Fake OFFLe prix du lait payé par Lactalis, source de mésinformation sur les réseaux

Manifestations des agriculteurs : Le prix du lait payé par Lactalis, source de mésinformation sur les réseaux sociaux

Fake OFFLactalis a maintenu le 3 janvier le prix de base payé en décembre, ce à quoi s’opposent les producteurs de lait
Des agriculteurs bloquent l'entrée d'une usine Lactalis à Domfront (Orne) le 24 janvier 2024.
Des agriculteurs bloquent l'entrée d'une usine Lactalis à Domfront (Orne) le 24 janvier 2024. - Lou Benoist / AFP / Lou Benoist / AFP
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • Des producteurs de lait ont mené plusieurs actions pour bloquer les usines Lactalis ces derniers jours. Des affirmations inexactes et qui méritent d’être remise en contexte ont ensuite circulé sur les réseaux sociaux.
  • Ce conflit remonte à début janvier où, faute d’accord, Lactalis a maintenu le prix de base de décembre à 405 euros les 1.000 litres.
  • La principale organisation de producteurs vendant à Lactalis et le groupe ont commencé une médiation ce 25 janvier.

Les actions d’agriculteurs devant des usines du groupe Lactalis sont très suivies sur les réseaux sociaux, notamment celle du 23 janvier en Haute-Saône. La fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles a voulu dénoncer « le refus depuis des mois » du leadeur mondial du lait « de négocier avec les éleveurs laitiers malgré des obligations légales, et paye le lait 15 % en dessous de ses concurrents », a-t-elle dénoncé sur X. L’action a été relayée par France Bleu Besançon qui a filmé le déversage de fumier et des déchets devant les portes de Lactalis à Loulans-Verchamp.

Ce sont ces images qui ont été ensuite relayées sur les réseaux sociaux, accompagnées d’affirmations inexactes et qui méritent d’être remise en contexte. Sur X, le compte français de The Epoch Time, classé en 2022 en tête des sites relayant le plus de mésinformations en France, a notamment soutenu que Lactalis « vient de baisser le prix d’achat du lait à 405 euros pour 1.000 litres soit moins que le coût de production pour les éleveurs de 450 euros ». Une affirmation reprise ensuite dans d’autres posts viraux, mentionnant comme source France Bleu, qui a suivi ces actions dans plusieurs régions depuis le 18 janvier.

Une décision qui date du 3 janvier

Si ce prix de 405 euros les 1.000 litres est bien le prix de base que paye Lactalis aux éleveurs, il ne vient pas d’être décidé. Les prix du lait font l’objet de négociations entre les producteurs, rassemblés généralement en organisation de producteurs, et l’acheteur. La loi Egalim de 2019 a inversé la construction de ce prix : c’est le producteur qui, normalement, propose un prix de vente à partir d’indicateurs des coûts de production agricole. Faute d’accord le 3 janvier, c’est le prix du lait payé en décembre qui a été reconduit en janvier par Lactalis. En novembre, ce prix du lait payé était à 410 euros les 1.000 litres.

« 405 euros, c’était la valeur de décembre que Lactalis souhaite reconduire, mais sans aucune justification à part conforter leurs marges sur le dos des producteurs », déplore auprès de 20 Minutes, Yohann Serreau, président de l’Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis (Unell). Cette organisation de producteurs représente 5.300 exploitations, soit 80 % du lait collecté en conventionnel par Lactalis. Le prix de 405 euros correspond à un prix global qui prend en compte le marché intérieur et l’export.

Une valeur « autour de 440 euros » pour l’Unell

« Nous, on est sur une valeur autour de 440 euros qui permettrait de valoriser le travail des producteurs tout en respectant la valeur du marché », poursuit le président de l’organisation de producteurs laitiers. Lactalis nous indique qu’en moyenne le prix total payé aux éleveurs est de 435 euros. Un prix un peu plus élevé que le prix de base en raison de la production d’un lait de meilleure qualité et qui est mieux rémunéré, explique le président de l’Unell.

Quand les discussions coincent comme c’est le cas en ce moment, les parties peuvent faire appel au médiateur des relations commerciales et agricoles. Une première demande de Lactalis le 16 janvier avait été refusée par l’Unell, car son objet « ne faisait pas référence aux lois Egalim », qui vise à protéger la rémunération des agriculteurs, indique Yohann Serreau. Une deuxième demande a été déposée cette fois par l’Unell et acceptée le 22 janvier. Cette médiation s’ouvre ce 25 janvier.

Contacté, Lactalis indique « respecter pleinement les dispositions des lois Egalim depuis leur mise en place » et vouloir, avec cette médiation, trouver « une solution satisfaisante » pour « valoriser le travail des producteurs, tout en proposant aux consommateurs des produits laitiers français à un prix accessible ». Pour l’Unell, il s’agit de construire un prix qui puisse donner de la stabilité aux producteurs tout en respectant les lois Egalim.

Une confusion entre prix de revient agricole et prix de base

Un autre prix fait l’objet de négociations entre Lactalis et l’Unell : celui du prix de revient agricole, qui correspond au prix de vente pour couvrir les charges voire réaliser un bénéfice. Ce prix est valable pour le marché intérieur et pas à l’export. Et c’est sur ce prix qu’il y a eu une confusion dans un article de France Bleu Mayenne du 10 janvier et qui a pu être interprété comme le fait que Lactalis avait imposé « une baisse drastique » des prix sur les réseaux sociaux.

Il est écrit en conclusion que « tant qu’il n’y a pas d’accord, les producteurs vendent le lait 405 euros, bien loin des 484 euros souhaités ». Or, ces deux valeurs « sont difficilement comparables », explique Yohann Serreau. La première correspond au prix global (intérieur + export), valable à l’export, et la deuxième au prix de revient sur le marché intérieur, négocié annuellement dans le cadre des lois Egalim. En janvier, Lactalis paye 460 euros les 1.000 litres aux producteurs sur le marché intérieur, quand l’Unell défend un prix de revient à 484 euros.

Les producteurs demandent une hausse de 5 %

Le groupe propose une hausse de 5 euros, soit 1 %, en indiquant s’appuyer sur la méthode habituelle de négociation. Pour Lactalis, la demande d’augmentation de 5 % de l’Unell n’est pas « compatible avec les demandes de déflation des clients des grandes et moyennes surfaces ». Cette proposition « fixée selon une méthodologie en place depuis quatre ans, respecte strictement les lois Egalim », se défend Lactalis.

L’Unell, de son côté, soutient une augmentation de 5 % en se basant sur l’augmentation des charges et du Smic. Les deux parties sont en désaccord sur la méthode de calcul du prix de revient, dont la définition fait partie de la médiation. « Lactalis a le bonnet d’âne sur l’ensemble de l’année 2023 [en termes de prix proposé] et souhaite amplifier ce comportement de cancre sur 2024 », dénonce encore Yohann Serreau. D’autres actions de blocage des usines de Lactalis ont eu lieu ces derniers jours comme à Dormont dans l’Orne, afin de faire pression sur le groupe.