Santé mentale« J’avais un rythme effréné »… Le burn-out existe aussi sur YouTube

YouTube : « J’avais envie de continuer, le corps résistait »… Le burn-out existe aussi chez les créateurs de contenu

Santé mentaleSi les créateurs de contenu sont souvent moqués lorsqu'ils prennent la parole sur le sujet du burn-out, le phénomène d’épuisement au travail est de plus en plus courant dans ce jeune métier
Malgré un métier considéré comme « facile », les créateurs de contenu sont aussi susceptibles de faire des burn-out.
Malgré un métier considéré comme « facile », les créateurs de contenu sont aussi susceptibles de faire des burn-out. - Sol Vazquez Cantero / Canva
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Dans les entreprises comme chez les indépendants, le burn-out est un vrai sujet de santé mentale. Mais qu’en est-il pour les créateurs de contenu qui ont alerté à plusieurs reprises d'un certain mal-être.
  • McFly et Carlito, Mastu, Cyrilmp4… les exemples ne manquent de vidéastes qui ont dû faire des pauses dans leurs carrières pendant une période d’épuisement, voire de dépression.
  • Thibault Bourdin, père de la chaîne « La Folle Histoire », a subi un burn-out en 2021 et le raconte à 20 Minutes.

«Je me suis levé un matin et je ne pouvais plus ». Dans une vidéo publiée fin novembre sur sa chaîne suivie par 99.000 abonnés, le youtubeur Herodot’com a annoncé face caméra faire une pause de plusieurs mois dans sa carrière. Malgré sa « passion qui le ronge » pour les productions autour de l’Histoire, le vidéaste explique avoir accumulé trop de signes physiques de stress depuis le début de son activité il y a huit ans. Pourtant celui-ci refuse de parler de burn-out et préfère dire qu’il a « explosé en plein vol ».

Une semaine plus tôt, un autre passionné, Thibault Bourdin, papa de la chaîne La Folle Histoire, croisait son confrère lors de la projection en avant-première du film Napoléon. Lui remarque que Frédéric alias Herodot’com est fatigué et ensemble, ils échangent quelques mots à ce sujet. Son interlocuteur semble à bout. « Pourtant, pour moi, c’était un modèle de quelqu’un qui n’était pas intéressé par la performance, qui sortait des vidéos extrêmement longues sans régularité. Je pensais qu’il était détaché du côté abonnés et statistiques. Au final, il est aussi à cran ». Chez les créateurs de contenus, cet épuisement reste très courant et si le terme « burn-out » est souvent moqué dans un métier décrit comme « facile », il a toute sa légitimité dans le débat, affirme les différents spécialistes et psychologues contactés. Thibault, lui aussi, en a fait les frais.

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Surproduction et hyperperformance

Grand amoureux de la matière, il a créé La Folle Histoire lorsqu’il était au lycée. Voyant que sa chaîne commence à marcher, le vidéaste décide de s’y consacrer à temps plein dès 2020. « J’ai mis en pause mes études pour me mettre à fond là-dessus. Je ne les ai jamais reprises depuis ». A raison d’une vidéo par semaine et le confinement aidant, la chaîne se retrouve même parmi le top 15 des meilleures progressions sur YouTube France cette année-là. « A l’époque, j’avais un rythme effréné ». Pour Thibault, cette cadence rythmée s’accompagne d’une certaine euphorie. « Surtout quand on a passé des années sur des vidéos qui ne marchaient pas. Alors on veut en faire toujours plus, on devient un peu obsédé, on regarde les statistiques. Dès que ça baisse un peu, on s’inquiète parce qu’on est nouveau, et on se dit que ça peut très vite retomber ».

Seulement, à l’époque, Thibault gérait seul sa chaîne YouTube. « Il y a eu plein de choses à organiser d’un coup. Avec le recul, je me dis que j’étais trop jeune. J’avais 19 ans à l’époque ». Alors, le vidéaste se met de plus en plus de pression. Chaque semaine, il doit faire au moins une nuit blanche pour s’assurer de finir son travail. « Il fallait absolument que la vidéo sorte tous les dimanches à 14 heures, ce qui fait que je travaillais pratiquement sept jours sur sept. Mais moi ça me plaisait ». Face à la concurrence, la plupart des créateurs des contenus sont conscients de cette surperformance. « On peut effectivement être assez pénible avec nous-même. On se met beaucoup la pression, mais on a quand même des deadlines à respecter ».

Mais les premiers signaux de faiblesse commencent à s’allumer. « Même si j’avais envie de continuer, le corps résistait ». Pour le psychologue du travail Pierre-Eric Sutter, ce phénomène d’épuisement est lié au surengagement. « Au bout d’un moment, le niveau de ressources personnelles qui est mobilisé par rapport aux objectifs atteints est tellement gigantesque que les ressources s’amenuisent. C’est comme pour la planète ».

