PROCESFaux espions, vrais escrocs… L’incroyable affaire Renault au tribunal

Affaire Renault : Un corbeau, de faux espions et de vrais escrocs… Une affaire rocambolesque devant le tribunal

PROCESEn 2011, trois cadres de Renault sont accusés d’avoir vendu des informations confidentielles à des entreprises chinoises. Un dossier monté de toutes pièces qui pourrait, en réalité, cacher une banale affaire d’escroquerie
L'affaire des faux espions Renault est jugé à partir de mercredi à Paris. Trois hommes, dont deux anciens salariés, comparaissent.
L'affaire des faux espions Renault est jugé à partir de mercredi à Paris. Trois hommes, dont deux anciens salariés, comparaissent. - ERIC PIERMONT / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Trois hommes sont jugés à partir de ce mercredi à Paris dans l’affaire des « faux espions » de Renault. Des accusations fantaisistes qui pourraient, en réalité, cacher une affaire d’escroquerie bien plus classique.
  • En 2011, trois cadres de l’entreprise avaient été accusés d’espionnage industriel sur la base d’informations fournies par une mystérieuse « source ». L’enquête avait finalement révélé qu’il s’agissait d’un coup monté.
  • Les enquêteurs soupçonnent Dominique Gevrey, membre de la direction de protection de Renault, d’avoir inventé ces accusations pour escroquer son employeur.

Comment est-ce possible qu’une affaire aussi rocambolesque n’ait pas encore fait l’objet d’une adaptation sur Netflix ou Canal + ? Peut-être parce qu’elle est, justement, si invraisemblable que les spectateurs risqueraient de trouver le scénario tiré par les cheveux. Imaginez un peu : trois cadres d’une grande entreprise française sont accusés d’avoir vendu des informations confidentielles à des entreprises chinoises, moyennant de coquettes sommes. Une affaire d’espionnage industriel classique ? Pas vraiment. En réalité, au fil des épisodes, on se rend compte que ces salariés sont en réalité les victimes d’un coup monté… et qu’ils ne sont pas les seuls. Par qui ont-ils été trompés, et pourquoi ? Les enquêteurs finissent par soupçonner les pratiques d’une autre direction de l’entreprise. Un employé est notamment dans le viseur, soupçonné d’avoir monté cette histoire pour détourner de l’argent.

Pas franchement crédible ? Et pourtant ! Cette histoire, c’est dans les grandes lignes celle de l’affaire Renault, qui a éclaté en 2011 et dont le procès s’ouvre ce mercredi. « Je finissais par désespérer de voir un jour cette affaire jugée, confie Me Alexandre Varaut, avocat de deux parties civiles. Je n’ai jamais vu de tels délais, c’est incompréhensible. Des dossiers bien plus longs ou complexes sont audiencés plus rapidement. » Treize ans après les faits – et quasiment sept ans après la fin de l’enquête – trois hommes comparaissent devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Le principal prévenu, Dominique Gevrey, un ancien militaire de 65 ans, est renvoyé pour « escroqueries » et « tentative d’escroqueries », ce dont il se défend.

Une enquête interne

Tout démarre au cœur de l’été 2010 lorsque plusieurs membres haut placés de l’entreprise reçoivent une lettre anonyme dénonçant l’acceptation de pots-de-vin par deux cadres de Renault. « Bien sûr, c’est de la délation mais je m’en moque, écrit le corbeau. Je ne supporte pas de voir des gens correctement payés voler de l’argent. » L’affaire est d’autant plus sensible que les deux salariés en question, Michel B. et Matthieu T. travaillent sur « LE » projet d’avenir de l’entreprise : la voiture électrique (souvenez-vous, on est en 2010). La direction de protection du groupe (DPG) de Renault se saisit immédiatement du dossier et une enquête interne est confiée à deux membres, Marc Tixador, un ancien policier, et Dominique Gevrey.

