bonne étoileLe hasard a-t-il encore sa place dans les découvertes astronomiques ?

Les découvertes astronomiques fortuites, un phénomène fascinant mais pas si étonnant

bonne étoileSi les découvertes dues au hasard ne sont pas si rares en astronomie, elles ne sont pas toujours à attribuer à la chance
Les anneaux d'Uranus, pris ici par le James Webb Telescope, ont été découverts par hasard en 1977.
Les anneaux d'Uranus, pris ici par le James Webb Telescope, ont été découverts par hasard en 1977. - NASA|ESA|CSA|STScI/Cover ImagesCOVER/SIPA / Sipa
Manon Minaca

Manon Minaca

L'essentiel

  • Après une erreur de coordonnées, des chercheurs travaillant avec le Green Bank Telescope ont découvert par hasard une galaxie sans étoiles, qui pourrait être « la plus faible découverte à ce jour ».
  • S’il existe de nombreux exemples de phénomènes ou objets astronomiques découverts de manière fortuite, il est nécessaire de questionner la notion de hasard, car les astronomes n’observent jamais l’univers sans rien chercher.
  • Les nouveaux outils et instruments, de plus en plus performants, contribuent à ces découvertes, mais le développement de la recherche sur projet pourrait les limiter.

Houston, on a trouvé une galaxie étrange. C’est ce qu’ont dû se dire des astronomes travaillant sur les données Green Bank Telescope (Etats-Unis) lorsqu’ils ont découvert, complètement par hasard, une galaxie massive riche en gaz mais sans étoile qui pourrait être « la plus faible découverte à ce jour », a dévoilé l’American Astronomy Society, début janvier. Les chercheurs à l’origine de cette trouvaille ont renseigné les mauvaises coordonnées d’observation, tombant ainsi sur cette galaxie singulière.

Cette trouvaille est d’autant plus remarquable que « la probabilité de tomber sur une galaxie en se trompant est vraiment faible », note Sylvie Cabrit, astronome à l’Observatoire de Paris. « Des galaxies de faible brillance de surface, on en connaît, mais elles sont très difficiles à observer, complète Guilaine Lagache, astronome au Laboratoire d’astrophysique de Marseille. C’est vraiment marrant qu’ils en aient trouvé une en se trompant de coordonnées. »

Plusieurs découvertes majeures concernées

Cette galaxie sans étoile n’est pourtant pas un cas isolé. Le fond diffus cosmologique, un rayonnement électromagnétique homogène qui témoigne des tout débuts de l’univers, a été découvert par hasard en 1964 par Arno Penzias et Robert Wilson, physiciens américains, lors d’observations durant lesquelles ils ont détecté un bruit de fond qu’ils n’arrivaient pas à supprimer. « Ils pensaient que c’était des parasites, mais, après avoir éliminé toutes les autres possibilités, ils se sont rendus à l’évidence qu'il s'agissait de ce fameux fond diffus cosmologique, prédit une quinzaine d’années plus tôt », raconte Sylvie Cabrit. Pour l’astronome de l’Observatoire de Paris, c’est une trouvaille qui « a complètement changé la face de l’astronomie, et même de comment on conçoit l’origine de l’univers ».

La découverte des pulsars, corps stellaires émettant des ondes radio par intermittence, par l’astrophysicienne britannique Jocelyn Bell Burnell, est également le fruit du hasard. « C’était vraiment un tout nouveau type d’objet jamais prédit et qu’on n’imaginait pas du tout », relève Sylvie Cabrit. C’est aussi le cas les anneaux d’Uranus, découverts lors de l’observation de l’occultation d’une étoile par la planète en 1977, ou des sursauts gamma, mesurés pour la première fois en 1967 « par des satellites espions militaires qui surveillaient des essais nucléaires de la Russie et qui ont détecté des sursauts de rayons qui ne venaient pas de la Terre », explique l’astronome.

Un hasard relatif

Mais ces trouvailles fortuites ne sont pas si surprenantes. En astronomie, comme dans beaucoup de domaines scientifiques, « les grandes découvertes sont souvent là où on ne les attend pas, et le fait de chercher dans les endroits où on ne voit rien permet la découverte », expose Sylvie Cabrit. Car les grandes avancées ne sont pasune coincidence totale : les astronomes cherchent toujours quelque chose. « On fait une recherche avec une idée derrière la tête, explique Guilaine Lagache. Ensuite, soit cette idée est vérifiée, soit on est obligés de faire un pas de côté, mais on ne regarde jamais au hasard dans l’univers. » D’autant que certaines découvertes par hasard, même majeures, ne font que confirmer des phénomènes prédits par la théorie mais jamais observés.

Si les découvertes astronomiques ne sont souvent pas aussi fortuites qu’on pourrait le croire, c’est aussi parce qu’elles sont permises par les avancées technologiques et le développement de nouveaux outils et instruments. « Aujourd’hui, on va voir de plus en plus loin, de plus en plus dans les détails, donc il faut des moyens d’observation de plus en plus puissants », détaille Guilaine Lagache. « À chaque fois qu’on met au point un nouvel instrument, c’est un nouveau continent qui s’ouvre, tout est à découvrir », abonde Sylvie Cabrit. C’est notamment le cas avec le James Webb Telescope, opérationnel depuis 2022, qui a découvert par hasard un astéroïde extrêmement petit, de la taille du Colisée, à l’intérieur de la ceinture d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter, soit à plus de 100 millions de kilomètres de l’appareil. « Avec ce télescope, il y a un potentiel de découverte énorme », se réjouit Guilaine Lagache.

Les trouvailles de ce type pourraient toutefois devenir de plus en plus limitées, notamment à cause du développement de la recherche sur projet depuis la création de l’Agence nationale de la recherche, en 2005, et du Conseil européen de la recherche, en 2007. De plus en plus souvent, les chercheurs doivent demander des financements pour des missions précises pour lesquelles des objectifs sont déterminés à l’avance, ce qui est « assez délétère pour les découvertes majeures, déplore Sylvie Cabrit. Pour trouver des choses, il faut avoir les yeux ouverts, et il faut parfois chercher dans des directions qui n’ont pas l’air de garantir un résultat ». En privilégiant la recherche sur projet, « on nous enlève notre liberté d’être créatifs et de faire des pas de côté pour aller voir ce qui se passe ailleurs », regrette également Guilaine Lagache. « On risque de passer à côté de grandes choses, regrette Sylvie Cabrit. Heureusement qu’il y a encore la chance et le hasard. »