Une remise en question de son travail

Nous sommes désormais en mai 2021, et beaucoup de choses s’accumulent dans les coulisses de la chaîne YouTube La Folle Histoire. Des projets professionnels échouent, le travail est de plus en plus important, la pression et les critiques aussi. « En parallèle, le contenu sur la chaîne a pas mal évolué dans son sérieux, j’allais plus au fond des sujets. Le problème, c’est que ça s’arrête jamais parce que, même quand une vidéo est prête et qu’on peut enfin la sortir, il y a la suivante à préparer ».

Alors Thibault craque et n’arrive même plus à écrire une ligne face au sentiment de fatigue et à l’anxiété qu’il décrit comme permanent. « C’est une sensation bizarre de ne pas être capable de travailler du jour au lendemain », se souvient-il. Toutes sortes de pensées lui passent par la tête : Suis-je légitime ? Qu’est-ce que je veux vraiment faire de ma vie ? « C’était le seul moment où j’étais vraiment à deux doigts de tout plaquer. Je me souviens que je faisais des crises d’angoisse tout seul chez moi, alors qu’il n’y avait rien de particulier. Mais je me suis repris. J’ai eu le déclic en me disant qu’il fallait que je me fasse aider, que je ne peux pas continuer tout seul ».

Des sentiments qui surviennent souvent pendant un burn-out, assure le psychologue Pierre-Eric Sutter. « L’épuisement mental c’est ne plus croire aux valeurs qui nous stimulaient avant », ce qui peut déboucher sur des « gros coups de déprime », voire une « dépression réactionnelle ».

Repérer les signaux faibles

Aujourd’hui, le passionné d’histoire l’assure : Il n’est plus capable de travailler comme il le faisait dans le passé. « C’est un des rares avantages du burn-out, on apprend à se connaître un peu mieux, à connaître ses limites ». L’an dernier, il a même frôlé un second burn-out, mais a su lever le pied à temps. « Il y a eu des symptômes physiques. Je me suis levé un matin et j’avais perdu la sensibilité sur toute une partie du corps qui était engourdi ». Pensant à un AVC, ses examens ne montrent rien de particulier à part une lourde dose de travail. Désormais entouré par une équipe sur sa chaîne, Thibault apprend à se déconnecter et ressent une nette évolution.

Pourtant, le métier de créateur de contenu reste trop solitaire et, pour Thibault, l’isolement reste une des raisons du mal-être. « Même si, pour la plupart, on reste très introvertis ». Certes la plateforme YouTube les prévient de leur santé mentale… mais est-ce bien suffisant ? Outre la solitude, le rapport aux statistiques peut les enfermer dans une autre logique de surperformance et donc parfois d’épuisement. « Il y a toujours une pression des statistiques et ça, c’est à tout niveau, soit une chaîne qui débute, soit une chaîne qui commence à marcher ou une chaîne qui marche depuis très longtemps ».

« L’isolement est un facteur aggravant »

Le sujet reste toutefois tabou chez les créateurs qui sont frileux de répondre aux questions sur le burn-out au risque des réactions parfois épidermiques de leur public. « Ça reste un métier d’image et il ne faut pas avoir l’image de quelqu’un qui se plaint tout le temps », souligne Thibault Bourdin. « Il y a l’impression de métier facile, il n’est pas plus difficile qu’un autre métier, mais, à un moment donné, même si on fait ce qu’on aime, on peut tomber en dépression ». Pour les spécialistes, le sujet est largement d’actualité chez les créateurs de contenu, comme chez n’importe quel travailleur. « Le burn-out, c’est le fait de développer des symptômes individuels de stress à partir du moment où on est confronté à des situations stressantes. En live, on ne peut pas détecter un burn-out chez des créateurs de contenu car ils ne présentent que le meilleur côté », soutient Aude Selly, autrice d’Autopsie d’un burn-out et coach.

Pourtant les caractéristiques de cet épuisement professionnel peuvent être nombreuses et corroborent pour la plupart avec le témoignage de Thibault. « La fatigue intense, la perte du plaisir dans son travail, le développement d’une addiction, le changement de comportement », énumère Aude Selly. Et la coach du travail de conclure : « Pour les travailleurs, l’isolement est un facteur aggravant. Ça fait partie des spécificités du secteur qui accentuent le burn-out. A cela s’ajoutent les pressions qu’ils doivent supporter ». Présence continue sur les plateformes, compétition ou peur de ne pas répondre aux audiences… tous les chemins mènent à l’épuisement.