Grâce au concours d’une mystérieuse source, ils « découvrent » que les deux hommes visés par la missive, ainsi qu’un troisième cadre de l’entreprise, Bertrand R., disposent de comptes abondamment garnis à l’étranger. En Suisse et au Liechtenstein, précisément, deux pays connus pour leur opacité bancaire. Surtout, l’informateur – dont Dominique Gevrey est le seul contact – leur assure que les trois cadres ont reçu plusieurs virements en provenance de Chine et de Hong Kong.

L’histoire prend immédiatement une autre dimension : on passe de soupçons de détournements de fonds à celui d’espionnage industriel international. Début janvier 2011, une réunion se tient au siège de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, ex-DGSI), puis une autre est organisée avec un délégué interministériel à l’intelligence économique. Les trois employés ont beau nier, ils sont licenciés pour faute grave le 11 janvier 2011. Eux-mêmes portent plainte pour dénonciation calomnieuse. Deux jours plus tard, un signalement est fait auprès du procureur de la République de Paris par Renault.

De multiples incohérences

L’enquête s’annonce hors-norme. Pourtant, rapidement, la DCRI, en charge des investigations, relève de nombreuses incohérences dans le dossier monté par Marc Tixador et Dominique Gevrey. A commencer par l’existence de ces fameux comptes. Tant les autorités suisses que celles du Liechtenstein indiquent qu’ils n’ont jamais existé. Les sociétés chinoises d’où proviendrait l’argent ? Inconnues au bataillon. Des erreurs grossières apparaissent dans les soi-disant ordres de virement : les caractères du code BIC sont dans le désordre. De plus, l’enquête interne fait ressortir différents IBAN. Or, note un expert, ni la Chine ni Hong-Kong n’utilise ce système. Marc Tixador et Dominique Gevrey refusent de communiquer aux autorités leurs documents.

Quelques semaines après l’ouverture de l’enquête, cela ne fait aucun doute : les trois cadres ont été piégés. Renault le reconnaît et les indemnise dès le mois d’avril en échange de leur silence dans la presse. « Mon client a été traumatisé par cette affaire et il est encore très marqué, insiste Pierre-Olivier Sur, l’avocat d’un des trois cadres. Il ne veut même pas participer au procès. Instaurer cette distance, c’est une manière pour lui de se protéger. »

Mais qui est donc « la source » ?

Les investigations se poursuivent : il s’agit désormais de comprendre ce que cache ce coup monté. La DCRI tente d’identifier le corbeau, puis la fameuse « source ». Dominique Gevrey refuse de donner son nom, puis finit par évoquer un ami belge, dont l’enquête montrera qu’il n’a rien à voir avec cette affaire. En réalité, selon l’accusation, cette source n’a jamais existé. L’ancien militaire est soupçonné de l’avoir inventé pour soutirer de l’argent à Renault, car chaque information était facturée à Renault.

Surtout, au fil de leurs investigations, les enquêteurs découvrent d’autres affaires similaires. Début 2009, trois salariés de la filiale luxembourgeoise ont été licenciés ou poussés à la démission, accusés de détournement de fonds. La fameuse « source » assurait avoir trouvé des documents au Luxembourg en attestant. Fin 2009, c’est un directeur marketing qui est accusé de toucher des pots-de-vin. La « source », toujours la même, a trouvé de prétendus mouvements suspects sur ses comptes.

318.000 euros de fausses factures

Dominique Gevrey, tel un pompier pyromane, a-t-il inventé cette histoire pour soutirer de l’argent à son employeur ? Lui l’a toujours nié, affirmant qu’il avait seulement fait part de « doutes » à son employeur et qu’il ne s’agissait en rien de preuves. Les investigations ont toutefois mis en lumière qu’un système de fausses factures avait été mis en place. Elles servaient, selon le prévenu, à payer des informations. Un consultant en sécurité, mis en examen pour « complicité » et « faux », a reconnu avoir émis de fausses factures à la demande de l’ancien militaire et lui avoir remis des espèces ou fait des virements. Montant total : plus de 318.000 euros. Et encore : près de 200.000 euros avaient également été facturés, mais les sommes ont été bloquées par Renault. Marc Tixador, lui, sera jugé pour « complicité et recel de violation du secret professionnel ».