témoignages« Ce geste lui ressemblait »… Des gendarmes racontent Arnaud Beltrame

Attentats de Trèbes et Carcassonne : Des gendarmes racontent Arnaud Beltrame… « Ce geste lui ressemblait »

témoignagesArnaud Beltrame est mort en 2018 lors des attentats de Trèbes et Carcassonne, dont le procès s’ouvre lundi. Il s’était substitué à une employée prise en otage. Un acte qui n’a pas étonné les gendarmes avec lesquels il avait servi
Le lieutenant-colonel Beltrame, qui s'était substitué à une hôtesse de caisse prise en otage par Radouane Lakdim, avait tenté d'obtenir la reddition de l'assaillant, avant d'être égorgé.
Le lieutenant-colonel Beltrame, qui s'était substitué à une hôtesse de caisse prise en otage par Radouane Lakdim, avait tenté d'obtenir la reddition de l'assaillant, avant d'être égorgé. - BERTRAND GUAY / AFP
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, qui avaient fait quatre morts en 2018, dont le lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, se tient à partir de lundi et jusqu’au 23 février. Sept personnes de l’entourage de l’auteur de ces attaques djihadistes, qui avait été abattu par les gendarmes, sont jugées devant la cour d’assises spéciale de Paris.
  • Arnaud Beltrame, qui s’était substitué à une hôtesse de caisse prise en otage par Radouane Lakdim, avait tenté d’obtenir la reddition de l’assaillant, avant d’être égorgé.
  • Salué par les plus hautes instances du pays, son acte héroïque n’a pas surpris les gendarmes qui avaient eu l’occasion de le croiser au cours de ses vingt-deux ans de carrière. 20 Minutes s’est entretenu avec deux d’entre eux.

Le 23 mars 2018, la France découvrait le nom d’Arnaud Beltrame. Ce lieutenant-colonel de gendarmerie, âgé de 44 ans, venait de sacrifier sa vie pour sauver celle d’une otage, retenue par un terroriste islamiste dans un supermarché de Trèbes, dans l’Aude. Salué par les plus hautes instances du pays, son acte héroïque n’a pourtant pas étonné les gendarmes qui avaient eu l’occasion de le croiser au cours de ses vingt-deux ans de carrière. « Ce n’est pas un geste qui m’a surpris car il lui ressemble tellement », explique notamment à 20 Minutes le capitaine Julien, qui a été sous ses ordres entre 2010 et 2014, à la compagnie de gendarmerie départementale d’Avranche, dans la Manche.

Aujourd’hui formateur à l’EOGN (l’école des officiers de la gendarmerie nationale) à Melun, en Seine-et-Marne, le capitaine Julien se souvient d’Arnaud Beltrame comme d’un chef « inspirant », « très présent », « tourné vers l’opérationnel », « qui aimait être sur le terrain auprès de ses hommes ». « Il essayait toujours de tirer le meilleur de ses personnels, dont il avait suscité l’adhésion. C’est quelqu’un qui était motivant », poursuit-il. Arnaud Beltrame donnait « le meilleur de lui-même en tout temps et dans toutes les circonstances ». Il était aussi « très sportif ». « C’est quelqu’un qui courait très bien », sourit-il.

Un « chef ambitieux » et proche de ses troupes

Ce « chef ambitieux » et proche de ses troupes aimait se déplacer « sur les opérations judiciaires ». L’une d’elles a particulièrement marqué le capitaine Julien. « Au cours de l’été 2011, j’ai été engagé avec d’autres camarades sur des violences intrafamiliales. On apprend par la victime, qui s’était réfugiée chez un voisin, que son compagnon était armé. Et ce dernier nous tire dessus. Le chef d’escadron Beltrame, qui était de permanence, nous a rejoints très vite sur le terrain. »

Le tireur s’était ensuite « retranché chez lui » et des négociations ont été engagées pour obtenir sa reddition. Au lieu de rester en sécurité dans le PC opérationnel qui avait été installé un peu plus loin, Arnaud Beltrame a préféré aller, « avec les négociateurs, au plus près de la maison ». « Il m’a emmené avec lui », se rappelle le capitaine Julien, qui a apprécié cette marque de « confiance ». Au petit matin, le forcené s’était rendu. Personne n’a été blessé au cours de l’opération. Arnaud Beltrame a payé le petit-déjeuner aux gendarmes engagés sur la mission, « pour qu’on puisse débriefer ensemble et passer ce petit moment de cohésion après ce qu’il venait de se passer. C’était son côté humain. »

« Il s’est dit que c’était à lui de le faire »

Le jour de l’attentat à Trèbes, quand il a appris qu’un « lieutenant-colonel de la gendarmerie s’était substitué à l’otage, la caissière du supermarché », le capitaine Julien a instinctivement su qu’il s’agissait de son ancien chef. « Je me suis dit que ça ne pouvait être que lui. Parce que ça lui ressemblait, sans exagérer. Il aimait rendre service aux gens, il était proche de la population. » Avec le recul, il pense qu’Arnaud Beltrame, ce jour-là, « s’est senti à sa place au moment de faire ça ». « Il s’est dit que c’était à lui de le faire, et que sinon, personne d’autre ne le ferait. Je pense qu’il était convaincu de son action. »

Au moment de l’attaque terroriste, le colonel Gay, lui, dirigeait le groupement départemental de l’Aude. « Je commandais les opérations à l’extérieur du supermarché et Arnaud Beltrame celles qui se déroulaient à l’intérieur du bâtiment », explique-t-il à 20 Minutes. Quand il a entendu, dans sa radio, que son subordonné s’était « échangé avec le dernier otage », il a eu l’impression de recevoir un « uppercut ». « Le sol s’est dérobé sous mes pieds. » Cet officier a dû « trouver le temps », une fois la crise passée, de « réfléchir » à la « valeur de son geste ».

« Un problème entre un soldat et un terroriste »

« Rétrospectivement, ça ne me surprend pas de lui, ça correspond bien à son engagement, à sa façon de voir les choses », analyse-t-il aujourd’hui. « En s’échangeant avec le dernier otage, il mettait un terme à la crise, ajoute le colonel Gay. Il n’y avait plus de victime civile potentielle. C’était un problème entre un soldat et un terroriste. Il a dû penser qu’il pouvait influer positivement sur l’issue de la crise, soit en facilitant les négociations, soit en facilitant l’intervention du GIGN. »

Actuellement sous-directeur à la DGGN, le colonel Gay connaissait Arnaud Beltrame depuis vingt-deux ans. « Je l’ai rencontré en classe préparatoire, en 1992, à Saint-Cyr. Il était plus vieux que moi d’un an. » Il a retrouvé son camarade en août 2017, quand celui-ci est devenu officier adjoint de commandement au groupement de gendarmerie de l’Aude. « Il a laissé son empreinte en quelques mois, en marquant tous les gendarmes du groupement qui l’ont croisé », souligne le colonel Gay. Qui se souvient de « son enthousiasme, son dynamisme, son engagement, de son amour pour le métier et pour l’institution ». « C’est toujours un vrai plaisir d’avoir des subordonnés comme ça ».

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