A vau-l’eauVotre eau, vous la prendrez aux nanoplastiques ou aux pesticides ?

Votre eau, vous la prendrez aux nanoplastiques ou aux pesticides ?

A vau-l’eauLa publication récente d’une étude montrant la forte présence de micros et nanoplastiques dans les eaux embouteillées, sonne-t-elle l’heure de la revanche pour l’eau du robinet ?
L'eau du robinet reste le produit alimentaire le plus contrôlé. (illustration)
L'eau du robinet reste le produit alimentaire le plus contrôlé. (illustration) - FOURMY MARIO/SIPA / SIPA
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Une récente étude fait état de la présence de micros et nanoplastiques dans les eaux embouteillées 100 fois supérieurs à celle auparavant mesurée.
  • Une nouvelle qui interroge, une fois encore, sur la qualité de l’eau que nous consommons.
  • En bouteille, du robinet, filtrée, l’eau semble cernée aujourd’hui par les contaminants, quoique certaines régions s’en sortent mieux que d’autres.

Épargnons-nous pour l’occasion une introduction à base de « l’eau, c’est la vie ». Une récente étude publiée par une équipe de chercheurs de l’université de Columbia, à New York, visant à démontrer l’efficacité d’une nouvelle technique de recherche des nanoplastiques, fait état de la présence massive de ces derniers dans l’eau en bouteille. Une concentration 100 fois plus élevée que ce qui était estimé jusque-là, allant de 130.000 à 240.000 particules de plastique par litre d’eau en bouteille. « Des particules qui viennent pour l’essentiel de l’érosion des bouteilles en plastique au contact de l’eau », relève l’auteur principal de l’étude interrogé par CNN.

Il n’y a donc, loin de là, pas que de la vie dans l’eau. Rapporté à la consommation moyenne annuelle d’eau en bouteille en France qui est de 136 litres par habitant, ce sont entre 15 et 30 millions de minibouts de plastique qu’ingère de la sorte chaque Français, soit autant qu’un Espagnol, presque deux fois moins qu’un Italien, mais 13 fois plus qu’un Suédois, selon le syndicat Natural Mineral Waters Europe. La branche française du Syndicat des eaux de sources et des eaux minérales naturelles estime, pour sa part, via Marie Planck, que l’étude new-yorkaise doit « être prise avec précaution. Il s’agit d’une technologie expérimentale, et les bouteilles analysées sont celles vendues sur le marché américain ».

La France en première ligne

Mais la nouvelle soulève des interrogations en France, premier exportateur mondial d’eaux minérales, qui compte, avec Danone et Nestlé, deux des acteurs mondiaux les plus puissants du secteur, et pourrait sonner la revanche du robinet. « Difficile d’opposer l’une à l’autre », tempère Nathalie Davoisne du Centre de l’information sur l’eau (CIE). « Les Français sont d’abord des buveurs mixtes. Trois quarts d’entre eux déclarent consommer les deux », précise la responsable média. Et plus encore, 48 % des Français interrogés déclarent boire tous les jours de l’eau en bouteille et 66 % de l’eau du robinet, établit notamment leur baromètre 2023, Les Français et l’eau, une étude menée chaque année depuis vingt-sept ans.

Sur un temps plus long, la part de Français déclarant consommer quotidiennement de l’eau en bouteille a chuté entre 2000, avec un pic à 65 %, et 2010, avant de stagner. Une chute alors plutôt portée par « la sensibilisation environnementale liée aux déchets et à la pollution plastique », précise Nathalie Davoisne. Naturellement, émerge désormais dans cette étude la préoccupation de la raréfaction de la ressource, avec 92 % des Français ayant « la conviction de l’impact du dérèglement climatique sur le manque d’eau » et celle de sa pollution : 22 % des Français déclarent « ne pas avoir confiance dans l’eau du robinet », note l’étude.

« L’eau du robinet reste le produit alimentaire le plus contrôlé. S’agissant des nitrates, 99,3 % des stations ont été en conformité permanente avec le seuil de 50 mg/L et sur l’année 2021, ce franchissement de seuil a concerné 400.000 personnes. Et les seuils sont établis pour les publics les plus fragiles, avec une marge », rappelle le docteur Philippe Beaulieu, référant santé pour le CIE. « Au niveau des particules plastiques, les eaux du robinet sont assez sûres. Mais on vit dans un milieu rempli de particules, quoique, sur le plan strictement médical, il n’existe pas encore de preuve conclusive des effets des nanoplastiques sur la santé. Cela pose cependant tout un tas de questions sur les effets des perturbateurs endocriniens », poursuit le médecin qui ne voit aucun problème à utiliser l’eau du robinet pour les nourrissons et les bébés.

A Marseille, l’eau du robinet était 24 heures avant encore dans la rivière

Car le rapport de l’eau en bouteille à la santé, et particulièrement aux enfants, est fort. Une projection sur laquelle ont parfaitement joué les différentes marques d’eau embouteillées depuis l’explosion de leur commercialisation permise par la mise au point en 1973 de la bouteille en plastique PET. Qui, par exemple, n’associe pas aujourd’hui une marque comme Evian (du groupe Danone) aux bébés ?

Pourtant, il existe en France des réseaux d’eau, souvent public, de très bonne qualité. Comme à Marseille, et plus largement en Paca, où les trois quarts de la ressource proviennent des rivières Verdon et Durance qui prennent leurs sources dans les Alpes. « Ce sont des espaces naturellement protégés des pollutions agricoles ou des rejets d’eaux usées. L’eau n’a pas non plus le temps de stagner, puisque celle qui coule des robinets était vingt-quatre heures avant encore dans la rivière », explique Emmanuel Guiol, responsable qualité et distribution à la Société des eaux de Marseille. « De fait, nous n’avons pas ou très peu de nitrates ou de résidus de pesticides et l’eau est désinfectée à l’ozone, ce qui ne donne pas de goût », complète-t-il, ajoutant que « les grosses campagnes de pub ont pu contribuer à inspirer une méfiance vis-à-vis de l’eau du robinet ».

« Votre eau, vous la prendrez aux plastiques ou aux pesticides ? »

Reste que celle-ci peut parfois être de mise. Notamment dans les régions les plus agricoles et industrielles, comme les Hauts-de-France, où les concentrations en résidus de pesticides sont les plus fortes dans l’eau. Les investigations menées par l’émission télévisée « Complément d’enquête », diffusée en septembre 2022 avaient révélé que, « selon les propres estimations de la direction générale de la Santé et si la réglementation était respectée, près de 10 millions de Français auraient dû être privés d’eau du robinet ».

C’est alors que certains consommateurs seraient tentés de s’orienter vers des dispositifs de traitement domestiques de l’eau, à l’aide de charbon ou autre carafes filtrantes dont sont équipés 20 % des foyers français, estime l’UFC-Que choisir. « Elles sont plutôt inutiles », commente le docteur Philippe Beaulieu. « Les filtres à charbon peuvent enlever des choses sympas comme le calcium et le magnésium, c’est dommage, et les carafes filtrantes deviennent rapidement des nids à bactéries. »

Nous voilà dès lors parvenus dans une sorte d’impasse. « Votre eau, vous la prendrez aux plastiques ou aux pesticides ? », pourrait demander un serveur au mauvais esprit en attendant un éventuel retour de la consigne en verre. Celle-ci pourrait faire son retour en France d’ici deux ans, avait annoncé mi-juin, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie, Bérangère Couillard. La fin des emballages plastiques à usage unique est, elle, toujours annoncée pour 2040.

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