sky is the limitAirbus va-t-il vivre sa « best life » en 2024 ?

Airbus va-t-il vivre sa « best life » en 2024 ?

sky is the limitAirbus n’a jamais vendu autant d’avions qu’en 2023, et commence la nouvelle année en se gavant de pop-corn devant les déboires de Boeing. De quoi s’attendre à un succès démentiel en 2024 ?
Un A320 qui décolle, tout comme la croissance d'Airbus.
Un A320 qui décolle, tout comme la croissance d'Airbus. - SYSPEO/SIPA / SIPA
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Qu’elle semble loin l’époque des avions cloués au sol pendant le Covid-19. La pandémie reléguée aux mauvais souvenirs, le secteur aérien voit sa croissance s’envoler vers des cieux toujours plus vastes et rentables.
  • En cette année 2024, Airbus semble particulièrement prêt à tirer son épingle du jeu. Non seulement le constructeur européen a fait péter les compteurs de ventes en 2023, année record et de loin, et son seul rival, Boeing, connaît encore des déboires avec son nouveau joujou, le 737 MAX.
  • Mais si le succès risque de bel et bien être au rendez-vous, Airbus va devoir continuer de partager l’ivresse des nuages.

Pour Airbus, le vœu pieux du 31 décembre – avoir la meilleure année possible – commence, dès le début janvier, à prendre des allures bien concrètes. Il y a bien sûr les malheurs du son grand rival Boeing et de son « avion maudit » le 737 Max. Dernière galère en date le 5 janvier : rien de moins que l’arrachage d’une porte et d’un hublot en plein vol, ne faisant miraculeusement aucun blessé. Mais puisqu’il n’y a pas que le malheur des autres dans la vie, le constructeur européen peut aussi se féliciter d’un nombre record de ventes d’avions en 2023 : 2.094 commandes nettes, record de 2013 explosé (1.503 commandes à l’époque).

Tout semble donc indiqué qu’Airbus vivra encore sa best life en 2024. Pour le nombre de commandes et le chiffre d’affaires en tout cas, the sky is – littéralement – the limit. « La croissance du secteur aérien est estimée entre 3 et 6 % par an », chiffre Bertrand Vilmer, expert en aviation et professeur à Icare Group, société de conseil spécialisée en aéronautique. Boeing comme Airbus estime que la flotte mondiale devrait doubler d’ici vingt ans, atteignant 48.575 appareils en service en 2042, contre 24.500 l’année dernière. « Quatre milliards de personnes ont décollé en 2023. Elles devraient être 10 milliards d’ici vingt ans », poursuit Bertrand Vilmer.

Duopole presque trop facile

Un boom porté par la demande asiatique, où l’explosion de la classe moyenne donne des envies – et les moyens – de voyager. « Neuf des dix lignes aériennes les plus en expansion se trouvent en Asie », renseigne Iza Bazin, pilote et experte aéronautique. Une croissance XXL encore dopée par le rattrapage du retard pris pendant le Covid. « Lors de la pandémie, les compagnies aériennes, à l’arrêt, n’ont pas renouvelé leur flotte vieillissante. Aujourd’hui, le secteur a besoin à la fois de plus d’avions, mais aussi de changer les anciens », continue la spécialiste.

Preuve que les cieux ont le vent en poupe, Boeing, pas vraiment au beau fixe dans l’actualité, cumule lui aussi les records. Trois cent soixante-neuf commandes nettes en décembre, un record, et 1.456 commandes brutes pour les douze mois écoulés, troisième meilleure année du géant américain et la plus forte depuis… 2014. Presque trop facile, tant les deux géants sont en situation de duopole. Les constructeurs russes ou chinois n’arrivent pas à passer les réglementations très strictes européennes et américaines, et doivent se contenter des marchés locaux, détaille Bertrand Vilmer.

Le temps, c’est de l’argent

Mais avec tous les déboires des 737 MAX – déjà deux crashs meurtriers et désormais des problèmes de boulons –, Airbus ne va-t-il s’arroger le monopole du secteur aérien ? Impossible, sèche le professeur. « Les problèmes de Boeing n’auront que des conséquences minimes sur l’économie d’Airbus », prophétise-t-il. Comme on l’a vu, le constructeur européen n’a aucun problème de nombre de commandes. Le souci actuel, c’est plus de construire les avions à temps. En 2023, Airbus n’a livré « que » 735 avions, et 661 en 2022.

« Même si Airbus avaient toutes les commandes, il ne pourrait pas les faire, poursuit le professeur. Le carnet des deux géants est plein pour plusieurs années, et les compagnies ne vont pas changer subitement leurs avions Boeing pour des Airbus, cela reviendrait à devoir attendre leurs livraisons des années et des années, voire des décennies. » Et d’ici là, « les secousses du 737 MAX seront oubliées. Il peut y avoir un mouvement d’évitement de la clientèle pendant quelques mois, mais ce sont des phénomènes éphémères ».

Des avions sans moteur livrés

Le problème du temps de livraison semble insoluble, celui du temps de fabrication difficilement abaissable. « La construction d’un avion dépend d’un tissu de PME, puis de tout un chemin de fer de sous-traitants, et pas seulement d’Airbus et de Boeing », un peu coincés dans cette histoire, soulève l’expert.

Un temps de latence qui s’est encore accru avec ce satané coronavirus. Avant la pandémie, Airbus parvenaient à monter 60 A320 – son avion blockbuster – par mois, un chiffre tombé à 40 depuis. « Le groupe espère remonter à 70 A320 mensuel en 2025 ou 2026, mais c’est un processus qui prend du temps », souligne Bertrand Vilmer. Des retards tels qu’Airbus a pris l’habitude de livrer les avions sans les moteurs, mettant plus de temps à être fourni, renseigne Iza Bazin, surnommé « les planeurs ».

Dernier point qui devrait définitivement couper les ailes aux rêves de monopole d’Airbus, les compagnies aériennes ont tout intérêt à conserver deux constructeurs, conclut le professeur. « Cela leur assure des avions différents en cas de pépin ou de boudage des clients envers un fournisseur, comme ce qu’il se passe actuellement avec Boeing et le 737 MAX. Mais également, cela permet des prix plus bas, plus d’avions livrés, etc. »

Alors oui, Airbus devrait vivre sa best life en 2024. Mais devra juste composer avec le fait que le Boeing aussi aura une année sans doute très réussie. Dans la vie, même quand tout est au beau fixe, il faut savoir partager.