INTERVIEW« J’avançais vers la mort », confie un arbitre agressé à Cergy-Pontoise

Agression d’un arbitre : « J’avançais vers la mort », confie Julien Oliveira, après un simple match de foot amateur

INTERVIEWArbitre d’une rencontre de Régional 1 entre Cergy-Pontoise et Paris 13 Atletico, dimanche dans le Val-d’Oise, Julien Oliveira (24 ans) a été agressé au visage par un spectateur et menacé de mort à plusieurs reprises. Il se confie à « 20 Minutes »
Julien Oliveira s'est photographié dans le vestiaire après le match Cergy-Paris 13 Atletico dimanche.
Julien Oliveira s'est photographié dans le vestiaire après le match Cergy-Paris 13 Atletico dimanche. - Julien Oliveira / Julien Oliveira
Jérémy Laugier

Propos recueillis par Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Victime d’une agression de la part d’un spectateur, dimanche à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), un arbitre de football amateur a quitté la pelouse le visage en sang.
  • Julien Oliveira évoque ce nouvel épisode de violence pour 20 Minutes. « Je suis convaincu qu’il y aura un drame un jour », confie ce jeune arbitre de 24 ans.

Arbitre de football depuis 2014, Julien Oliveira a porté plainte pour la première fois de sa vie, dimanche après un match amateur en région parisienne. Cet assistant sponsoring de 24 ans a en effet quitté la pelouse de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) le visage en sang, après avoir été agressé par un spectateur cagoulé tenant une perche à selfie. Le dénouement de ce match de Régional 1 entre Cergy-Pontoise et Paris 13 Atletico (0-1), marqué par des insultes, menaces de mort, crachats et coups à son encontre, illustre une nouvelle fois l’insécurité vécue par les arbitres. « Je suis convaincu qu’il y aura un drame un jour », confie Julien Oliveira à 20 Minutes.

Comment vous sentez-vous, trois jours après votre agression ?

Physiquement, ça ne va pas trop mal. Mon hématome a dégonflé et ma blessure (qui a entraîné une ITT inférieure à huit jours) reste superficielle. Mais j’ai encore la boule au ventre en repensant à mon agression. J’ai posé un jour de congé lundi pour rédiger mon rapport d’après-match. Je me sens épuisé mentalement.

A quel point étiez-vous confronté à la violence jusque-là, durant vos dix années en tant qu’arbitre dans le monde du football amateur ?

Globalement, je me suis habitué comme chaque arbitre aux violences verbales qui viennent des tribunes. Sur le terrain, je suis en moyenne insulté une à deux fois par an par des joueurs ou des entraîneurs. J’ai déjà été bousculé par un adjoint du staff technique de Quevilly, il y a cinq ans, lors d’un match Quevilly-Amiens en U19 nationaux.

Mais c’était donc très loin du niveau d’insécurité que vous avez ressenti dimanche à Cergy-Pontoise ?

Effectivement, tout a vraiment commencé à la 68e minute de jeu, lorsque j’ai demandé au gardien de but de Cergy de rejouer un six mètres car le ballon n’était pas au bon endroit. Je lui ai mis un premier carton jaune car il me faisait de grands gestes en disant qu’il s’en « battait les couilles ». Puis je l’ai rappelé à l'ordre, mais ça ne l'a pas empêché de dire à son coéquipier juste après : « Il casse les couilles pour rien, il n’aura pas les couilles de revenir ». Je l'ai donc expulsé mais il refusait de sortir. Il m’a bousculé avec son bras et après quelques minutes de confusion, il est revenu vers moi, cette fois pour en découdre physiquement. Il a repoussé ses coéquipiers et il m’a dit : « Je vais te tuer après le match ». A ce moment-là, j’ai entendu à une vingtaine de reprises des gens répéter dans la tribune « L’arbitre, t’es mort ».

A quel point la situation était-elle tendue au coup de sifflet final, après le but de Paris 13 Atletico au bout de onze minutes de temps additionnel (0-1) ?

