lussac Saint-Emilion, s’est retrouvée sous le feu des projecteurs après que le roi Charles III a dégusté son vin à Bordeaux, le 22 septembre dernier.
  • Tout à coup, « les gens voulaient absolument de ce vin, certains voulaient même commander quatre caisses, dix caisses, sans même le goûter » raconte-t-elle aujourd’hui.
  • « C’est une histoire complètement folle, car à ce moment-là cela faisait quatre ans que je galérais… »

Elle restera comme l’une des personnalités du monde viticole de l’année 2023. Noémie Tanneau, vigneronne de 36 ans qui exploite le château Saint-Ferdinand à Lussac Saint-Emilion (Gironde), s’est retrouvée du jour au lendemain sous le feu des projecteurs, après que le roi Charles III a dégusté son vin lors de son passage à Bordeaux le 22 septembre dernier.

Dégustation du château Saint-Ferdinand à Lussac Saint-Emilion, par le roi Charles III, lors de sa venue à Bordeaux.
Dégustation du château Saint-Ferdinand à Lussac Saint-Emilion, par le roi Charles III, lors de sa venue à Bordeaux. - Samir Hussein/SIPA

20 Minutes est allé retrouver la viticultrice ce vendredi, presque quatre mois après l’événement qui a changé sa vie. « Je me souviendrai toujours du tout premier article de "20 Minutes", sorti dès le jour de la dégustation, le vendredi, nous raconte-t-elle dans un grand sourire. C’est à partir de là que j’ai reçu un afflux de commandes de la cuvée Source, celle goûtée par le roi, c’était incroyable. C’est une histoire complètement folle, car cela faisait quatre ans que je galérais… »

« Les gens voulaient absolument de ce vin, c’était fou »

Les deux semaines qui suivent, Noémie Tanneau fait des passages dans les JT de TF1, France 2, France 3, M6, et compile des articles dans Le Figaro, Voici, Gala et même The Times. « Et nous avons été submergés par les commandes. Mon téléphone sonnait toutes les minutes, cela commençait à 6 heures et durait jusqu’à minuit ! J’ai finalement dû laisser un message sur mon répondeur pour dire aux gens d’aller directement sur mon site internet et de m’envoyer un mail pour passer commande, car je n’ai pas de e-boutique. Nous recevions des centaines de mails de toute la France. Les gens voulaient absolument de ce vin, certains voulaient même commander quatre caisses, dix caisses, sans même le goûter. C’était fou. »

Noémie Tanneau avec une bouteille de la cuvée Source dégustée par Charles III.
Noémie Tanneau avec une bouteille de la cuvée Source dégustée par Charles III. - Mickaël Bosredon

Les premiers jours, la vigneronne demandait à ses clients « de commander six bouteilles minimum, car je ne voulais pas m’embêter à envoyer une seule bouteille ». Mais elle a rapidement dû rétropédaler. « Nous avons finalement limité les commandes en fixant un maximum, d’abord de trois bouteilles, puis deux, puis une… Je ne disposais que de 3.000 bouteilles de cette cuvée, c’est tout petit, et tout est parti en quinze jours. En temps normal, il m’aurait fallu minimum six mois pour écouler ce stock. »

« On a travaillé comme des dingues »

Noémie Tanneau, qui gère une petite propriété de six hectares, s’est ainsi retrouvée à organiser des expéditions à un rythme industriel, alors même qu’elle élaborait dans le même temps son millésime 2023, dont la récolte venait de rentrer dans ses cuves. « On a travaillé comme des dingues, se souvient-elle. Tout le monde s’y est mis, nos jeunes filles à l’étiquetage, mes parents qui ont enchaîné les cartons… »

Malgré ceux qui lui conseillaient de monter son prix, Noémie Tanneau a fait le choix de maintenir le tarif de cette cuvée Source à 15 euros. « En revanche, j’ai demandé à ceux qui voulaient six bouteilles d’acheter aussi d’autres cuvées pour qu’ils les découvrent. Bien m’en a pris, car des clients les ont parfois préférées à la cuvée Source. »

« Je me remettais en cause »

La viticultrice assure n’avoir « rien vu venir. » « C’est le CIVB [Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux] qui a sélectionné mon vin pour qu’il soit dégusté par le roi. Jamais je n’aurais pensé que cela aurait de telles répercussions. On n’est pas prêt à gérer ce genre de choses, mais je ne vais pas me plaindre, j’attendais tellement que quelque chose vienne me sauver ! La semaine d’avant, j’étais limite en burn-out… Cela faisait quatre ans que je m’étais lancée, je ne me rémunérais toujours pas, et j’étais arrivée à un moment où je me demandais véritablement ce que j’allais faire. Aujourd’hui, je me dis que je dois avoir une bonne étoile, ou quelque chose comme ça. »

Viticultrice engagée, Noémie Tanneau s’est lancée sur le tard dans la profession, en 2020. Dès 2021, elle a entamé une conversion en bio. Concernant le vin dégusté par le roi, un millésime 2022, il a été élaboré sans soufre ni sulfites ajoutés. « Je suis convaincue par cette démarche même si elle n’est pas facile, explique la jeune femme. En 2023 par exemple, je me suis pris une raclée : avec les maladies de la vigne, je n’ai pu sortir que dix hectolitres à l’hectare, au lieu de 55 en temps normal. Cela tombe mal, car c’est le moment où ça décolle enfin pour moi, et j’aurais eu besoin d’avoir du volume, mais je ne me vois pas cultiver autrement. »

« Repartie pour un tour »

Aujourd’hui, « je suis repartie pour un tour » assure-t-elle. « Tout cela m’a confortée à très court terme au niveau économique – grâce à ces ventes, j’ai bouclé l’année 2023 de façon normale –, et à plus long terme au niveau psychologique. Quand on est entrepreneur, on voudrait que tout aille vite, mais quand je regarde en arrière, je me dis que ce qui m’arrive, c’est aussi grâce aux briques posées tout au long de ces quatre années. Le CIVB ne m’a pas choisie par hasard, c’est grâce à tout ce travail. »

Si la frénésie de l’automne 2023 est retombée, « d’autres choses se mettent en place, avec les professionnels notamment. » Noémie Tanneau a pu embaucher sa secrétaire qui était en apprentissage, va créer une e-boutique et souhaite se lancer dans une expérimentation de cépage blanc, « en permettant à mes clients d’investir dans des pieds de vigne. »

La viticultrice a aussi intégré un collectif de vignerons de Gironde, Bordeaux Rocks, dont l’objectif est de dynamiser l’image des vins de Bordeaux « et reconquérir les professionnels, cavistes, restaurateurs… » « On a cette image d’un Bordeaux élitiste, cher, alors que les grands châteaux ne représentent que 3 %. La grande majorité, ce sont des petits comme moi. Et après le "rush du roi", j’ai reçu beaucoup de messages de vignerons qui m’ont dit que cette histoire faisait vraiment du bien, à un moment où notre secteur traverse une grave crise. » Une sorte de parenthèse enchantée, sur laquelle la viticultrice entend bien continuer de surfer.

Le collectif de vignerons Bordeaux Rocks organisera une dégustation à Paris, en marge du salon Wine Paris, le 11 février sur la péniche du 86, quai d’Austerlitz (13e).