inclusionSolidaires et performants, la recette du succès des Cafés joyeux

Solidaires et performants, la recette du succès des Cafés joyeux

inclusionDepuis 2017, la famille de cafés-restaurants fondée par Yann et Lydwine Bucaille forme et emploie des équipiers en situation de handicap mental et cognitif. Julie Moreau, capitaine des opérations de Café joyeux, nous raconte son fonctionnement
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Les Cafés Joyeux (ici, sur les Champs Élysées en 2021) forment et emploient des serveurs et cuisiniers porteurs d'un handicap mental ou cognitif.
Les Cafés Joyeux (ici, sur les Champs Élysées en 2021) forment et emploient des serveurs et cuisiniers porteurs d'un handicap mental ou cognitif. - Eric Dessons/JDD/SIPA / Sipa
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L'essentiel

  • De l’accueil à la caisse en passant par la cuisine ou le service en salle, Café Joyeux forme et emploie des « équipiers joyeux » porteurs d’un handicap mental ou cognitif.
  • Plusieurs ouvertures d’établissements sont prévues en 2024, à Strasbourg, Angers et Marseille, notamment.
  • Une belle réussite pour cette entreprise fondée en 2017 qui compte 18 cafés-restaurants.

Les Cafés Joyeux ont le sourire. Après Nespresso, la chaîne de cafés-restaurants solidaires enchaîne les collaborations : le chocolatier Valrhona et les magasins Carrefour, où l’on pourra désormais trouver en rayon des produits marqués d’un grand smile sur fond jaune. Mais le cœur de métier de l’entreprise de Yann Bucaille reste la restauration. Ses cafés-restaurants solidaires forment et emploient des personnes en situation de handicap mental ou cognitif. Julie Moreau, capitaine des opérations, nous raconte leur fonctionnement.

Comment a germé l’idée des Cafés joyeux ?

Café Joyeux est né d’une rencontre, celle de Yann Bucaille, notre cofondateur, et de Théo, un jeune autiste de 20 ans. Yann aime beaucoup la voile et fait faire de la navigation à des personnes en souffrance, et ce jour-là Théo, qui était très content du tour en bateau, dit à Yann : « Capitaine, il paraît que t’es patron. Est-ce que tu aurais un métier pour moi ? » Yann n’était pas du tout préparé à cette question et lui a répondu qu’il n’avait pas de métier pour lui. Cela a complètement changé l’humeur de Théo, qui lui a dit : « Mais c’est pas juste ! Oui, je suis handicapé, mais j’ai envie de travailler, j’ai envie d’être utile ! » Bouleversé par cette rencontre, Yann en a parlé à sa femme, Lydwine, et c’est là qu’est née l’idée de Café joyeux. Ils ont voulu créer des cafés-restaurants parce que ce sont des endroits où on peut se rencontrer, boire un bon café, manger une bonne pâtisserie, et échanger. Après deux ans de travail et de réflexion est né le premier Café joyeux, qui a ouvert en 2017 à Rennes. En 2018, ils ont créé une gamme de café qui permet de générer du business pour ouvrir d’autres cafés-restaurants et employer de plus en plus de personnes en situation de handicap. Et aujourd’hui nous sommes à 18 cafés-restaurants. Et comme notre mission est l’inclusion des personnes en situation de handicap par le travail et la formation, nous sommes aussi centre de formation depuis 2020.

L’entreprise a un modèle d’affaires spécial et est financée par un fonds de dotation…

Ce qui rend le modèle de Café joyeux particulier, c’est que l’entreprise n’est pas détenue par des actionnaires ou par des personnes, mais par un fonds de dotation à but non lucratif, Émeraude solidaire, dont l’unique mission est celle de l’inclusion. Tous les bénéfices que peut faire Café joyeux sont réintégrés pour ouvrir d’autres cafés, ce qui fait qu’elle est 100 % solidaire. C’est du capitalisme solidaire. Notre recherche, c’est le bien-être des équipes et leur formation à un métier. Les performances économiques sont importantes, mais on mise surtout sur le progrès humain. Par exemple, un indicateur que l’on regarde est le taux de richesse humaine, qui est l’effectif de personnes en situation de handicap par rapport à l’effectif global. Le taux minimal légal en France est de 6 %. Chez nous, ce taux est à 61 %, et le but est qu’il soit toujours supérieur à 60 %. Au-delà de ça, Émeraude solidaire est habilitée à collecter des dons, qui permettent de soutenir la formation des équipiers et l’ouverture de nouveaux cafés. C’est un cercle vertueux.

Comment se déroule le recrutement des équipiers ?