Un deuxième joueur de Cergy venait d’être exclu pour un tirage de maillot (90e+7), puis j’ai expulsé un autre joueur, un adjoint et l’entraîneur de Cergy qui me reprochaient mon « arbitrage de merde ». Mais la plupart des joueurs rentraient aux vestiaires et acceptaient la défaite. A ce moment-là, l’un de mes deux assistants a commencé à avoir peur car les personnes qui nous insultaient pendant le match sont descendues pour nous attendre près du tunnel menant aux vestiaires. Dans le même temps, un délégué nous a invectivés à son tour et un homme se présentant comme le vice-président de Cergy m’a dit : « M. l’arbitre, on ne peut pas vous assurer quant à ce qui va vous arriver après le match, ce n’est pas notre responsabilité ». C’était selon moi une menace et on sentait cette situation d’insécurité. Il fallait qu’on aille vite s’enfermer dans notre vestiaire.

Julien Oliveira s'est photographié dans le vestiaire après le match Cergy-Paris 13 Atletico dimanche.
Julien Oliveira s'est photographié dans le vestiaire après le match Cergy-Paris 13 Atletico dimanche. - Julien Oliveira

Que s’est-il alors exactement passé ?

Dans un premier temps, je me suis fait arroser par des bouteilles que des spectateurs renversaient. Puis je me suis fait cracher dessus et j’ai reçu des bouteilles d’eau vides. J’étais déjà consterné par tout ça, et j’ai vu qu’on avait face à nous des hommes cagoulés. Dans mon esprit, il fallait vite que j’appelle la police pour ma sécurité. Et c’est là que j’ai reçu un coup de perche à selfie au visage. J’ai eu mal et je me suis agenouillé une fois dans le couloir. Après m’être enfermé dans le vestiaire, j’ai constaté que le sang coulait sur mon crâne. Les pompiers m’ont ensuite pris en charge et j’ai eu la chance de ne pas avoir besoin de points de suture. A l’arrivée des policiers, les agresseurs étaient déjà partis donc il n’y a pas eu d’interpellations. Ils m’ont escorté jusqu’à ma voiture et je suis allé déposer plainte dans la foulée au commissariat de police de Cergy.

Avez-vous reçu des messages de soutien depuis dimanche ?

Oui, beaucoup d’arbitres de la Ligue Ile-de-France m’appellent et me confient qu’ils ont parfois la boule au ventre en découvrant leur désignation de club du week-end. Le sentiment d’insécurité et de peur est partagé par beaucoup d’entre nous. Des incidents arrivent tous les week-ends et rien ne change. Si je n’avais pas reçu de coup, mais « seulement » des menaces de mort, on n’en parlerait pas du tout aujourd’hui.

Vous imaginez-vous déjà retrouver les terrains pour arbitrer un match amateur ?

Dans le vestiaire dimanche, je me suis immédiatement dit que j’en avais marre et que j’arrêtais là. Mais arrêter reviendrait à donner raison à ces personnes qui veulent nous dégoûter de notre passion. Après, je comprends ma copine qui me demande pourquoi je veux continuer d’arbitrer. C’est vrai que je suis parti pour un match de foot en début d’aprem et je suis revenu tard le soir, le visage ensanglanté. Mes parents seront désormais inquiets à chaque fois que j’irai arbitrer un match. Je vais donc revenir progressivement, pas dans les deux prochaines semaines en tout cas.

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Comment avez-vous réagi en découvrant que la vidéo de votre agression circulait dimanche soir sur les réseaux sociaux ?

J’ai d’abord vu là-dedans de la bêtise humaine car on entend le spectateur qui filme rigoler. Et puis on voit qu’en me dirigeant vers le tunnel, j’avançais vers la mort. Cette expression peut paraître exagérée mais pour moi, les gens qui nous attendaient au bord du terrain étaient prêts à tout. En tout cas, ces images m’aident à appuyer mon rapport d’après-match, et sont une nouvelle preuve de la violence qui existe dans le football amateur.

Avec trois jours de recul, comprenez-vous comment ce match de R1 a pu basculer dans un climat aussi hostile à votre encontre ?

Le football est un sport très passionnel et je comprends ça. Mais les gens doivent redescendre sur terre : il n’y a aucun enjeu financier à ce niveau amateur, l’enjeu sportif est encore minime à ce moment-là de la saison, donc comment peut-on en arriver à une telle violence verbale et physique ? Je suis convaincu qu’il y aura un drame un jour, qu’un arbitre sera agressé non pas avec une perche à selfie mais avec un couteau. Tout va tellement vite : à la mi-temps, ça se passait bien et je ne m’imaginais pas un instant pouvoir sortir de cette rencontre avec le visage ensanglanté. Quand on voit que même un arbitre professionnel en Turquie n’est pas protégé sur le terrain, comment pourra-t-on l’être un jour dans le monde amateur ?

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