INTERVIEW« Trois hommes ont agressé sexuellement mon avatar », raconte une victime

Viol dans le métavers : « Trois hommes ont agressé sexuellement mon avatar », raconte une victime

INTERVIEWLa police britannique a ouvert une enquête après le viol virtuel d’une adolescente. Une autre victime, Nina Jane Patel, spécialiste du métavers, revient sur son agression sexuelle dans le métavers
Une femme portant un casque de réalité virtuelle. Montage.
Une femme portant un casque de réalité virtuelle. Montage. - NoName_13 / PIXABAY / PIXABAY
Laure Beaudonnet

Propos recueillis par Laure Beaudonnet

Des femmes n’oseront bientôt plus mettre un casque de réalité virtuelle de peur d’être chahutées dans les mondes immersifs. A croire qu’un avatar féminin a autant de risque de faire une mauvaise rencontre qu’une femme seule dans les ruelles de la capitale à 3 heures du matin. Selon le Dailymail début janvier, une mineure de moins de 16 ans a été agressée sexuellement par plusieurs joueurs dans un jeu vidéo immersif. Selon la police, qui a ouvert une enquête, la victime a subi des traumatismes psychologiques comparables à un viol dans la réalité.

« Cette jeune fille, malheureusement, ne sera pas la dernière à vivre une agression dans le métavers », déplore l’entrepreneuse Nina Jane Patel, qui travaille comme consultante sur les menaces des univers virtuels pour les enfants avec deux universités londoniennes (Middlesex et East London). Elle a elle-même été victime d’une agression sexuelle en 2022 alors qu’elle testait la mise à jour d’Horizon Worlds de Meta. Elle revient pour 20 Minutes sur les travers des mondes virtuels et sur son agression.

En quoi le métavers représente une menace pour les jeunes ?

Aucun des enfants que nous avons consultés pendant nos recherches ne considèrent le métavers comme un lieu sûr. Ils ont tous été exposés à des contenus violents. Ils craignent la désinhibition en ligne, c’est-à-dire la tendance des individus à ne pas se sentir responsables de leurs actions. Certaines personnes se cachent derrière leur anonymat et se sentent plus à l’aise pour agir de façon répréhensible. Tous les enfants que nous avons interrogés, quel que soit leur âge, ont été victimes ou témoins de racisme, homophobie, harcèlement sexuel dans le métavers.

L’agression sexuelle dont vous avez été victime a-t-elle eu lieu pendant cette étude ?

En parallèle à cette étude avec les enfants, je travaille depuis 2020 sur les implications physiologiques de la réalité virtuelle. On mesure les mouvements des yeux, le rythme cardiaque et la réponse galvanique de la peau (GSR), c’est-à-dire la réponse physiologique aux stimuli externes et internes, dans la réalité virtuelle. C’était le sujet de mon étude lorsque j’ai subi une agression sexuelle dans le métavers.

Pouvez-vous expliquer comment cela s’est passé ?

Horizon Venues de Meta venait d’être lancé au Royaume Uni. Comme beaucoup de gens, j’étais enthousiaste. J’ai passé pas mal de temps dans l’espace privé à créer mon avatar. J’ai sélectionné les différentes options dans la bibliothèque : couleurs, forme du visage, habits. Quand vous vous regardez dans le miroir, votre avatar reproduit vos gestes à l’identique. C’est ce qu’on appelle l’incarnation [embodiment, en anglais], le cerveau commence à prendre votre corps virtuel pour votre vrai corps. De nombreux travaux de recherches s’intéressent au sentiment d’incarnation et à son étendue. C’est ce qui permet de rendre le métavers convaincant. Non seulement il reproduit votre gestuelle, mais les technologies de reconnaissance faciale savent quand vous souriez ou clignez des yeux. Ces expressions faciales apparaissent également quand vous vous regardez dans le miroir. L’incarnation crée un sentiment d’authenticité. C’est aussi très attirant.

Comment l’agression s’est-elle produite ?

J’ai terminé mon avatar. A l’époque, j’étais une mère de quatre enfants de 43 ans, c’est donc ce à quoi je ressemblais dans le métavers. Je suis entrée dans le hall d’entrée qui est un environnement virtuel partagé. Quelques minutes après mon arrivée, trois avatars d’hommes viennent à ma rencontre et m’agressent verbalement, avec un ton très misogyne, avant de s’attaquer à moi physiquement. Ils ont approché leur visage très près du mien, en disant : « qu’est-ce que tu fais ici ? » Très violemment. « Pourquoi es-tu venue » ? Ça a très vite dégénéré avec des propos sexuels que je ne répéterais pas. Ils ont commencé à toucher mon avatar d’une façon inappropriée que l’on pourrait assimiler à une agression sexuelle.

