la mortalité cétacéInterdire la pêche sur le littoral Atlantique va-t-il sauver les dauphins ?

Combien de dauphins seront sauvés avec l’interdiction de la pêche dans le golfe de Gascogne ?

la mortalité cétacéA partir de ce lundi et pour un mois, la pêche est interdite dans le golfe de Gascogne pour certaines catégories de bateaux de pêche français. L’objectif est de lutter contre la surmortalité des dauphins lors de captures accidentelles
On estime qu'entre 8.000 et 11.000 cétacés meurent chaque année, en mer, en Atlantique nord-est.
On estime qu'entre 8.000 et 11.000 cétacés meurent chaque année, en mer, en Atlantique nord-est. - LOIC VENANCE  / AFP
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • A partir de ce lundi 22 janvier, et pour un mois, la pêche est interdite à certaines catégories de bateaux de pêche dans le golfe de Gascogne, dans l’intérêt des populations de dauphins.
  • C’est le Conseil d’Etat, saisi par trois associations de défense de l’environnement, qui a décidé en mars 2023 d’interdire cette zone à la pêche, pour relâcher un peu la pression sur les cétacés.
  • Si toutes les associations estiment, en s’appuyant sur les recommandations des scientifiques, que la durée d’interdiction est insuffisante pour produire des effets, Défense des Milieux Aquatiques y voit une belle avancée, qui va démontrer l’intérêt de telles mesures.

Victimes de la surpêche, les populations de dauphins s’écroulent dans le golfe de Gascogne. Mais pour la première fois, une décision de justice tente de stopper un peu l’hécatombe. En 2023, le nombre d’échouages de dauphins sur le littoral atlantique a battu tous les records, avec environ 1.500 cadavres recensés. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, puisqu’on estime qu’entre 8.000 et 11.000 cétacés meurent chaque année à cause de captures accidentelles sur les côtes atlantiques. Un chiffre qui « dépasse chaque année la limite maximale permettant d’assurer un état de conservation favorable en Atlantique Nord-Est », note le conseil d’Etat.

Il a été saisi par trois associations de défense de l’environnement (France Nature Environnement Sea Shepherd France et l’association de défense des milieux aquatiques) sur ce risque réel d’extinction des cétacés. Cette juridiction a pris la décision inédite d’interdire la pêche aux bateaux français munis de filets fixes, remorqués ou tournants, les plus dangereux pour les dauphins, pour une durée d’un mois, à partir de ce lundi. Alors qu’un millier de bateaux de pêche environ fréquentent le Golfe de Gascogne, du 22 janvier au 22 février, l’effectif sur l’eau pourrait être réduit de moitié.

Les pêcheurs concernés seront indemnisés et la filière aval n’est pas oubliée, « avec l’activation en cas de besoin de mesures de chômage partiel et des aides spécifiques adaptées aux différentes situations », a précisé jeudi le ministère de la Transition écologique.

Un peu moins d’échouages espérés

Combien de dauphins pourront être sauvés ? Il est très difficile de pronostiquer les conséquences sur les échouages de cette interdiction de la pêche à plusieurs centaines de bateaux, car ils varient beaucoup d’une année sur l’autre, notamment en fonction de la météo. Mais pour Philippe Garcia, président de Défense des milieux aquatiques, la pression va forcément se relâcher un peu. « La mortalité a été estimée entre 3.300 à 5.000 pour un scénario qui ressemble à celui-là, avec une fermeture de quatre semaines, au lieu de 5.000 à 10.000 », pointe-t-il.

Lamya Essemlali, présidente de l’association Sea Shepherd France, est beaucoup plus réservée, même si elle reconnaît le mérite de marquer la sortie d’une « période de déni ». « Pour un mois de fermeture, les scientifiques (du conseil international pour l’exploration de la mer, le CIEM) estiment qu’il n’y aura pas une baisse significative des captures, regrette-t-elle. Ils demandaient trois mois d’interdiction de pêche l’hiver et un mois l’été »,

La durée retenue par le Conseil d’Etat est insuffisante pour les associations investies sur ce dossier, qui demandent à l’unisson quatre mois de fermeture sur l’année, comme le recommande le CIEM. Positif, Défense des milieux aquatiques espère que cette première interdiction va néanmoins démontrer l’intérêt de cette mesure, et objectiver les pertes de chiffres d’affaires pour les pêcheurs, aujourd’hui estimées en France à des dizaines de millions d’euros. « Parce qu’il y aura moins de filets sur l’eau, cela va aussi soulager les tortues marines et les oiseaux marins, pointe Philippe Garcia. Et on peut aussi considérer que c’est une mesure incitative pour que les pêcheurs s’équipent (en outils de pêche plus sélectifs) ».

Mais une mesure jugée très insuffisante

Philippe Garcia s’inquiète des moyens à la disposition du Cross Etel (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) pour contrôler que les pêcheurs respectent bien la mesure, alors que certains ont déjà annoncé qu’ils sortiraient en dépit de l’interdiction. Celle-ci concerne tous les bateaux de pêche, y compris ceux battant pavillon étranger, par souci « d’équité », explique le ministère de la Transition écologique, qui l’a étendue en faisant valoir cette possibilité auprès de l’Europe. Tout navire concerné qui braverait l’interdit dans les eaux françaises du golfe de Gascogne « fera l’objet de poursuites judiciaires et administratives », avertit-on.

La décision du Conseil d’Etat renvoie à une urgence, si on se fie aux données de l’observatoire Pelagis, qui recense les échouages de cétacés depuis les années 1970. Il estime que si rien n’est fait, la population de dauphins de l’Atlantique Nord-est « pourrait s’éteindre d’ici quarante à cinquante ans. » « Les pêcheurs disent qu’ils voient encore beaucoup de dauphins, mais quand on pourra voir visuellement qu’il y a moins de dauphins, ce sera trop tard, avertit Lamya Essemlali. Le processus d’extinction sera déjà enclenché ».

Sujets liés