InterviewAccusé d’avoir délivré trop d’arrêts maladie, un médecin « en colère »

Épinglé pour avoir délivré trop d’arrêts maladie, un médecin généraliste « en colère »

InterviewLe docteur Luc Griesmann fait partie des médecins généralistes qui prescrivent trop d’arrêts maladie pour la CPAM. Lettres, menaces, sanctions, contrôles… Il témoigne sur cette situation qui pourrait l’amener à tout plaquer
Le médecin généraliste Luc Griesmann, qui exerce à Belfort.
Le médecin généraliste Luc Griesmann, qui exerce à Belfort. - LG / LG
Thibaut Gagnepain

Propos recueillis par Thibaut Gagnepain

L'essentiel

- Le docteur Luc Griesmann, généraliste à Belfort, a été mis sous surveillance par la CPAM pour avoir prescrit « trop » d’arrêts de travail. Cette situation « le met en colère ».

- « Quand j’entends parler certains politiques "d’arrêts de travail de complaisance", ça remet en cause à la fois ma compétence de médecin et mon honnêteté professionnelle », lance-t-il.

- Le généraliste a accepté de raconter les procédures mises en œuvre par la CPAM à son égard.

Au moins un millier de médecins visés, voire plus. Depuis l’été dernier, la Caisse d’assurances maladie (CPAM) s’attaque aux praticiens qui prescriraient « trop » d’arrêts de travail. A chaque fois, la procédure s’appuie sur des statistiques comparatives réalisées par rapport à une moyenne régionale dans des « communes semblables ».

Le docteur Luc Griesmann, qui exerce comme généraliste à Belfort, fait partie d’entre eux. Une situation qu’il ne comprend pas et qui l’exaspère. Cela pourrait mener le sexagénaire (69 ans), qui avait fait le choix de continuer son activité « pour raisons financières après un emprunt immobilier professionnel qui a mal tourné », à fermer son cabinet.

Comment cela a-t-il commencé ?

Par la réception d’un courrier le 16 juin dernier en pleine consultation. Il venait de la caisse primaire d’assurance maladie du Territoire de Belfort. On m’informait que j’étais un vilain garçon car j’avais prescrit deux fois plus d’indemnités journalières (IJ) qu’un groupe de praticiens régionaux qui sert de référence. De la statistique pure ! Et le courrier évoquait une éventuelle « mise sous objectif » (MSO).

Comment avez-vous réagi ?

On avait été un peu prévenus par nos syndicats que ça pouvait arriver. Après, moi je ne me doutais pas que ça pouvait me tomber dessus. Les arrêts de travail font partie de ma thérapeutique. Je traite des patients, pas des machines, et j’essaie toujours d’en délivrer le nombre qu’il faut. Quand j’entends parler certains politiques “d’arrêts de travail de complaisance”, ça remet en cause à la fois ma compétence de médecin et mon honnêteté professionnelle. Donc cette lettre m’a mis en colère et j’ai refusé la MSO.

Mais ça n’est pas arrêté là, si ?

Non, un mois plus tard, j’avais un nouveau recommandé pour me proposer clairement une MSO pour les six prochains mois. Je devais réduire de 16 % mes IJ et avais le droit d’en prescrire 1.524 du 1er septembre au 28 février. Si j’acceptais mais que je ne respectais pas les objectifs, on me menaçait d’une amende de 7.332 euros. J’ai encore dit non, toujours sur les conseils de mon syndicat, l’UFML (Union française pour une médecine libre). Puis fin août, la CPAM m’avertissait du début d’une procédure de « mise sous accord préalable » (MSAP). Pour l’éviter, je n’ai même pas pu me défendre devant une commission car le quorum n’était pas atteint et elle n’a pas pu se réunir.

Vous êtes donc sous MSAP. Qu’est-ce que cela vous change au quotidien ?

En clair, depuis le 1er janvier, je dois transmettre obligatoirement mes arrêts de travail de manière dématérialisée. Avant, je ne le faisais que sur papier et le patient avait quarante-huit heures pour le transmettre. Maintenant, c’est fait tout de suite par internet et je dois tout justifier en 150 caractères, espaces compris. Le médecin-conseil de la CPAM pourrait, ou devrait je ne sais pas, me faire un retour. Je n’en ai eu aucun. Une de mes patientes m’a seulement dit qu’il l’avait appelé pour prendre des renseignements et lui conseiller plusieurs examens.

Est-ce que tout cela a fait changer votre manière de travailler ?

Non. Je ne me suis pas restreint et ai fait 13 arrêts de travail en un plus de trois semaines en janvier. Aucun n’a été refusé. Je les justifiais déjà sur la version papier et je trouve normal le contrôle de la Caisse. Mais qu’elle le fasse médicalement, avec un minimum d’examen clinique. La médecine se fait avec les yeux, le toucher, l’information qu’on nous donne, l’auditif etc. On ne contrôle pas avec des chiffres ! Je me sens fliqué d’une façon technocratique. Je suis sous surveillance.

Notre dossier sur les arrêts maladie

Quelles procédures pourraient suivre ?

Je pense que je suis, à l’insu de mon gré, l’objet d’une nouvelle étude. On verra alors si mon nombre d’IJ prescrits a varié ou non. Si ce n’est pas le cas, peut-être que la CPAM comprendra que les arrêts étaient tous légitimes.

Cette situation vous donne-t-elle envie de tout plaquer ?

Oui, ce versant-là de ma profession me dégoûte. J’ai trois possibilités : soit je me déconventionne, c’est ce que je priorise aujourd’hui mais je ne serai quand même pas exempt de pressions de la part de la CPAM ; soit je pars en retraite mais financièrement, j’aurai du mal. Soit je repars dans le salariat. Un médecin à l’hôpital, dans le privé, dans un centre de rééducation et autres, on lui fout une paix royale ! Je suis en pleine réflexion et je déciderai dans l’année, en fonction aussi de ce qu’on me dira sur les arrêts de travail.