TENNISLes jeunes joueurs naturalisés sont-ils l’avenir du tennis français ?

Open d’Australie : Les jeunes joueurs naturalisés sont-ils l’avenir du tennis français ?

TENNISPrésents au premier tour à Melbourne, Luca Van Assche et Varvara Gracheva ont la particularité d’avoir été naturalisés français. Derrière eux, Ksenia Efremova et Daniel Jade sont bien partis pour les rejoindre au plus haut niveau. Portraits
Luca Van Assche et Varvara Gracheva, respectivement nés en Belgique et en Russie, ont tous les deux été naturalisés français
Luca Van Assche et Varvara Gracheva, respectivement nés en Belgique et en Russie, ont tous les deux été naturalisés français - SIPA (montage WP) / SIPA
William Pereira

William Pereira

L'essentiel

  • La prodige d'origine russe Ksenia Efremova, présentée comme un très grand espoir du tennis mondial, disputera l'Open d'Australie junior avec la nationalité française.
  • La jeune fille de 14 ans a été naturalisée récemment comme Luca Van Assche, Varvara Gracheva et Daniel Jade. Pour autant, il s'agit plutôt d'opportunités individuelles que d'une véritable politique fédérale de la fédération française.

La jurisprudence du tennis français sur les enfants promis à la gloire, que l’on nommera au hasard Richard G, nous incite à la prudence quand éclôt un ou une ado au-dessus de la mêlée. Faisons exception du cas Ksenia Efremova. La joueuse de 14 ans est annoncée comme la future terreur du circuit féminin depuis aussi longtemps qu’elle tient une raquette, et les pronostics semblent ne pas s’être plantés. Efremova a terminé l’année 2023 en remportant son premier trophée chez les pros à Monastir en démolissant la pauvre Selina Dal, 720e WTA, de huit ans son aînée (7-5, 6-0). 2024 commencera aussi très fort, avec une wild card pour l’Open d’Australie Juniors.

Son prochain défi ? Ne pas laisser la lose tricolore déteindre sur son avenir. Car la native russe a obtenu la nationalité française à l’automne 2023, quatre ans après avoir débarqué dans le Sud-Est pour intégrer l’académie Mouratoglou. « J’ai été très heureuse de savoir que j’allais avoir un passeport français, a-t-elle déclaré à Tennis Majors. Maintenant, je peux voyager facilement. Je peux représenter la France, je vis ici depuis des années et je m’y sens chez moi. Pour mes frères et ma mère aussi, c’est important. Nous pouvons voyager, mon frère ira dans une université américaine l’année prochaine. » Ça sonne un peu opportuniste et c’est dit avec la franchise de l’enfance, mais l’histoire telle qu’écrite par son clan prête également au choix de la nationalité française une forme de gratitude : avant de mourir d’une longue maladie en 2021, son père a été suivi par les meilleurs spécialistes du cancer en France.

Derrière les parcours de ces jeunes naturalisés du tennis français se cache toujours une histoire. Toutes ne sont pas dramatiques, certaines sont même mignonnettes voire anecdotiques. C’est ce qu’on a appris des vies de trois autres joueurs naturalisés : Luca Van Assche (19 ans, 63e ATP) et Varvara Gracheva (23 ans, 39e mondiale), tous deux présents au premier tour de l’Open d’Australie, ainsi que Daniel Jade (14 ans, vainqueur du Masters européen juniors).

Luca Van Assche (19 ans), au nom de la mère

Origines : Père belge, mère italienne.

Circonstances de son arrivée en France : Déménagement lié à la situation professionnelle du père. Luca débarque en France à 3 ans. Il vit d’abord à Aix-en-Provence puis à Lyon, puis à Paris.

L’histoire racontée par : Hélène Gondran, l’une de ses premières coachs à Lyon

« Quand je l’ai récupéré, j’ai trouvé que c’était un joueur talentueux. En toute logique, il a fini par avoir des entraînements de Ligue, mais il était italien par sa mère. Or, on peut entraîner des étrangers à la Ligue jusqu’à une certaine limite. J’ai prévenu sa mère que si Luca voulait rester en entraînement de Ligue, il devait être français, surtout si un jour il voulait être invité à Roland-Garros… Elle me regardait avec des grands yeux l’air de dire ‘’mon enfant a huit ans, elle est complètement folle (rires).’’ Mais elle m’a fait confiance. Luca avait moins de dix ans, donc la procédure de naturalisation incombait à la mère, qui est partie à Nantes pour participer à un entretien. Elle avait révisé toute l’histoire de France. Et je pense qu’elle n’a pas caché qu’elle faisait ça pour son fils, afin qu’il puisse continuer à s’entraîner dans les meilleures conditions, et bénéficie d’aides régionales et de ligue. »

Varvara Gracheva (23 ans), la bonne affaire du tennis français

Origine : russe

Circonstances de son arrivée en France : Sa mère, prof de tennis, l’a entraînée jusqu’à ses 14 ans avant de chercher à la placer dans une académie de renom. Ce qu’elle trouvera dans l’Elite Tennis Center de Jean-René Lisnard, où elle atterrira à 16 ans.

