PORTRAITL’ascension désormais contrariée de « l’ultra-exigeante » Oudéa-Castéra

Du tennis à la politique, l’ascension désormais contrariée de « l’ultra-exigeante » Amélie Oudéa-Castéra

PORTRAITAu cœur de la polémique sur l’école Stanislas, la nouvelle ministre de l’Education a déjà traversé une tempête médiatique en mai 2022, après le fiasco de la finale de la Ligue des champions au Stade de France. « 20 Minutes » retrace son parcours
Amélie Oudéa-Castéra a changé de vie le 11 janvier, en se voyant propulsée à la tête d'un super ministère comprenant désormais l'Education nationale et la Jeunesse, en plus des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques.
Amélie Oudéa-Castéra a changé de vie le 11 janvier, en se voyant propulsée à la tête d'un super ministère comprenant désormais l'Education nationale et la Jeunesse, en plus des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. - Chang Martin/SIPA / SIPA
Jérémy LaugierAymeric Le Gall

Jérémy Laugier, Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Tout juste propulsée à la tête d’un super ministère comprenant l’Education nationale, la Jeunesse, les Sports et les Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra est actuellement dans un raz-de-marée médiatique en raison de l’affaire de l’école Stanislas.
  • La ministre de 45 ans a déjà vécu un départ en fanfare en mai 2022, puisque sa nomination aux Sports a coïncidé avec l’immense fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions de football au Stade de France.
  • 20 Minutes dresse le portrait de cette ancienne sportive de haut niveau, qui n’a pas hésité à précipiter la chute de Noël Le Graët et de Bernard Laporte à la tête des fédérations françaises de football et de rugby.

Qu’ils l’admirent ou la dénigrent, tous les gens qui ont un jour croisé la route d’Amélie Oudéa-Castéra s’accordent sur un point : la nouvelle ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques est de la trempe des combattantes. Ça tombe bien, il lui faudra au moins ça pour sortir du bourbier dans lequel elle s’est empêtrée toute seule après sa prise de parole polémique au sujet de la scolarisation de ses enfants dans la très controversée école privée Stanislas (6e arrondissement de Paris). En quelques mots, prononcés d’une voix très calme (sa marque de fabrique), la ministre du nouveau gouvernement Attal s’est mis les puissants syndicats de l’EN et toute l’opposition à dos, en réussissant l’exploit de rendre la nomination de Rachida Dati à la Culture quasiment anecdotique.

« Elle va s’en sortir parce qu’elle a été vivement soutenue par le président de la République et que jusque-là, elle avait quasiment effectué un sans-faute en politique, relate Gaspard Gantzer, ancien chef de la communication du président François Hollande. Elle a eu raison de s’excuser, même si elle a un peu tardé à le faire. Après tout, même Emmanuel Macron avait fait très fort après sa nomination à l’Economie en 2014, avec l’histoire des illettrées de l’abattoir Gad qui était un énorme loupé. »

Il faut dire que, question départ en fanfare, Amélie Oudéa-Castéra (45 ans) touche un peu sa bille, elle qui avait été lancée dans le grand bain gouvernemental huit jours seulement avant le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions au Stade de France, le 28 mai 2022.

« Un sacré baptême du feu qui lui a servi pour la suite »

« C’est vrai qu’elle a des entrées en matière assez musclées, sourit Thomas Remoleur, qui a participé à la nomination d’AOC à la tête de l’association Rénovons le sport français en 2018. Après, le Stade de France, c’est différent, concrètement elle n’y était pour rien. Ça lui est tombé dessus, même si elle a pu avoir quelques propos malheureux. Mais comme elle apprend vite, je pense que l’on ne l’y reprendra plus. »

AOC avait surtout eu le tort de confirmer les accusations mensongères du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à propos des « 30.000 à 40.000 » supporteurs de Liverpool venus aux abords du stade munis de faux billets. « Elle se retrouve du jour au lendemain bombardée à côté du ministre de l’Intérieur, un poids lourd politique et numéro 2 du gouvernement. Quand il te dit "tu dis ça", ben tu dis ça… C’est un sacré baptême du feu qui lui a servi pour la suite », veut croire un de ses proches en off.

