« c'est pas automatique »Les Français gobent trop de médicaments par « manque d’éducation médicale »

Les Français consomment trop de médicaments par « manque d’éducation médicale »

« c'est pas automatique »On connaissait le cliché du français râleur, arrogant et bruyant, mais serait-il en plus hypocondriaque ? Selon l’OCDE, la France est le septième pays où la dépense de médicament par habitant est la plus élevée
Encore un petit comprimé supplémentaire, Pascal, histoire d'assurer à la France le statut de championne du monde de la consommation des médicaments ? (Illustration)
Encore un petit comprimé supplémentaire, Pascal, histoire d'assurer à la France le statut de championne du monde de la consommation des médicaments ? (Illustration) - Getty Image, Canva / Getty Image, Canva
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • C’est une problématique soulevée depuis des années, et malgré les spots de publicités entêtants, rien ne change. La France consomme toujours beaucoup, beaucoup de médicaments.
  • Mais difficile de trouver un remède à administrer quand le mal est justement de consommer trop de remèdes.
  • La proposition d’Emmanuel Macron de doubler le prix de la franchise – une « bonne mesure » de responsabilisation – est-elle une bonne idée dans ce contexte de surconsommation ?

«Les antibiotiques, c’est pas automatique ». Impossible d’avoir regardé la télévision en France dans les années 2000 sans tomber sur cette publicité incessante entre deux coups de zappette. Le souci, c’est que vingt ans plus tard, il n’y a pas que le slogan entêtant qui est resté. La problématique soulevée par la publicité, elle non plus, n’a pas disparu. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en 2021, les enfants français consommaient cinq fois plus d’antibiotiques que les marmots norvégiens. Pas automatique, vraiment ? « Il n’y a pas de surincidence des pathologies en France que sont censés combattre les antibiotiques. On peut donc estimer qu’il y a surconsommation », déclare Clémence Marque, docteure en pharmacie.

Qu’importent les publicités donc, le pays semble toujours avoir la main particulièrement lourde au moment de prendre des comprimés. Un Français sur cinq prend des doses plus fortes que celles prescrites ou mélange plusieurs médicaments en même temps, selon une étude de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), toujours en 2021.

Manque de temps médical

« La consommation médicamenteuse en France est, dans la majorité des cas, justifiée », rappelle Mahmoud Zureik, épidémiologiste et docteur en santé publique. « Mais il y a une surconsommation de certains types de médicaments. » En 2015, des IPP (inhibiteurs de la pompe à protons, pour lutter contre les reflux gastriques) ont été prescrits à 16 millions de Français - soit un quart de la population du pays. Plus de la moitié des usages ne serait pas justifiée, selon la Haute Autorité de santé.

Alors, pourquoi le pays est-il si friand de médicaments ? « La France manque de temps médical, rajoute Clémence Marque. Le nombre de médecins par rapport à la population diminue, et ces derniers sont de plus en plus occupés. Du coup, la prescription de médicaments – par rapport au fait de suivre un patient au long cours, avec de la prévention notamment – apparaît comme la solution la plus rapide et la plus facile. »

« Les médicaments et la chimie en général ont une très bonne réputation et une bonne image en France », explique Mahmoud Zureik. Une chose évidemment positive dans l’ensemble, mais avec un léger revers de la médaille. « Les Français abordent donc les médicaments sans appréhension ou crainte de surconsommation. »

Des conséquences néfastes

Mathieu, Parisien de 32 ans, plaide coupable : « Je ne réfléchis jamais en prenant un médicament. Je me dis que c’est quelque chose d’éminemment positif pour ma santé. C’est difficile de se dire qu’on se “drogue” en prenant du paracétamol. » Le blockbuster des pharmacies - 400 millions de boîtes écoulées chaque année, soit environ six par personne - illustre bien le problème pour Mahmoud Zureik. « C’est très efficace, les Français ont une proximité avec ce médicament, donc le prennent plus souvent qu’il ne faudrait et sans se soucier de certains effets indésirables de ce médicament. »

Là encore, Mathieu se retrouve sur le banc des accusés : « Au moindre mal de tête, j’en prends un. Pourquoi je devrais souffrir s’il y a un moyen sans risque de passer la douleur ? » « Sans risque », c’est vite dit. Une surconsommation de paracétamol peut entraîner des dégâts irréversibles au foie. Au-delà des complications médicamenteuses, « une trop forte utilisation de médicaments, par exemple les antibiotiques, entraîne une résistance de la part des pathologies », poursuit Clémence Marque.

Mal consommation plus que surconsommation

A l’inverse, les Français se sous-médicamentent dans d’autres secteurs, notamment des traitements pour aider le trouble de l’attention chez les enfants, beaucoup moins utilisés. Contrairement à une idée reçue, la France est loin d’être la championne du monde des antidépresseurs, et se trouve en réalité dans la moyenne de l’OCDE (5,5 consommations pour 100 habitants en 2020, contre 15,3 en Islande, 12,2 au Canada ou 10,5 en Suède). « Et si certaines personnes prennent des antidépresseurs alors qu’elles ne devraient pas, il y a aussi le phénomène inverse, note Mahmoud Zureik. Des personnes qui n’en consomment pas alors qu’elles devraient. » Clémence Marque développe : « Une prise de médicament montre avant tout un besoin. » Par exemple, la prise de psychotropes a explosé ces dernières années en France chez les enfants. « Mais plus qu’une surconsommation, cela montre la dégradation de la santé mentale chez les mineurs en France, notamment avec le Covid, et le manque de moyens dans des solutions au long cours, comme la psychiatrie. »

Dans son interview fleuve, Emmanuel Macron a fait part de sa volonté de doubler le prix des franchises des médicaments, en passant de 50 centimes à 1 euro. « Je pense que ça responsabilise et que c’est une bonne mesure », a-t-il estimé lors de sa grande conf de presse de mardi. Conséquence concrète de cette hausse : les patients seraient un peu moins remboursés (une boîte de médicament de 10 euros serait remboursée 5,50 euros au lieu de 6). Une manière « d’autoréguler » une trop forte consommation ? « C’est une mesure stupide, s’indigne Ivan Sébla, médecin dans les Yvelines. Si les patients consomment trop certains comprimés, c’est par manque d’éducation médicale, pas parce que ce n’est pas cher. Tout ce qu’on fait en augmentant la franchise, c’est une inégalité de traitement plus grande entre les riches et les pauvres. »

Pour Clémence Marque, « les médicaments étant majoritairement remboursés, le prix est loin d’être un critère sélectif pour la majorité des Français. » Décidément souvent victime de migraines, Mathieu confirme : « Je n’achète pas du doliprane parce que ce n’est pas cher, mais parce que j’ai mal à la tête. Ça pourrait coûter cinq euros de plus la boîte, si j’avais trop mal au crâne, j’en prendrais. » Aux grands maux les grandes dépenses.