L’histoire racontée par… Jean-René Lisnard

« C’est la bonne opportunité tombée du camion. On ne connaissait pas du tout Varvara quand sa mère nous l’a présentée. Elle a dû entendre parler de notre centre, et c’est comme ça que ça s’est fait. C’était une bonne joueuse mais comme on peut en rencontrer pas mal chez les jeunes au niveau international. On ne l’a pas prise tout de suite, elle a dû attendre qu’une place se libère chez nous. Comme sa mère travaillait toujours, elle nous a un peu confié Varvara, en quelque sorte. On a géré toute sa vie, sa carrière, son truc.

Plus tard, je lui ai suggéré de faire ses papiers, d’autant plus qu’eux [les Russes] ont besoin de visas pour se déplacer dans tous les pays, c’est l’enfer. Le conflit avec l’Ukraine est venu s’ajouter à tout ça [Varvara Gracheva a nié tout lien entre sa naturalisation et la guerre], pour ne rien arranger. Varvara habite ici depuis sept ans, elle a acquis un logement, elle paye ses charges… c’était naturel, qu’elle le fasse, c’est son pays d’adoption. Et au vu de son niveau, il y a aussi évidemment un intérêt pour la France. »

Daniel Jade (14 ans), le petit dernier

Origine : libanais

Circonstances de son arrivée en France : Les explosions du port de Beyrouth et la situation compliquée du Liban, qui ont poussé ses parents à l’envoyer en France il y a deux ans et demi.

L’histoire racontée par… son ancien entraîneur, Robin Bailly et le président de la Ligue normande, Olivier Halbout

R.B « Les parents de Daniel ont de la famille à une demi-heure de Rouen, ils ont installé les enfants là-bas. Rapidement, ils se sont renseignés pour trouver un club de tennis, et sont rentrés en contact avec nous. Quand Daniel a fait ses premiers tournois pendant l’été, il a gagné pas mal de matchs, on a vu qu’il avait du potentiel. Sa capacité à travailler nous a d’abord marqués. Son niveau global était intéressant, mais le niveau technique était faible, ce qu’il a vite su corriger comme c’est un gros compétiteur. Et il a très bien su gérer l’éloignement. Ses parents, il ne les voyait que toutes les six à sept semaines pendant les vacances scolaires, et pourtant je ne l’ai vu pleurer qu’une fois, le deuxième mois. »

O.H : « Le processus de naturalisation était une volonté de la famille. Il faut souligner que ses parents sont des amoureux de la France. Le papa a fait toutes des études en France, il parle parfaitement français, et c’est pareil pour la maman. Très vite on s’est mis en marche avec la responsable des relations étatiques à la fédération pour faire suivre la demande de naturalisation [Daniel est devenu français en décembre 2022]. Depuis, il a été en finale des petits as, champion d’Europe avec l’équipe de France par équipe, été finaliste du championnat d’Europe, et il a gagné l’Open Stade français. »

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Pas de stratégie de naturalisation des jeunes talents

Contactée par 20 Minutes, la Fédération française de tennis se dit « très fière de pouvoir accompagner les parcours et les choix individuels de ces jeunes joueurs et joueuses, et de contribuer à l’émergence d’une nouvelle génération prometteuse de championnes et champions, nécessaire à l’attractivité et la performance du tennis français ». La FFT assure se tenir éloignée de ces décisions, de l’ordre du personnel, allant dans le sens des divers témoignages recueillis. Pour Olivier Halbout, ce serait « une erreur de faire de cas particulier une stratégie. »

Ces histoires personnelles illustrent par ailleurs les garde-fous du tennis national contre la formation de joueurs qui, adultes, pourraient ne pas représenter la France. « Former des jeunes de fédérations étrangères n’est pas notre vocation, expose Halbout. Il faut donc pouvoir justifier de certaines dépenses. Quelque part, c’est de l’argent public. Pour la fédération, c’était pareil : Daniel Jade ne pouvait pas jouer en équipe de France, et à partir du moment où vous jouez en EDF, des aides se créent, avec la région, le département… Sans nationalité française, ça peut freiner un projet. »

Le cas de Gracheva est un peu différent : en tant que membre d’une structure privée, sa carrière ne dépendait pas de sa naturalisation. L’Elite Tennis Center n’avait, a priori, aucun intérêt particulier à la pousser dans cette direction. « Au contraire, s’avance Lisnard. Parce qui si demain, la FFT lui dit "tiens vient t’entraîner au Centre National d’Entraînement, tout est gratuit" on perdrait la joueuse. Mais j’adore mon pays, j’ai l’impression qu’on a fait une bonne action. Et si ça peut rendre service à la France… »

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