Quand on ouvre un café, on reçoit beaucoup de demandes, parce qu’on a en France 700.000 personnes qui sont autistes et 65.000 porteuses de trisomie, et il n’y en a que 0,5. % qui travaillent en milieu ordinaire. On ne recrute pas sur un CV (c’est souvent leur premier emploi), mais sur une rencontre, sur leur motivation, leur envie de travailler et d’apprendre. Et puis surtout on va leur faire faire une immersion d’un mois dans un Café joyeux, pour voir s’ils se sentent bien, s’ils sont capables et s’ils vont s’épanouir chez nous. À l’issue de ce stage, si l’équipier ou l’équipière se sent bien et est motivé, on continue l’aventure.

La formation est une étape fondamentale de leur intégration : comment est-elle organisée ?

On propose à tous les équipiers de suivre une formation de deux ans qui permet d’avoir un diplôme d’agent de restauration. Il y a une partie théorique, avec quatre heures de cours par semaine donnés par des formatrices du CFA qui se font dans le café, et il y a un suivi assuré par les encadrants pour la partie pratique. On travaille beaucoup en relation avec le CFA pour qu’il connaisse tous les process qu’on met en place pour former les apprentis à nos bonnes pratiques. Soit les équipiers décident de faire cet apprentissage, soit ils ont parfois déjà une formation ou ils ne souhaitent pas passer le diplôme, et dans ce cas ils sont embauchés en CDI.

Comment adaptez-vous les conditions de travail pour qu’elles conviennent à des personnes en situation de handicap ?

On est une entreprise ordinaire, on ne veut pas non plus que ça soit trop adapté pour qu’ensuite ils puissent travailler dans d’autres restaurants, mais on adapte, bien entendu. On a une chargée de mission inclusion qui nous aide à mettre en place des outils pour rendre les équipiers autonomes. Elle nous aide à faire des choses assez visuelles : on met en place des logos de couleur pour repérer les commandes, on a aussi des petits pictogrammes pour les process d’ouverture compréhensibles par ceux qui ne savent pas lire. En cuisine, parce que la coordination n’est pas facile pour tous, on a des outils adaptés, avec des couteaux à bout rond par exemple. Et puis ils ont des contrats à temps partiel et plus de pauses que ne le prévoit la convention collective. On ne fait pas de coupure, et les horaires sont adaptés. Et c’est aussi valable pour les encadrants.

Quel impact observez-vous sur les équipiers, mais aussi sur les clients ?

C’est vrai que si les équipiers ne se sentent pas à l’aise ou sont très fatigués, ça va tout de suite se ressentir, parce que les émotions sont décuplées. S’ils se sentent bien, ils le montrent, ils le disent et ça se voit. Et ils sont joyeux ! Bien sûr, il y a des jours où c’est plus compliqué, mais les conditions dans lesquelles ils travaillent font qu’ils se sentent bien. La plupart de nos convives connaissent le concept. Il y a des gens qui vont repartir très émus, qui vont aller voir nos encadrants la larme à l’œil en disant qu’ils ont passé un moment incroyable. On a aussi des convives qui tombent sur nous par hasard et qui sont surpris dans le bon sens. On voit dans leurs yeux la joie que le service ou nos produits peuvent leur apporter, et c’est très plaisant.

Les équipiers volent-ils ensuite de leurs propres ailes dans d’autres organisations ?

Si un équipier a envie de rester chez nous on sera bien sûr ravis de le garder, mais le but c’est qu’il puisse aussi aller travailler ailleurs. Ça a été le cas d’une équipière qui travaille maintenant chez Lecointre, le restaurant du siège de Dior, et qui en est très heureuse. Je pense aussi à un équipier qui est très doué en cuisine et qui rêve un jour de travailler dans un étoilé. Eh bien on l’accompagnera pour qu’il puisse le faire. Le faire évoluer dans sa vie professionnelle, c’est précieux pour nous.

La RSE touche l’ensemble des parties prenantes : qu’en est-il des questions d’inclusion dans votre écosystème ?

Le prestataire logistique de notre cuisine centrale emploie des coursiers en situation de réinsertion. Notre torréfacteur emploie des personnes en situation de handicap, tout comme notre prestataire logistique pour notre gamme de café. Donc on fait attention à nos partenaires pour travailler dans un écosystème qui partage nos valeurs. C’est important pour nous.

Quels sont les objectifs de Café joyeux pour les années à venir ?

L’entreprise a connu un développement assez rapide, surtout sur les deux dernières années, et il est prévu de continuer cette année avec l’ouverture d’autres cafés, notamment à Strasbourg, Angers et Marseille. On peut se permettre de se développer parce que l’entreprise sera à l’équilibre en 2024 : le modèle fonctionne et on va pouvoir continuer à embaucher de plus en plus d’équipiers, et c’est notre but. On a un objectif de plus de 20 cafés assez vite, voire 25-30 d’ici à cinq ans. On sait qu’on est attendus dans certaines villes, et on a même déjà des candidats !

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Cet article est réalisé par People At Work et hébergé par 20 Minutes.