« Même si Darmanin et l’UEFA étaient encore plus critiqués qu’elle à ce moment-là à Liverpool, elle a déclenché une énorme colère, raconte le journaliste britannique John Lichfield, qui l’a comparée l’an passé à Marie-Antoinette sur le site Politico. Elle a tenté de se rattraper en proposant au club d’inviter des supporteurs des Reds pour un match de l’équipe d’Angleterre de rugby durant la Coupe du monde en France. Mais ça n’a fait qu’empirer son image car c’est typiquement l’erreur majeure de quelqu’un qui n’a pas pris la peine de s’intéresser culturellement à Liverpool. On n’y vit que pour le football, et il y a une opposition très marquée au rugby là-bas. »

A l'occasion du 8e de finale de la Ligue des champions Liverpool-Real Madrid, en février 2023, le public d'Anfield a taclé Amélie Oudéa-Castéra et Gérald Darmanin, qualifiés de « menteurs » pour leurs déclarations après le gros couac du Stade de France neuf mois plus tôt.
A l'occasion du 8e de finale de la Ligue des champions Liverpool-Real Madrid, en février 2023, le public d'Anfield a taclé Amélie Oudéa-Castéra et Gérald Darmanin, qualifiés de « menteurs » pour leurs déclarations après le gros couac du Stade de France neuf mois plus tôt. - Javier Garcia/Shutterstock/SIPA

« Elle a envoyé un signal à toutes les fédés »

Pour le reste, Amélie Oudéa-Castéra a plutôt bien manœuvré ses premiers pas dans le monde politique, depuis sa prise de fonction à la suite du départ de Roxana Maracineanu en mai 2022. Membre du comité exécutif de la Fédération française de football, Eric Borghini a rencontré pour la première fois la ministre le 15 septembre 2023, lorsqu’elle s’est rendue dans le quartier de Malpassé-Corot, dans le 13e arrondissement de Marseille.

« Elle n’était pas venue pour faire le buzz en montrant qu’elle n’avait pas peur de se rendre au pied d’immeubles des quartiers nord, explique-t-il. Non, elle était là en toute discrétion, sans média autour, pour rendre hommage aux actions sociales du club du FC Malpassé. Elle a montré à quel point elle était accessible. Et puis c’est une vraie pro : elle connaissait parfaitement tous ses dossiers. » Et particulièrement ceux de la FFF et de la FFR, qui ont occupé une bonne partie de ses premiers mois de mandat au ministère des Sports, quand les deux présidents se sont retrouvés au cœur de scandales divers et variés qui finiront par leur coûter leur place.

« C’est une femme d’action, qui a été déterminante pour évincer Noël Le Graët et Bernard Laporte, poursuit Eric Borghini. Elle n’a pas hésité à s’attaquer aux présidents des deux plus importantes fédérations sportives, notamment en déclenchant un audit à la FFF. Elle a ainsi envoyé un signal à toutes les fédés. » »

Les deux éléphants se pensaient aussi indétrônables que tout-puissants, laissant entendre çà et là que des ministres des Sports, ils en avaient vu passer une sacrée palanquée et que ce n’est pas la petite dernière qui allait les perturber. AOC n’a cependant pas flanché. Députée Renaissance, Céline Calvez commente : « Elle a géré ça de manière super courageuse. Les fédés vivent en cercles fermés et je trouve que ce milieu est peut-être le plus violent que j’ai pu connaître dans la politique en général. Malgré ça, elle s’est dit : "C’est dur, je vais m’en prendre plein la tête, mais j’y vais". C’est une compétitrice. Ça prouve aussi son courage. La pression a pourtant dû être très forte. »

Amélie Oudéa-Castéra, ici lors d'une visite à Marseille, le 15 septembre dernier aux côtés d'Eric Borghini.
Amélie Oudéa-Castéra, ici lors d'une visite à Marseille, le 15 septembre dernier aux côtés d'Eric Borghini.  - LOUAI BARAKAT/SIPA

« Une énorme bosseuse avec un management assez dur »

Si elle sait gérer la pression, elle, l’ancienne joueuse de tennis de haut niveau (championne de France en moins de 14 ans et en moins de 16 ans) devenue énarque, la ministre ne s’interdit pas non plus de la mettre sur ceux qui travaillent à ses côtés. « Sa grande qualité, c’est de maîtriser ses dossiers sur le bout des doigts, nous confie une ancienne collaboratrice du temps où AOC était directrice générale de la Fédération française de tennis (2021-2022). Mais elle est aussi ultra-exigeante et elle le fait savoir. »