Peut-on se toucher dans le métavers ?

A cette époque, les bulles personnelles pour éviter le harcèlement n’étaient pas encore déployées. Vous pouvez saluer quelqu’un en lui tapant la main, faire un check et même une étreinte. Quand vous tapez dans la main, vous entendez le son dans le monde virtuel. Grâce à de nombreuses fonctionnalités, toucher une autre personne est amusant. Mais ces individus ont décidé de les utiliser de façon malveillante. Je suis certaine que je ne suis pas la seule à avoir subi une agression ce jour-là. Ils étaient très agressifs et très efficaces.

Comment les avez-vous arrêtés ?

Quand j’ai retiré mon casque, je pouvais encore entendre leurs voix. Je me suis déconnectée. Ils m’ont poursuivie et refusaient d’arrêter alors même que je leur ai demandé de nombreuses fois d’arrêter. J’ai fini par déconnecter mon casque.

Dans une interview à CNN, vous avez expliqué avoir été victime de cyberharcèlement après avoir publié un article sur votre agression.

Je continue de recevoir des commentaires négatifs sur Instagram, X, Facebook, et directement par mail. Ils me traitent d’idiote. Selon eux, je suis ridicule d’affirmer avoir été agressée. On me traite de folle, je devrais être internée dans un hôpital psychiatrique, les propos sont beaucoup moins gentils que ce que je vous répète. Mon histoire est complètement absurde pour eux.

Selon la police britannique, l’adolescente qui a été victime d’un viol virtuel a subi des traumatismes psychologiques équivalents à un viol dans le monde réel. Avez-vous été traumatisée par cette agression ?

Oui. Le corps répond automatiquement aux stimuli en raison du sentiment d’incarnation propre au métavers. Quand quelqu’un s’approche de vous, vous ressentez sa présence. Quand on vous crie dessus, on vous crie vraiment dessus. Votre corps répond physiquement et physiologiquement à ce qu’il se passe. J’applaudis cette jeune fille. C’est très courageux d’être allée voir la police pour lui dire "voilà ce que j’ai vécu, ce n’est pas normal, cela ne devrait pas arriver". Si elle a partagé son expérience, je suppose qu’une partie d’elle l’a très mal vécu. Elle a certainement été très affectée. Encore une jeune fille qui ne remettra probablement jamais un casque sur la tête. C’est dommage du point de vue de la parité dans le monde des technologies…

Pourquoi pensez-vous que ces hommes agissent de cette façon ?

On pourrait parler de misogynie ou imaginer qu’ils agissent de la même façon dans le monde physique. Ils ont peut-être un sentiment d’impunité. Peut-être qu’ils trouvent drôle et divertissant d’agresser une femme dans le métavers. Il faut noter que de nombreuses personnes attirées par la réalité virtuelle jouent à des jeux comme « Grand Theft Auto » (GTA) ou « Call of duty » où l’expérience immersive repose entièrement sur le crime : tirer sur les autres, voler une banque, tuer… Et vous avez une plateforme de réalité virtuelle dont le principe est d’interagir avec ses proches, de vivre une expérience sociale. Et vous avez des gens qui ont grandi avec des usages de réalité virtuelle où ils s’entretuent.

En tant que chercheuse, diriez-vous que ces comportements sont courants ?

Le harcèlement sexuel que j’ai vécu n’est pas le premier dans le monde digital et ne sera pas le dernier. Cette jeune fille, malheureusement, ne sera pas la dernière non plus. Chaque jour, on assiste à du racisme, de l’homophobie, de la misogynie, du harcèlement sexuel… Nous autorisons des comportements nocifs que nous interdisons pourtant dans le monde physique. Nous créons des espaces menaçants en ligne, surtout pour les jeunes et les femmes. Ce n’est pas parce que la technologie n’est pas capable de créer des espaces protégés. Les plateformes permettent à ces agressions d’avoir lieu en se déresponsabilisant. Historiquement, la société ne considère pas les expériences virtuelles comme réelles. Nous balayons le sujet en disant, c’est juste en ligne. Ce qui se passe en ligne est réel pour un jeune.

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