« Le maître mot, c’est la détermination, détaille Thomas Remoleur. Avec elle, si on sort un document, il faut qu’il soit impeccable, inattaquable et le plus juste possible. Elle a passé des jours et des nuits à rédiger notre rapport sur la gouvernance dans le sport français. Un rapport qui, normalement, dans une association de cette envergure, aurait pu être bouclé en cinq jours. Avec elle, ça en a pris cinquante. Elle nous a tous tirés vers le haut. Après, il faut la suivre, il faut être en capacité de supporter ce type de personnalité. »

Cela n’a pas été le cas de tous les employés de la FFT, après sa nomination au poste de DG (avec un colossal salaire de 500.000 euros annuels bruts à la clé) consécutive à l’élection de Gilles Moretton en tant que président. Lequel Moretton avait effectué un grand ménage de printemps, avec pas moins de 112 départs plus ou moins forcés (selon une enquête de Mediapart). Ceux-ci ont été menés en partie par AOC, qui était la gestionnaire de la fédé au quotidien, le président étant surtout en déplacement dans un rôle de représentation.

« Elle a été prise pour faire un peu le ménage, c’était son rôle, on le savait, confie une salariée fédérale tenant à rester anonyme. C’est une énorme bosseuse avec un management assez dur, qui peut être un peu violent. Elle travaille ses sujets à fond, elle a sa vision des choses et elle n’est pas forcément ouverte à la discussion. Elle peut avoir un discours assez infantilisant et j’ai vu des gens pleurer devant elle. Lors d’une réunion, je l’ai entendue dire : "Même des enfants de CP pourraient comprendre le problème". C’est toujours agréable, ce type de remarques cinglantes… » »

Elle avait candidaté au ministère des Sports dès 2017 auprès de Macron

Une autre de ses anciennes collaboratrices à la FFT, qui préfère également parler en off, est bien plus mesurée concernant son passage à la fédération. « Je n’ai pas observé de départs en masse liés à son arrivée, assure-t-elle. Dans son fonctionnement, elle partage une saine exigence avec ses équipes. Elle est tellement travailleuse et elle comprend si vite tous les enjeux sportifs que ça ne m’a pas étonnée de la voir être choisie ensuite pour un poste de ministre, avec en ligne de mire l’échéance des JO de Paris 2024. »

Pendant un an, de mars 2021 à mai 2022, Amélie Oudéa-Castéra a travaillé avec le président de la FFT Gilles Moretton ainsi qu'avec Amélie Mauresmo, la directrice du tournoi de Roland-Garros.
Pendant un an, de mars 2021 à mai 2022, Amélie Oudéa-Castéra a travaillé avec le président de la FFT Gilles Moretton ainsi qu'avec Amélie Mauresmo, la directrice du tournoi de Roland-Garros. - CHRISTOPHE SAIDI/SIPA

Un poste qu’elle convoitait de longue date, elle qui avait, sans expérience politique mais non sans audace, déjà fait acte de candidature pour le ministère des Sports auprès d’Emmanuel Macron en 2017. Si son profil n’avait pas été retenu à l’époque par le président, ce n’était qu’une question de temps. Consciente de son déficit de notoriété, et fidèle à sa manière de fonctionner, AOC s’est bâti un plan de route fléché. Après avoir échoué à prendre la tête de la direction générale du comité d’organisation des JO de Paris 2024, AOC prend donc en main l’association Rénovons le sport français, cofondée par Thomas Remoleur.

« Dans trois ans, plus personne ne parlera d’elle »

« L’association a pris de l’ampleur petit à petit et a gagné en reconnaissance dans le milieu du sport français, ça lui a donné une visibilité et une tribune pour s’exprimer et porter des projets, note celui-ci. Elle était régulièrement interviewée dans les médias. Les fédérations et le ministère pouvaient lui demander son avis sur tel ou tel sujet. Ça a été le début de sa carrière dans le sport institutionnel français. » Idem à la FFT où, en interne, « on savait que son passage était un poste tremplin pour le ministère des Sports ».

NOTRE DOSSIER SUR AMELIE OUDEA-CASTERA

D’habitude si peu convoité, servant surtout à placer d’anciens athlètes de haut niveau sans réelles connaissances des arcanes politiques, le ministère des Sports est aujourd’hui entre les mains de quelqu’un qui ne veut pas le quitter de sitôt. N’en déplaise à Bernard Laporte, qui ironisait le 11 janvier lors d’une rencontre avec les lecteurs du Midi Libre : « J’étais avant elle à ce poste. Dans trois ans, plus personne ne parlera d’elle. » Quelques heures plus tard, AOC se retrouvait propulsée à la tête de ce super ministère dont on parle tant depuis neuf jours.

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